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REVUE DE LA LITTÉRATURE
En France, le recours à la contention dans les services de réanimation est fréquent. Les contentions physiques, type attaches-poignets, sont même utilisées presque automatiquement chez les patients intubés-ventilés(1). Selon l’Agence régionale de santé (ARS), le terme de contention recouvre « tous les moyens mis en œuvre pour limiter les capacités de mobilisation de tout ou une partie du corps »(2). Elles sont mises en place pour diminuer les risques liés à l’agitation (chute, désinsertion de cathéters…) et principalement pour éviter l’auto-extubation des patients. Mais leur efficacité est contestée car, d’une part, elles ne permettent pas toujours d’éviter l’arrachement des dispositifs médicaux(3) et ne préviennent pas l’auto-extubation(4), et, d’autre part, le recours aux contentions physiques a également été identifié comme un élément qui pouvait aggraver un état d’agitation(5).
Dès lors, les infirmières jouent un rôle primordial dans leur gestion puisqu’elles les mettent en place et en assurent la surveillance. Pour la plupart d’entre elles, les contentions physiques se justifient pour assurer la sécurité des patients. Néanmoins, elles sont aussi parfois maintenues par habitude alors qu’elles ne sont pas nécessaires et sont installées et levées sur des critères subjectifs(6).
La question de la contention physique représente donc un véritable dilemme pour les soignantes avec, d’un côté, l’obligation de protéger les patients, et de l’autre, la nécessité de respecter leurs libertés individuelles et leur dignité. On peut également s’interroger sur le caractère parfois abusif de la systématisation de sa mise en place, car bien qu’elle se fasse sur prescription médicale, elle repose le plus souvent sur le jugement clinique de l’infirmière. Alors, sur quels éléments la professionnelle de santé se base-t-elle pour justifier de la pertinence de cette mise en œuvre ? Existe-t-il des outils d’aide à la décision à sa disposition ?
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une recherche bibliographique en retenant trois moteurs de recherche de données bibliographiques : PubMed, ScienceDirect et EM Premium. Puis, nous avons identifié les mots-clés avec la méthode PICO (Patient, Intervention, Compare to, Outcome). Pour faire les recherches sur PubMed, les mots ont ensuite été traduits en termes anglo-saxons du thesaurus de référence, les MeSH (Medical Subject Headings). Le site HeTOP a permis d’en retrouver les synonymes parmi la liste de MeSH :
Trois équations de recherche ont été développées avec l’opérateur booléen « AND » pour regrouper les mots-clés et clarifier la qualité des résultats. Nous avons également utilisé l’astérisque pour appeler tous les termes ayant la même racine. (Nurse* = nurse, nurses, nursing) :
→ Critical Care [MeSH] AND Restraint, Physical [MeSH] a permis de sélectionner un grand nombre d’articles, notamment sur la contention, son utilisation, les motifs de mise en place ainsi que ses répercussions.
→ Critical Care [MeSH] AND Restraint, Physical [MeSH] AND Mechanically ventilated [MeSH] a permis d’extraire plusieurs ressources bibliographiques sur les patients intubés-ventilés contenus, les patients intubés-ventilés agités contenus, ainsi que sur la ventilation.
→ Nurse* [MeSH] AND Critical Care [MeSH] AND Restraint, Physical [MeSH] AND Decision Support Technique* [MeSH] a affiné un peu plus la recherche et identifié notamment les articles qui traitaient des outils décisionnels pour les infirmières en service de réanimation, en lien avec la contention.
Grâce à cette méthode, nous avons pu au final retenir 19 articles. Leur sélection s’est faite en plusieurs étapes. Au départ, 172 données ont été identifiées à partir des équations de recherche, sans qu’il ne soit besoin d’ajouter de filtres de date et de langue car le nombre de références était raisonnable. Après lecture de ces titres, 45 articles ont été retenus, puis, après la lecture des abstracts (résumés), 32 ont été conservés. En nous aidant de la grille de lecture proposée par R. Salmi(7), adaptée par Augustyniak C., Berger V. et Bordenave C., la consultation des ces 32 résumés a permis d’en sélectionner 13, et 6 autres ont été ajoutés, à partir des références bibliographiques identifiées, dans les articles retenus (voir le diagramme de flux de la recherche bibliographique ci-dessous).
L’analyse des sources retenues montre la problématique de la fréquence d’utilisation des contentions avec une enquête datant de 2013 menée dans 130 services de réanimation en France, où la contention physique est mise en place par une majorité d’équipes et pour une majorité de patients(1). Nous retrouvons néanmoins des recommandations de bonnes pratiques qui ont été établies pour en limiter l’usage. Celles-ci suggèrent une explication de l’infirmière pour le patient, une réévaluation quotidienne(8) et une surveillance programmée. La mise en œuvre de la contention doit se faire dans le respect de la dignité, de la sécurité et du confort de la personne. De même, elle doit rester l’ultime solution en cas d’échec d’autres méthodes(2), comme les massages(9), la musicothérapie(10), la participation des familles et la communication avec le patient(11). Pourtant, malgré ces recommandations et ces alternatives proposées, le recours aux moyens de contention sans jugement clinique préalable est encore trop fréquent. Un article publié en 2014 met en lumière le fait que les infirmières prennent des décisions en fonction de leur expérience plutôt que d’intégrer des preuves de recherche à la pratique clinique. En outre, une telle réponse, basée sur l’intuition, peut amener les soignantes à décider sans évaluation, ni réflexion appropriée, pouvant générer des préjugés et des erreurs. Par conséquent, malgré l’importance de l’intuition, basée sur l’expérience, il est préconisé que les infirmières intègrent des preuves et évaluent de manière adéquate la situation pour prendre des décisions(6).
Afin de les aider dans leur prise de décision relative à la mise en place des contentions en soins intensifs, une équipe canadienne a élaboré l’outil de la « roue décisionnelle pour la contention » (« Restraint Decision Wheel »), qui fournit à l’infirmière une méthode d’analyse(12). Les résultats de cette étude ont montré une diminution statistiquement significative du recours à la contention. Dans une autre étude publiée en 2016, une équipe américaine a démontré que la roue décisionnelle pour la contention est utile aux infirmières quant à leur prise de décision et aurait fait baisser de 32 % l’utilisation des moyens de contention en soins intensifs(13).
Ces travaux confirment donc l’intérêt de l’utilisation d’un outil décisionnel. Afin de mettre fin à la systématisation des contentions, une évaluation adéquate et une intégration de preuves sont donc nécessaires pour prendre une décision de soins justifiée. Juger de la pertinence de la contention et en évaluer les conséquences en se basant sur des résultats probants ou des critères fiables sont primordiaux. En effet, le recours aux moyens de contention sans jugement clinique préalable comporte plus de risques que de bénéfices. D’autant que les répercussions de la contention physique sont nombreuses :
→ risques physiques pour les patients : lésions cutanées, articulaires, ligamentaires, risques thrombo-emboliques…(14) ;
→ risques psychologiques : la contention peut être vécue comme un traumatisme(15)(16). Des répercussions sur les familles ont également été documentéeset révèlent un sentiment d’impuissance, d’incompréhension et de colère(11).
Aujourd’hui, des outils existent et, selon les études, ils sembleraient être efficaces pour l’aide à la prise de décision par les infirmières et dans la réduction du taux de mise en place des contentions. L’outil choisi, « Restraint Decision Wheel », a déjà été utilisé par des équipes canadiennes et américaines. Il s’agit d’un outil simple, facile d’utilisation et adapté aux spécificités de la réanimation, qui propose des alternatives à la fois efficaces et respectueuses de la personne soignée(12).
L’objectif de ce support n’est pas de supprimer totalement les contentions mais de permetttre d’identifier le moment et/ou la situation la plus appropriée pour les appliquer, afin que le patient ne soit pas immobilisé aussi rapidement et aussi souvent. Il s’agit également d’inciter les professionnelles de santé à réfléchir sur les différentes alternatives à ce dispositif de contention.
Il semble pertinent de se demander si les infirmières françaises vont porter un réel intérêt à cet outil, et s’il sera compris et utilisé.
Grâce à cette méthodologie de recherche bibliographique, nous avons pu aller plus loin dans notre démarche et nous inscrire aujourd’hui dans un réel projet de recherche. Une lettre d’intention a été déposée pour l’appel à projet interrégional de recherche en soins. Il est primordial de réaliser une étude qui permettra d’évaluer l’intérêt pour les soignantes de l’implantation de cet outil décisionnel au niveau d’un service de réanimation.
Une fois une problématique en soins infirmiers posée, la revue de la littérature peut être perçue comme un processus long et douloureux, mais elle est nécessaire et indispensable car elle permet de faire le point sur l’état actuel des connaissances en la matière, et parfois de répondre à la question de départ ou bien de la faire évoluer.
Outre les difficultés rencontrées, ce travail de recherche a permis d’apporter de nouveaux savoirset d’amener une réflexion différente sur sa pratique de soins, tout en contribuant à un enrichissement professionnel.
EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE
ARTICLE RÉALISÉ PAR :
CAMILLE GAYDON-SERRES
infirmière en réanimation, hôpital d’instruction des armées Robert Picqué de Villenave-d’Ornon
L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
COORDINATION :
VALÉRIE BERGER
IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux.
valerie.berger@chu-bordeaux.fr
EMMANUELLE CARTRON
IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR. emmanuelle.cartron@ chu-nantes.fr