Surveillance infirmière d’un patient perturbé, pose de voie veineuse fautive, burn out… Voici trois décisions de justice récentes éclairantes pour votre pratique.
Le fait qu’un patient âgé, gravement perturbé et sous surveillance infirmière pour ce motif, parvienne à relever le volet roulant de sa chambre, à ouvrir une fenêtre et l’enjamber, ne permet pas de caractériser une faute de l’équipe infirmière lorsque l’attitude de celle-ci a été attentive et diligente, cette dernière ne pouvant parer à tous les imprévus (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2e chambre, 9 juin 2020 n° 18BX02224).
Faits. Un patient, alors âgé de 85 ans, a été hospitalisé le 7 avril 2011 au sein du service d’ortho-traumatologie d’un centre hospitalier pour la mise en place d’une prothèse totale d’épaule gauche. À la suite de cette intervention, pratiquée le 8 avril, il a présenté un état de confusion post-opératoire marqué par une grande agitation. Dans la nuit du 8 au 9, souhaitant se rendre aux toilettes, il a arraché ses perfusions et le gilet spécial destiné à maintenir son épaule. Dans la nuit du 10 au 11, souhaitant de nouveau se rendre aux toilettes, il a tenté de franchir les barrières de son lit et a chuté, ce qui a entraîné une luxation de la prothèse. Le 11, il a donc subi une reprise chirurgicale de réduction de la luxation. Le 12, il a été reçu en consultation par un médecin gériatre de l’établissement, qui n’a pas constaté d’élément confusionnel, n’a pas prescrit de mesures de contention ou de pose de barrières et a préconisé des mesures préventives d’hydratation et de réorientation pluriquotidiennes. Dans la nuit du 14 au 15, vers 2 h, le patient a présenté, des signes de confusion. L’infirmière et l’aide-soignante présentes dans le service ont alors mis en place une surveillance plus étroite, avec des passages plus fréquents dans sa chambre. Toutefois, entre 4 h 45 et 5 h 15, heures des passages de contrôle, le patient est tombé de l’une des fenêtres de sa chambre, située au premier étage du bâtiment, occasionnant un épanchement pleural bilatéral et des fractures étagées de T12 à L5 avec hémiparésie.
La faute. Le patient a effectivement présenté un état confusionnel post-opératoire à la suite de l’intervention pratiquée le 8 avril 2011. Mais, le médecin de garde qui l’a examiné le 11 avril et le gériatre qui l’a reçu en consultation le 12 avril ont constaté l’absence de persistance des signes confusionnels, signes qui n’ont pas davantage été relevés les 13 et 14. Le patient a de nouveau présenté des troubles confusionnels dans la nuit du 14 au 15, vers 2 h du matin. L’infirmière a décrit un patient légèrement confus, qui parlait seul et émettait le souhait d’un retour à domicile, mais qui ne criait pas et n’était pas particulièrement agité. Le personnel soignant a alors pris l’initiative de renforcer la surveillance du patient en augmentant la fréquence des passages de contrôle, toutes les demiheures, et en laissant la porte de sa chambre ouverte. À noter que le patient n’avait, au cours de son hospitalisation, commis aucun acte dangereux pouvant être considéré comme lié à un état de désorientation. La chute survenue le 11 est essentiellement imputable à la détermination du patient, qui ne souhaitait pas uriner dans un urinal, à se rendre aux toilettes alors même que son lit était doté de barrières.
Conclusion. Dans ces conditions, l’état et le comportement du patient ne pouvaient légitimement faire craindre l’acte qu’il a commis, consistant à relever le volet roulant de la fenêtre, lequel n’avait été que partiellement baissé à sa demande en début de soirée, monter sur une chaise, ouvrir la fenêtre pour ensuite l’enjamber. Dès lors, l’absence de verrouillage des fenêtres et le fait d’avoir laissé des volets semi-ouverts ainsi qu’une chaise à disposition dans la chambre, ne peuvent être regardés comme constitutifs d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité.
L’apparition d’un œdème du bras et d’un hématome entraînant des séquelles sont considérés, alors même que la preuve exacte n’est pas apportée par expertise, comme la conséquence de tentatives de poses de voies veineuses, et s’agissant d’un acte de soin courant, l’existence de séquelles permet de présumer la faute (Cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 2 avril 2020, n° 19NT00516).
Faits. Une patiente a été hospitalisée le 23 octobre 2006 dans le service de cardiologie d’un centre hospitalier pour des douleurs thoraciques. Le 26, pour permettre la réalisation d’un scanner, il a été décidé de lui poser une voie veineuse au niveau du bras droit qui, après plusieurs tentatives infructueuses, a finalement été posée sur le bras gauche. Peu après, le bras droit de la patiente a présenté une augmentation de volume et un hématome qui, bien qu’il ait été drainé le 2 novembre 2006, a endommagé le nerf radial. La patiente en a gardé un déficit moteur et sensitif et des douleurs responsables d’une gêne fonctionnelle.
Analyse. Seules les tentatives de pose de voie veineuse réalisées le 26 octobre 2006 sur le bras droit de la patiente peuvent expliquer l’apparition, dans les jours suivants et au même endroit, d’un hématome qui, par compression, a endommagé le nerf radial. Par suite, et alors même que les experts ont également indiqué que le mécanisme à l’origine de cet hématome « n’est cependant pas clair mais résulte probablement d’une lésion vasculaire », le lien de causalité direct entre les tentatives de pose de la perfusion et le préjudice subi par la patiente doit être considéré comme établi.
Les dommages qui résultent d’actes de soin courants doivent être regardés comme révélant une faute commise dans l’organisation ou le fonctionnement du service. C’est un cas de faute présumée. Par suite, la gêne fonctionnelle définitive que la patiente conserve au bras droit, évaluée à 6 % par les experts, révèle une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement.
En revanche, il ne résulte pas de l’instruction que la patiente n’aurait pas été correctement surveillée et prise en charge après l’apparition de l’hématome et la faute, sur ce plan, est écartée.
Un burn out établi par un rapport d’expertise et un avis de la commission de réforme apportent la preuve d’une pathologie qui présente un lien direct avec l’exercice des fonctions, et qui est imputable au service (Cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 17 juillet 2020, n° 19NT00607).
Arrêt-maladie. Le fonctionnaire en activité a droit à des congés de maladie en cas de maladie mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions (loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, art. 41, 2°). Il conserve l’intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois, puis ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Toutefois, si la maladie provient d’un accident de service, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident.
Imputabilité. L’imputation au service de la maladie ou de l’accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales.
Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou des conditions de travail de nature à susciter le développement de la pathologie, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service.
Selon l’expertise réalisée le 22 février 2017 par un médecin psychiatre, à la demande du centre hospitalier de Blois, « les éléments classiques du burn out sont réunis : souffrance au travail, difficultés à s’adapter aux exigences nouvelles et grandissantes, à renoncer à une certaine idée de son travail d’infirmière, sentiment d’impuissance et d’humiliation ». Ce médecin ajoute : « Il n’y a pas tellement de doutes quant au lien direct entre la souffrance de cette dame et les conditions dans lesquelles elle a exercé son travail au centre hospitalier de Blois », et il joint des certificats médicaux de confrères allant dans le même sens. La commission de réforme, dans sa séance du 7 juin 2017, a émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de la soignante, à compter du 10 avril 2014, et a estimé que son état était consolidé à la date de la tenue de la commission avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 15 %.
L’infirmière, qui dispose d’un rapport d’expertise et d’un avis de la commission de réforme qui sont favorables à sa revendication, doit être regardée comme rapportant la preuve de ce que sa pathologie, qui présente un lien direct avec l’exercice de ses fonctions, est imputable au service.