L'infirmière n° 003 du 01/12/2020

 

EXERCICE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

ORGANISATION

Séverine Charon  

Dans le contexte de la crise sanitaire, un décret du 19 mars a autorisé le télésoin, à titre dérogatoire, par les infirmières libérales. Comment la profession s’est-elle saisie de cette opportunité ?

Avec la parution de ce décret, le gouvernement a permis la réalisation du télésoin par les infirmières libérales (Idels), mais uniquement pour la surveillance à domicile des patients atteints du Covid-19 ou suspectés d’être infectés. Autorisé « de manière dérogatoire et transitoire » initialement jusqu’au 31 mai, la possibilité de télésuivi a été prolongée à deux reprises jusqu’au 30 octobre. Dans ce cadre, il est pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale. À l’origine, le télésoin est né de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Il a fait l’objet d’une fiche sur les critères d’éligibilité des patients, publiée en septembre par la Haute autorité de santé (HAS), qui planche actuellement sur le bon usage et la qualité des pratiques. Après la publication des textes actant la mise en œuvre du télésoin, viendront les négociations conventionnelles pour la tarification de ces actes.

UN NOMBRE D’ACTES EN AUGMENTATION

Concrètement, sur prescription d’un médecin, un patient Covid ou suspecté d’être infecté peut avoir accès à un suivi à distance, à raison de deux actes quotidiens pendant une semaine, en général. Les statistiques de l’Assurance maladie attestent que le recours au télésoin, sans connaître le boom de la téléconsultation, n’est pas non plus négligeable. Près de 1 500 actes ont été enregistrés la semaine du 30 mars et 3 800 la semaine suivante… Dans la seconde partie du confinement, 6 000 à 7 000 actes hebdomadaires ont été enregistrés par la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), soit environ 500 patients, à raison de deux actes par jour pendant sept jours. Le nombre d’actes a baissé à partir de la mi-mai, se stabilisant entre mi-juillet et mi-septembre à un peu moins de 1 000 par semaine. Plus de 68 000 actes avaient alors été pris en charge par la Cnam, soit environ 5 000 patients. Rien ne permet de savoir, en revanche, quel canal a été utilisé (appel vocal, appel vidéo, logiciel ou application dédiée de vidéotransmission).

PRIORITÉ À LA VIDÉO

Initié dans l’urgence, le télésuivi a souvent été effectué par téléphone ou par appel vidéo, via WhatsApp, par exemple. De l’avis des Idels, la vidéo, qui suppose à la fois que le patient ait un smartphone ou un ordinateur et un accès Internet, “intimide” les plus âgés, pas toujours habitués à ce mode de communication dans leur vie quotidienne. Au printemps, le télésuivi a donc souvent consisté pour les Idels à appeler deux fois par jour les malades en déroulant avec eux un questionnaire Covid. Toutefois, au téléphone, difficile de recueillir autant d’informations que par vidéotransmission : impossible de voir comment le patient se comporte ou se déplace, par exemple. À l’avenir, « la vidéo sera nécessaire pour la prise en charge à distance », indique la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Le télésoin par téléphone n’est donc pas une solution pérenne, et les échanges par SMS et vidéo sont déconseillés pour des raisons de sécurisation des données.

LA JUNGLE DES LOGICIELS

Mais comment s’y retrouver dans la multitude d’outils de vidéotransmission ? Le site du ministère de la Santé propose un inventaire des « outils numériques de télésanté » qui comporte pas moins de… quatre-vingt-dix propositions pour la téléconsultation. Ce recensement est le résultat d’une procédure d’autoréférencement, dans le cadre de laquelle les éditeurs énoncent les caractéristiques de leur outil et son degré de sécurisation. D’ailleurs, dans cette liste, le ministère de la Santé « invite ceux qui constateraient des anomalies à les communiquer » et précise que certaines déclarations ont effectivement été modifiées. Dans le cadre de l’élaboration de l’Espace numérique en santé (ENS), un modèle de recensement des outils plus robustes va voir le jour, mais pas avant 2022. Alors, d’ici là, comment faire le tri ? Pour les Idels ayant assuré un télésuivi pendant la crise sanitaire, les questions à se poser avant de choisir son logiciel sont : le télésoin sera-t-il exercé depuis le cabinet ou le domicile ? L’Idel aura-t-elle accès à un ordinateur, ou le télésoin sera-t-il intégré à la tournée, ce qui nécessite un accès à l’outil depuis un smartphone ou une tablette ? Le patient doit-il télécharger une application ou cliquer sur un lien sécurisé reçu par SMS ou mail ? L’outil permet-il de rédiger un compte-rendu ? Comment va-t-il être intégré au dossier et communiqué au médecin prescripteur ?

La facilité d’accès et d’utilisation pour le patient sont des critères de choix primordiaux. Les Idels estiment d’ailleurs que l’envoi d’un lien sur lequel le patient n’a plus qu’à cliquer est préférable à la saisie de plusieurs codes, comme c’est souvent le cas avec certains outils très sécurisés.

Une autre question qui vient également se poser concerne l’organisation logistique. Mais dans la mesure où les actes de télésuivi n’ont jusqu’ici été mis en œuvre que pour les patients Covid, il n’y a pas encore d’organisation type qui se dessine. « Le télésoin a commencé dans l’urgence, c’était un exercice d’improvisation. L’objectif était au départ de décharger un peu les tournées en présentiel, mais ensuite, il y a eu la volonté de renforcer le suivi de certains patients le soir, voire la nuit », explique Carine Lager, Idel dans la région d’Avignon, qui s’est détachée de sa tournée pendant le confinement pour rejoindre une brigade Covid et réaliser une partie du suivi des patients en distanciel.

OUTILS PAYANTS OU GRATUITS

La solution de facilité pourrait être d’adopter l’option téléconsultation/télésoin de son logiciel métier. My Agathe e.motion propose cette fonctionnalité sur l’application smartphone téléchargée par l’Idel. Pour Simply Vitale, l’outil de téléconsultation est intégré à la tablette. Mais la facilité se paie quelques dizaines d’euros par mois, alors qu’il existe par ailleurs des outils gratuits, comme celui de téléconsultation/télésoin Leah, qui a été développé par une start-up financée par la MACSF et qui est accessible sans frais dans sa version de base depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Comme pour les solutions des logiciels métier, le patient n’aura qu’à cliquer sur un lien envoyé par l’infirmière.

En fonction de la région d’exercice, il existe d’autres possibilités, que le fichier du ministère permet d’identifier. Inzee.care, une plateforme de mise en relation entre Idels, établissements et patients, propose un outil de télé consultation/télésoin payant (19,99 euros/mois) de couverture nationale. Six Unions régionales des professionnels de santé (URPS) infirmiers ont d’ailleurs passé des accords avec la plateforme, et l’accès est gratuit pour les Idels de ces régions.

Mais quel que soit l’outil choisi par l’Idel, la question de saisie du compte-rendu, de sa transmission au médecin qui a prescrit le suivi, et de la communication avec son propre logiciel métier va se poser. Aujourd’hui, l’envoi par messagerie sécurisée semble incontournable. À moins, comme la plupart des Idels qui ont déjà assuré un télésuivi de patients Covid, de faire partie d’une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) au sein de laquelle les échanges avec les autres professionnels de santé sont facilités. « L’important n’est pas de choisir un outil mais de se mettre d’accord. Cela pousse les professionnels à communiquer entre eux », souligne la DGOS.

À l’horizon 2022, avec l’Espace numérique en santé, les divers outils devront justement savoir communiquer entre eux et permettre de manière aisée et sécurisée l’échange de documents.

Liens utiles

• Les outils numériques de télésanté du site du ministère de la Santé. Disponible en ligne sur : bit.ly/365EbXY

• Télésoin, les critères d’éligibilité de la Haute autorité de santé. Disponible sur : bit.ly/2TX15Lu

AVIS D’EXPERT

La question de la traçabilité des actes ne doit surtout pas être négligée

Nicolas Gombault, directeur général délégué du groupe MACSF

« Pour exercer dans le cadre du télésoin, il y a des prérequis que rappelle la Haute autorité de santé (HAS) : il faut pouvoir s’installer dans des locaux calmes, et qui permettent d’échanger avec le patient en respectant la confidentialité. Il faut au préalable veiller à informer la personne sur les modalités pratiques de l’acte et utiliser des outils numériques adaptés. Étant donné les circonstances de crise sanitaire et de confinement, les conditions dérogatoires ont autorisé l’usage du téléphone. C’est compréhensible, mais il ne faut pas négliger le fait que par téléphone, on recueille moins d’informations sur le patient. Enfin, qu’il s’agisse de soins dispensés par téléphone ou par vidéotransmission, la question de la traçabilité des actes ne doit surtout pas être négligée. Tout acte doit être systématiquement mentionné au dossier du patient, comme c’est le cas pour les soins en présentiel. Il ne faut jamais omettre d’enregistrer un compterendu dans le dossier du patient, et dans son Dossier médical partagé (DMP), s’il existe. Ce point est indispensable au bon suivi du patient et à l’information du médecin, mais également dans le cas d’une recherche de responsabilité. »

Savoir +

Les tarifs conventionnels applicables aux actes à distance.

L’acte de télésuivi pour le suivi à distance des patients par les Idels a été autorisé en mars pour les patients Covid avec une cotation AMI 3,2. Les autres actes à distance sont tous relatifs à l’accompagnement à la téléconsultation, où l’Idel est au côté du patient, en liaison avec un médecin (TLD-TLL-TLS).

TÉMOIGNAGE

Je me suis consacrée au télésoin depuis mon domicile

Sylvie Bigaré, infirmière libérale à Verny (Moselle)

« J’exerce en cabinet avec deux collègues, et j’appartiens depuis un an à une équipe de soins primaires (ESP). Je travaille en secteur semi-rural, où la population est assez âgée, et dans une région fortement touchée par l’épidémie de Covid au printemps. J’ai dispensé des télésuivis par téléphone, par WhatsApp, et j’ai aussi eu recours à une plateforme sécurisée. Certaines d’entre elles étaient alors disponibles gratuitement. Plusieurs principes ont guidé le choix de l’outil : le téléphone est le seul moyen possible si le patient n’a pas de smartphone ou d’ordinateur, et en l’absence de couverture Internet. C’est aussi plus adapté pour les patients les plus âgés. Il ne faut toutefois pas négliger qu’échanger avec le patient en visuel est vraiment très important. J’ai commencé le 21 mars le télésuivi des patients Covid, et comme j’appartiens à cette ESP, j’ai accès au logiciel métier des médecins. J’ai donc pu prendre connaissance des patients éligibles à cette surveillance. Je réalisais un suivi matin et soir avec un questionnaire Covid qui évoluait au fils des jours, en fonction de ce qu’on apprenait sur la maladie. Les réponses apportées par le patient pouvaient entraîner une alerte qui déclenchait un suivi infirmier à domicile. Une collègue se rendait alors sur place et faisait part de ses observations au médecin traitant qui, s’il le jugeait nécessaire, décidait de faire hospitaliser son patient. Au sein de mon cabinet, je suis celle qui s’est consacrée au télésoin depuis mon domicile. »

LE CARNET DE BORD DE MARIE-CLAUDE DAYDÉ, infirmière libérale

[Cotation]

En dehors des tests antigéniques rapides, pour la facturation des autres tests Covid à domicile, comment s’y reconnaître dans les cotations ? D’autant qu’à domicile, cela change aussi dans le cadre d’un suivi spécifique d’un patient Covid ou non.

Dans le cadre du Covid, le prélèvement sanguin ou nasopharyngé réalisé en tant qu’acte unique à domicile est coté AMI 4,2. Un prélèvement salivaire ou oropharyngé est coté, lui, AMI 2,6. À cela s’ajoutent les frais de déplacement. Si cet acte à domicile est effectué avec une séance de suivi d’un tel patient, la cotation est AMI 5,8 + MCI (suivi) + AMI 1,5 (RT-CR ou sérologie) + frais de déplacement. Lorsqu’il y a cumul d’un RT-PCR + sérologie à domicile, il convient de coter AMI 4,2 + AMI 1,5 (taux plein dans la limite de deux actes maximum). Enfin lorsque le test est réalisé avec un acte prescrit (hors Covid), l’acte est coté normalement et s’y ajoute un AMI 3,1 à taux plein. Lorsqu’il s’agit de cotations en AIS ou BSI, l’AMI 3,1 s’ajoute également à taux plein. Et dans les deux cas, ce taux plein est toujours dans la limite de deux actes. Tous ces tests de dépistage du Covid-19 relèvent d’une prise en charge à 100 % par la Cpam.

[Vu]

À PROPOS D’ARRÊTS MALADIE DES PROFESSIONNELS LIBÉRAUX

Adopté à l’Assemblée nationale le 23 octobre dernier, un amendement au projet de budget 2021 de la Sécurité sociale prévoit d’indemniser les professionnels libéraux en cas d’arrêt de travail pour maladie, dès les trois premiers mois d’arrêt. Si cela paraît logique pour les salariés, il faut savoir qu’actuellement les professions libérales de santé ne bénéficient de ces indemnités qu’au 91e jour d’arrêt de travail, sauf à avoir souscris une assurance privée. Le Covid et les arrêts maladie, notamment des médecins et des Idels contaminés, ont mis en lumière cette « anomalie »… Les caisses ont pris en charge ces arrêts à hauteur de 72 €/jour pour les Idels. Les cotisations obligatoires ne couvrent pas non plus les accidents de travail et maladies professionnelles qui relèvent, là aussi, d’une assurance volontaire supplémentaire recouvrée par l’Urssaf et assez onéreuse.

Ce nouveau dispositif devrait voir le jour en juillet 2021, assorti, très probablement, d’une augmentation de nos cotisations auprès de la caisse vieillesse qui gère le versement de ces indemnités… Dommage !