NOÉMIE BANES : DERNIÈRE LUTTE AVANT PRIVATISATION - Ma revue n° 003 du 01/12/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 003 du 01/12/2020

 

JE DIALOGUE

Adrien Renaud  

Depuis septembre, elle est le nouveau visage du collectif Inter Urgences. Rencontre avec une infirmière qui croit en la mobilisation pour changer l’hôpital, mais qui sait aussi que le temps est compté…

L’infirmière : Comment es-tu arrivée à la présidence du collectif Inter Urgences ?

Noémie Banes : En juin 2019, mon service est entré en grève avec le collectif. Ça s’est passé à un moment où je voulais quitter l’hôpital public, j’en avais assez. Et quand j’ai découvert le collectif, l’envie de me battre est revenue. J’y ai été active pendant un an en tant que représentante aux urgences d’Oloron- Sainte-Marie, puis j’ai voulu m’investir davantage. Je me suis donc rendue à l’Assemblée générale en septembre, à Paris, et je me suis présentée au Conseil d’administration, où j’ai été élue. Certaines personnes m’ont alors incitée à me porter candidate pour la présidence. Ça s’est fait un peu naturellement.

L’infirmière : Traditionnellement, la profession infirmière ne revendique pas beaucoup. Pourquoi, à ton avis ?

NB : Je pense que beaucoup de soignantes sont désa busées. Cela fait des années que l’on se mobilise sans être entendues. Puis elles se disent que ça ne sert à rien de se mettre en grève, parce qu’on travaille quand même, et que la population ne le voit pas : ce n’est pas comme à la SNCF où quand il y a grève, il n’y a pas de train.

L’infirmière : Est-ce que le fait que la profession est habituée à la discrétion joue un rôle dans cette faible mobilisation ?

NB : Oui, quand on essaie de prendre des décisions, de faire avancer des projets, de les proposer à nos direc tions, nous ne sommes pas écoutées. Parce qu’on vient du terrain, qu’on est considérées comme du petit personnel, on a l’impression de ne pas avoir la légitimité. Et pourtant, nous avons des idées qui pourraient améliorer notre quotidien. Il y a quelques années, par exemple, avec une association dont je suis trésorière, j’ai voulu mettre en place, pour l’accueil des enfants aux urgences, un système de brancardage avec des voiturettes électriques, comme cela se fait pour les blocs opératoires. On avait les financements et on avait rédigé un projet, mais cela a été refusé parce qu’une cadre d’un autre service voulait faire la même chose. On m’a alors dit de laisser d’abord faire cette cadre avec la direction. Sauf qu’elle n’avait pas les financements… Résultat, rien n’a été mis en place nulle part.

L’infirmière : Malgré cette réticence de la profession à se mobiliser, depuis deux ans le collectif semble avoir réussi à instaurer une dynamique. Qu’est-ce qui a, selon toi, rendu cela possible ?

NB : Lorsque le collectif a été créé, en 2019, il y avait un ras-lebol général de la profession face à des problématiques que nous rencontrions tous : hospitalisations-brancards, manque de lits, de moyens, de personnel… Beaucoup de paramédicaux voulaient partir. Alors que certains l’ont fait, d’autres ont senti un nouvel élan et se sont dit : « Allez, j’essaie une dernière chose pour l’hôpital public, et on verra. »

L’infirmière : Penses-tu que des modes d’action nouveaux, voire choquants, comme lorsque certains se sont injecté de l’insuline devant le ministère de la Santé, a aussi fait partie de ce nouvel élan ?

NB : Ces actions-choc avaient pour objectif de faire réagir, et cela a bien fonctionné. Je pense qu’il y en aura d’autres.

L’infirmière : Le collectif a fait des petits : Inter Hôpitaux, Inter Blocs… Et c’est de lui qu’est née la grande grève d’avant l’épidémie. Tu penses que c’est déjà un succès ?

NB : Oui, je pense que c’est notre collectif qui a poussé et qui pousse à la création de nouvelles structures. C’est super car nous travaillons ensemble, et nous avons pu faire entendre la voix des paramédicaux. Je ne suis pas sûre que sans Inter Urgences, le Ségur aurait eu lieu, même si on n’y a pas été conviés, et même s’il découle avant tout de la crise sanitaire.

L’infirmière : Mais les revendications initiales du collectif ne sont toujours pas satisfaites, que ce soit sur les créations de postes, les ouvertures de lits, les salaires…

NB : On ne peut pas dire que le bilan est totalement positif, mais on ne peut pas dire non plus qu’il est totalement négatif. Niveau rémunération, on demandait une augmentation de 300 euros, et on va obtenir 183 euros. C’est déjà une avancée. Mais nous ne sommes toujours pas dans la moyenne européenne, et les soignants continuent de quitter l’hôpital.

L’infirmière : Justement, ne trouves-tu pas qu’il y a une contradiction à demander des ouvertures de postes, alors qu’il y en a qui ne trouvent pas preneur ?

NB : C’est pourquoi la question du salaire est devenue centrale. Pour éviter les hospitalisations-brancards, pour avoir des lits, il faut du personnel. Et pour cela, il faut le payer correctement.

L’infirmière : Tu demandes plus de moyens pour l’hôpital, alors que l’économie est très contrainte. Faut-il augmenter les impôts pour satisfaire les demandes du collectif ?

NB : Il y a des dépenses inutiles qui sont faites depuis des années. Sur les transports sanitaires, entre autres, il y a des abus qui coûtent très chers. On ne peut pas accepter qu’une fracture du poignet d’un jeune mobilise quatre pompiers, par exemple. Et il y a beaucoup d’autres exemples comme celui-ci.

L’infirmière : Ce n’est cependant pas uniquement avec des économies sur les transports sanitaires qu’on va réussir à augmenter le nombre de lits et de soignants…

NB : La question est de savoir si on veut un système de santé qui tienne le coup ou si on laisse tomber l’hôpital public. Si on n’y met pas les moyens, on court à la catastrophe. On risque la privatisation, et j’en viens à me demander comment je serai soignée quand je serai vieille.

L’infirmière : Le collectif a déposé une plainte contre X pour la gestion de la crise sanitaire. Étant donné la vitesse de la justice, en quoi est-ce que cela va, selon toi, améliorer le quotidien des paramédicaux ?

NB : Il est certain que cette procédure ne va pas directement améliorer la situation des soignants, mais c’est un devoir de mémoire. Nous voulons montrer qu’il y a eu des défaillances au niveau de l’État, qui ont conduit à des manques de moyens et ont coûté la vie à certains personnels. Il faut que les responsables soient désignés et qu’une organisation nouvelle soit mise en place. Nous ne voulons pas oublier ce qui s’est passé.

L’infirmière : Quelles seront les stratégies du collectif pour améliorer la situation à plus court terme ?

NB : Nous rencontrons des sénateurs et des députés pour qu’ils entendent la voix du terrain, pour leur donner des billes afin d’élaborer un projet de santé en vue de 2022. Nous voulons que les candidats puissent avoir un vrai aperçu de la situation et des orientations sur lesquelles il faut travailler.

L’infirmière : Tu annonces donc que le mouvement va s’institutionnaliser, s’embourgeoiser ?

NB : D’un côté nous menons ce travail de fond auprès des politiques, et de l’autre, des actions pour alerter et dénoncer la situation des urgences. Sans les contraintes sanitaires, nous serions d’ailleurs déjà redescendus dans la rue !

POURQUOI ELLE

Depuis 2019, le collectif Inter Urgences a insufflé un renouveau sur les mobilisations infirmières et se trouve à un tournant de son existence : son charismatique leader Hugo Huon a cédé la place à Noémie Banes. Une infirmière remplace un infirmier, une soignante de région remplace un Parisien… De la crise sanitaire en cours à la crise budgétaire qui s’annonce, les nuages s’amoncèlent au-dessus de l’hôpital public. La nouvelle présidente du collectif sera certainement l’une des voix qui comptent dans les prochains mois, voire les prochaines années.

BIO EXPRESS

2005 Entame ses études d’infirmière à Toulouse.

2008 Divers postes en intérim à Toulouse.

2010 Entre aux urgences de l’hôpital d’Oloron- Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques.

2019 Adhère au collectif Inter Urgences, qu’elle représente au niveau de son établissement.

2020 Élue présidente du collectif.