Lancé il y a un an à Rennes, le dispositif « Ehpad hors les murs », porté par l’Ehpad Saint-Louis et coordonné par une infirmière, vise à permettre à des personnes âgées dépendantes de se maintenir le plus longtemps possible à domicile, tout en bénéficiant d’un accompagnement renforcé.
Immobile dans son canapé, Jean, 88 ans, ne réagit pas lorsque Andrea Léon arrive chez lui pour sa séance de stimulation cognitive. D’une voix douce et calme, l’assistant de soins en gérontologie (ASG) l’invite à s’asseoir à la table de la salle à manger où il lui présente des cartes représentant des objets que le vieil homme doit reconnaître et épeler sur une feuille de papier. Depuis un an, l’équipe mobile de l’Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Saint-Louis, à Rennes, dont Andrea Léon fait partie, se rend trois fois par semaine dans ce petit appartement cosy d’un quartier populaire, situé à une dizaine de minutes de la structure. L’objectif : proposer une alternative à l’entrée en Ehpad à des personnes âgées dépendantes, en complément de l’accompagnement jusque-là mis en place à domicile. L’expérimentation est née en 2018, à l’occasion d’un appel à projet lancé par l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne portant sur les innovations organisationnelles. « Nous avons conçu l’Ehpad hors les murs afin de proposer un dispositif renforcé à domicile pour les personnes âgées. C’est le fruit d’une collaboration étroite entre notre structure et les acteurs locaux du domicile, au premier plan desquels l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR) Rennes, le Centre communal d’actions sociales (CCAS) 35 et l’association Assia du réseau de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) », détaille Rémi Locquet, directeur de l’Ehpad Saint-Louis et du service intégré d’Ehpad hors les murs. L’expérimentation s’adresse ainsi à des personnes âgées dépendantes, résidant dans l’agglomération rennaise. Exit donc les personnes dont le niveau de dépendance n’est pas un frein pour le maintien à domicile (GIR 5 et 6). Les modalités d’entrée dans le dispositif, quant à elles, sont variées. Ce peut être à l’occasion de l’orientation par l’un des partenaires, d’une demande d’entrée en Ehpad lorsqu’un maintien à domicile s’avère possible ou encore au décours d’une hospitalisation.
Depuis septembre 2019, date du lancement de l’expérimentation ministérielle, 40 personnes ont été accompagnées, dont 25 le sont toujours. Certaines, comme Jean, vivent avec un proche aidant, d’autres, en revanche, qui représentent la grande majorité, résident seules ; 10 % d’entre elles étant totalement isolées. Un constat d’autant plus notable qu’inattendu pour l’équipe. « J’ai été frappé par l’isolement social de certains usagers et le niveau de délaissement à domicile. Je ne m’attendais pas du tout à autant de précarité », confesse Andrea Léon, troublé d’avoir tenté de réanimer en vain un homme qui faisait une crise cardiaque chez lui. Hormis la dépendance et l’isolement, le bénéficiaire doit déjà être pris en charge par l’un des partenaires de services d’aide à domicile de l’Ehpad. L’expérimentation s’inscrit dans une prise en charge plus large qui inclut aussi bien les acteurs du domicile que l’hospitalisation à domicile (HAD), les équipes mobiles de soins palliatifs du territoire, les associations favorisant le transport des personnes âgées ou les prestataires de portage de repas. « Il ne s’agit pas de se substituer au travail des acteurs déjà présents, mais de proposer une offre complémentaire à ce qui existait précédemment », insiste le directeur de l’établissement. Les interventions de l’équipe mobile de l’Ehpad hors les murs, constituée de trois ASG, sont ainsi essentiellement centrées sur des activités (loisirs, sorties, esthétique, etc.) et des accompagnements à visée thérapeutique. Le dispositif prévoit également l’intervention, à la demande, d’un psychologue et de l’ergothérapeute de l’Ehpad Saint-Thomas de Villeneuve de Rennes qui peuvent décider, en accord avec le médecin coordonnateur de l’équipe, de procéder à l’adaptation du logement. Enfin, pour les personnes seules, une sécurisation du domicile, via un système de télésurveillance 24 heures sur 24 et un système d’astreinte la nuit permet d’alerter en cas de situation anormale (chute, localisation).
UNE IDE AUX MANETTES
Depuis son bureau spécialement aménagé dans une enceinte de l’Ehpad Saint-Louis, où elle passe désormais le plus clair de son temps, Sandrine Taffary pilote l’ensemble des opérations. Infirmière dans la structure depuis 2012, la jeune femme a, depuis un an, la responsabilité de mettre en musique, au côté du médecin coordonnateur, toutes les interventions de l’équipe mobile à domicile, ainsi que celles de l’ergothérapeute et du psychologue. « Il s’agit avant tout d’articuler nos visites avec celles des autres intervenants extérieurs. Pour certains usagers, dont la prise en charge est très lourde, c’est un vrai soulagement de pouvoir compter sur nous pour organiser leur emploi du temps », constate la soignante. À cette mission de coordination s’ajoute la participation et l’animation de temps institutionnels, à travers la tenue d’une commission d’admission mensuelle regroupant le directeur de la structure et les représentants des partenaires. Un travail pluridisciplinaire qui doit permettre de trouver des solutions personnalisées aux problématiques de chaque bénéficiaire. « Cette prise en charge vise à éviter de glisser dans la grande dépendance tout en respectant le choix des personnes de vivre dans leur sphère sociale. L’idée est aussi d’échapper à des hospitalisations, grâce à un encadrement plus renforcé qui nous permet d’identifier les fragilités et d’anticiper les problématiques », applaudit Rémi Locquet.
L’enjeu de ces temps de rencontres transversales est également de faire tomber les craintes qui peuvent encore exister entre les professionnels de l’aide à domicile et les institutions. « Un tel projet bouscule forcément les habitudes. C’est la première fois que nous sommes amenés à travailler ensemble. Si, au départ, il y a pu y avoir des réticences, nous avons bien cheminé en un an pour créer une culture commune », se réjouit le directeur. Échanger, évaluer, croiser les regards, s’enrichir mutuellement… tout cela pour éviter au maximum les situations de rupture de la personne et les pertes de chances qui y sont liées. Sur le papier, la proposition ne manque pas d’intérêt, mais tient-elle vraiment ses promesses ? « Quand il s’agit d’une altération lente de l’usager, nous parvenons généralement à anticiper sur les dépendances physiques et cognitives ; ce qui nous permet d’apporter une réponse rapide », note Sandrine Taffary. « Plus de sérénité », « plus de fluidité dans l’accompagnement », « moins de conflits avec les aidants, les bénéficiaires… » De leur côté, les personnes âgées prises en charge semblent également apprécier le dispositif. C’est du moins en ces termes que dix d’entre eux et leurs proches se sont exprimés lors de la première commission d’usagers organisée début octobre. Une impression générale confirmée par Yvette, l’épouse de Jean qui, à 90 ans, s’occupe jour et nuit de son mari. « C’est rassurant d’avoir des professionnels qui viennent nous voir chez nous. Mis à part le week-end, il y a tous les jours quelqu’un qui passe. Cela me permet de faire autre chose, de sortir pour aller au marché. » Reste que le dispositif ne convient pas à tous les aidants. Andrea Léon se souvient ainsi d’une candidate dont le dossier a été refusé, faute d’adhésion de sa fille. « Si s’occuper de sa mère était épuisant pour elle, elle avait peur de “vivre comme en Ehpad”. C’est vrai que cette intrusion à domicile peut être difficile à vivre pour certaines personnes, même si la plupart d’entre elles s’y font très vite. »
Côté budget, après avoir fonctionné grâce à une dotation de l’ARS de 150 000 euros pendant deux ans, depuis octobre, le dispositif bénéficie d’un financement ministériel sur trois ans, sous forme d’un forfait de 1 004 euros par personne accompagnée. De quoi permettre une montée en charge du dispositif, et passer de 20 à 40 bénéficiaires. L’équipe va aussi s’enrichir d’une quatrième ASG, d’un temps d’assistante sociale (0,20 ETP) et de postes de nuit (1,5 ETP), un service jusqu’alors assuré par l’ADMR Rennes. « L’objectif, avec ces moyens humains supplémentaires, est de combler les “vides” de début et de fin de journée, de sorte que le seul moment où l’équipe n’intervient pas, c’est durant les journées du week-end », explique Rémi Locquet. Parallèlement, le directeur souhaite aller plus loin en « aidant les bénéficiaires à la rénovation structurelle » et proposer la mise en place d’un portage de repas dès 2021. Sandrine Taffary, elle, accueille ce nouveau rôle de coordinatrice avec enthousiasme. « Cette opportunité s’est présentée à un moment où j’avais envie de faire moins de soins d’hygiène, avouet-elle. Grâce à ce poste, j’ai troqué les gestes techniques au profit d’un accompagnement plus global et personnalisé. Bien m’en a pris car je peux dire qu’aujourd’hui j’ai retrouvé un élan professionnel. »
L’Ehpad hors les murs de Rennes n’est pas la seule initiative de ce type en France. Outre les 22 autres expérimentations issues du même appel à projet, il existe d’autres types de dispositifs ou de modalités d’organisation proposant un “bouquet de services” de soins ciblant les personnes âgées en situation de fragilité ou en perte d’autonomie vivant à domicile(1). Qu’ils s’appellent « Ehpad hors les murs », « Ehpad nouvelle génération », « plateforme de service pour le soutien à domicile » ou « Ehpad de demain », ces dispositifs ont en commun de vouloir réformer le modèle actuel des Ehpad. Leur ambition ? Apporter au domicile tout le nécessaire des services de soins, de sécurité, d’aide dans les actes de la vie quotidienne et le lien social pour des personnes âgées dépendantes. Si les services de soins et d’aide à domicile (SSIAD, SPASAD, HAD, SAAD…), de par leur présence active sur le territoire, s’avèrent être des candidats sérieux pour ce rôle, de plus en plus d’opérateurs d’Ehpad, du secteur privé lucratif et non lucratif, s’engagent dans ce type de démarche. La majorité de ces initiatives ayant vu le jour après 2017, aucune évaluation médico-économique n’est toutefois encore disponible. Mais quelle que soit l’issue d’une telle évaluation, ces dispositifs ont déjà le mérite de proposer une alternative aux institutions qui souffrent, et ce particulièrement depuis la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, d’une mauvaise image auprès du grand public.
• L’Ehpad hors les murs est une expérimentation lancée à Rennes en 2018, qui s’adresse aux personnes âgées dépendantes en complément de l’aide à domicile.
• La coordination des différentes actions de tous les professionnels est assurée par une infirmière qui fait le lien avec les services d’aide à domicile.
• Le rôle de coordination offert par ce type de dispositif représente une opportunité professionnelle pour les infirmières exerçant en Ehpad.
Dans le cadre du dispositif national dit de « l’article 51(2) », introduit par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) de 2018, l’expérimentation d’« Ehpad hors les murs » fait suite à des travaux menés depuis septembre 2019 par la Croix-Rouge française, la Mutualité française et le groupe Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve (HSTV), dont dépend notamment l’Ehpad Saint-Louis de Rennes. Cette consultation a donné lieu à l’écriture d’un cahier des charges, qui a permis la mise au point d’un modèle commun reposant sur trois principes : la coordination des acteurs et dispositifs intervenant à domicile, l’apport des expertises gériatriques de l’Ehpad au domicile et la sécurisation de la personne à son domicile, via l’installation d’objets connectés adaptés à ses besoins. Lancée en octobre dernier, l’expérimentation nationale bénéficie d’une enveloppe globale.
1. « Maintien à domicile : vers des plateformes numériques de services ». Étude réalisée par le cabinet Alogia pour le compte de la banque des territoires du groupe Caisse des Dépôts, présentée le 15 janvier 2020. Disponible en ligne sur : bit.ly/36IT0jD
2. Dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financements inédits. Plus d’informations sur : bit.ly/2K8WSTb