L'infirmière n° 005 du 01/02/2021

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Claire Manicot*   David Beausire**   Aude Beausire***   Delphine Blanchard****   Ambre Legentilhomme*****   Laurent Salsac******  


*Médecin coordinateur, HAD de Toulouse (31)
**Infirmière intérimaire, Mont-de-Marsan (40)
***Patiente partenaire diplômée en éducation thérapeutique (38)
****Infirmière hospitalière participant à l’Espace de réflexion éthique des Pays de la Loire, Saint-Nazaire (44)
*****Infirmier libéral en pratique avancée « pathologies chroniques stabilisées, prévention et pathologies courantes », Saint-Pierre-des-Corps (37)

Si la législation française admet un droit au refus de soins, il n’est pas toujours facile pour les soignants d’entendre la volonté des malades. Adopter une approche bienveillante demande de s’appuyer sur une réflexion éthique.

1 COMPRENDRE

EXIT LE PATERNALISME MÉDICAL

Qu’on le veuille ou non, la relation soignant-soigné est asymétrique avec, d’un côté, une personne qui subit la maladie et, de l’autre, un individu en bonne santé qui dispose du savoir. Dès le XIXe siècle, l’approche scientifique a fait du médecin un savant analysant des données anatomopathologistes et posant un diagnostic précis, capable de traiter une pathologie, reléguant dès lors la communication avec le patient au second plan. Tout au long du XXe siècle, la médecine a pu s’enorgueillir de progrès considérables (découverte de vaccins, mise au point d’antibiotiques, d’anticancéreux, transplantation d’organes…). Tous les professionnels de santé ont été formés à l’aune du pouvoir médical, symbolisé par la fameuse blouse blanche. Mais les certitudes de la communauté médicale ont été fortement ébranlées par des scandales sanitaires parmi lesquels les affaires du Distilbène® et du sang contaminé, et l’apparition de nouvelles maladies comme le sida, la maladie H5N1 et, récemment, par la pandémie de Covid-19. Peu à peu, les malades ont pris la parole au sein d’associations et lors des états généraux de la santé en 1998, réclamant une relation plus égale avec le corps soignant.

LE RESPECT DE LA VOLONTÉ DE LA PERSONNE MALADE

La loi de 2002 marque un tournant

Il a fallu attendre le XXIe siècle pour que soit reconnu au patient le droit au consentement pour tout acte médical. Avec la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, relative aux droits des malades, recueillir l’accord du patient est devenu une obligation. Cette loi stipule qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ». Si le patient ne peut exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance, ou à défaut un de ses proches, ait été préalablement consultée. Cette loi de 2002 représente un véritable tournant en ce qu’elle place le respect de l’autonomie et des libertés individuelles au cœur des relations entre le soignant et la personne soignée, s’inspirant de la pensée anglo-américaine. Dans ce cadre, le patient est tout à fait en droit d’accepter ou de refuser les soins.

Les lois sur les soins palliatifs renforcent le droit au refus de soins

L’expression « droit au refus de soins » apparaît pour la première fois dans un texte législatif datant de 2005, avec la loi Leonetti sur les soins palliatifs. Ce droit pour les personnes en fin de vie sera encore renforcé en 2016 par la loi Claeys-Leonetti. Le législateur a fait disparaître l’obligation pour le médecin « de tout mettre en œuvre pour convaincre la personne d’accepter les soins indispensables », lequel doit respecter la volonté exprimée par le patient après avoir informé ce dernier des conséquences et de la gravité de sa décision. Enfin, la loi apporte des précisions concernant les directives anticipées : elles concernent « les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’actes médicaux », sont révisables et révocables à tout moment, et ne sont plus opposables par le médecin, sauf en cas d’urgence. Celui-ci doit alors prendre sa décision à l’issue d’une procédure collégiale, en informer la personne de confiance ou, à défaut, les proches du patient.

2 CHANGER SES PRATIQUES

LE RECUEIL SYSTÉMATIQUE DU CONSENTEMENT DU PATIENT

Il ne suffit pas de voter une loi pour qu’un changement sociétal opère en un claquement de doigts, même si les soignants formés après la loi de 2002 sont davantage sensibilisés que leurs aînés. Il faut se rendre à l’évidence, au quotidien il reste encore beaucoup à faire pour que le refus de soins ne soit pas ressenti et vécu comme un échec ou une agression. Il reste aussi beaucoup à faire pour que le recueil du consentement soit systématique. Présumer que le patient est d’accord avec le soin que je vais prodiguer parce que je l’annonce (bonjour monsieur Martin, pouvez-vous découvrir votre bras, je viens faire un prélèvement sanguin) n’est pas demander un consentement (bonjour monsieur Martin, êtes-vous d’accord pour que je réalise un prélèvement sanguin ?). La première chose, pour une infirmière qui veut bien faire, est de s’interroger sur ses pratiques. « Dois-je demander le consentement du patient à chaque fois que je m’apprête à faire un soin ? » Se poser la question pour un pansement ou pour une injection d’insuline peut bousculer. « Je suis soignante, je fais mon travail, j’applique une prescription, je mets tout en œuvre pour le confort et le traitement du patient. Si je dois demander une autorisation à chaque intervention, cela veut dire que le malade ne me fait pas confiance ! Ou bien, ne vais-je pas paraître ridicule, cela va tellement de soi… »

Pendant très longtemps, le corps médical a eu la certitude inébranlable de toujours œuvrer, par ses traitements et soins, pour le bien du patient. Pourtant, le législateur a décidé de protéger ce dernier par l’obligation de recueillir son consentement éclairé avant tout acte médical. Il appartient donc à tous de changer de paradigme et d’accepter l’idée de demander systématiquement le consentement. « Quand je rentre dans une chambre avec mon matériel, cela me coûte quoi de demander au patient s’il accepte la réfection de son pansement ? »

Il va falloir adopter de nouvelles habitudes, tout simplement. Si l’on prend du recul, cela ne choque personne de devoir donner son accord pour accéder à certains sites Internet moyennant des stockages d’informations via des cookies ! Il faut juste se faire à l’idée que demander le consentement devient la règle. À chacun ensuite de s’organiser pour faciliter le recueil. On pourrait ainsi imaginer qu’en début d’hospitalisation, une information soit donnée au patient pour recueillir son consentement pour l’ensemble des soins, tout en lui donnant la possibilité de se rétracter à tout moment.

Dans le cadre d’un exercice libéral, la question peut être abordée de la même manière, mais l’accord est de fait tacite puisque c’est le patient qui sollicite l’intervention de la professionnelle de santé.

UNE BONNE COMMUNICATION AVEC LE PATIENT

Le préalable pour éviter un refus de soins de la part du patient est d’établir une très bonne communication avec celui-ci, d’utiliser un langage adapté à sa compréhension pour lui expliquer le soin qui va être réalisé et lui permettre ainsi de poser des questions si besoin. Procéder ainsi pour tout patient et ne pas présumer qu’une personne démente ou en situation de handicap n’est pas capable de donner son assentiment.

L’ACCEPTATION DE L’IDÉE DU REFUS DE SOINS

Demander systématiquement à un patient son consentement pour effectuer un soin, quel qu’il soit, c’est accepter l’éventualité que celui-ci refuse, et se préparer à cette idée. Lorsque le refus survient, cette acceptation évite d’entrer dans un état émotionnel (sidération, colère) qui va être ressenti comme une violence par l’interlocuteur. Il s’agit de comprendre son positionnement de soignant, de connaître ses limites ainsi que ses mécanismes de défense, d’abandonner la posture de celui qui sait ou de bienfaiteur (je sais ce qui est bon pour vous) et de recueillir sans jugement la parole du patient. Admettre que le malade est libre de mener sa vie comme il l’entend, même si l’on est en profond désaccord lorsqu’il s’agit de soins que l’on considère comme essentiels (vaccination, toilette) ou permet tant de soulager (prise d’antalgiques) ou d’assurer la survie (transfusion, dialyse, intervention chirurgicale).

3 ACCOMPAGNER

ADOPTER UNE ATTITUDE BIENVEILLANTE

Écouter

Face au refus, il faut avant toute chose écouter le patient, sans jugement, en étant attentif à sa voix et à son intonation, et percevoir ce qu’il exprime par le langage non verbal, tout en gérant ses propres émotions pour ne pas vivre la situation comme une agression dirigée contre soi. Quel que soit le moment, le soignant fera en sorte de mobiliser son énergie et son attention pour être disponible. Car la première réaction sera déterminante pour engager un vrai dialogue.

Décrypter les motivations

Le refus de soins couvre un champ très vaste. Il peut porter tant sur des traitements perçus comme déraisonnables, compte tenu de l’état de santé du malade, que sur des médicaments en raison de leurs effets indésirables, une vaccination, un examen, des soins d’hygiène, l’alimentation, une hospitalisation… Au soignant de repérer les raisons : une cause médicale (douleur, aggravation d’une maladie, complications, effets indésirables), le soin lui-même (douleur, intimité), le professionnel qui le réalise, le moment où il est effectué. Mais il peut également s’agir d’un appel au secours, d’une manifestation de révolte de la part du patient qui peut considérer la situation comme insupportable, éprouver une lassitude ou avoir le sentiment de perdre la maîtrise de sa vie.

Expliquer et négocier

En fonction des situations, il peut être judicieux de réexpliquer le soin immédiatement ou plus tard. Accepter le refus ne signifie pas entériner immédiatement la position du patient.

Il est nécessaire de se donner du temps pour rétablir le dialogue, comprendre la motivation du refus et rechercher des compromis : donner plus d’informations à la personne, changer l’horaire du soin, proposer de voir le médecin…

Informer des risques et noter dans le dossier

Dans le cas où le patient persiste dans son refus, l’infirmière va alors devoir expliquer les risques encourus et mentionner la décision du patient dans le dossier de soins. Selon les situations, elle devra en faire part à son responsable et/ou au médecin référent. Si la plupart des établissements disposent de protocoles pour ce qui concerne la sortie contre avis médical, ils sont encore peu nombreux à en avoir en cas de refus de soins : il s’agit là de faire signer au patient un formulaire qui sera intégré dans son dossier.

S’INSCRIRE DANS UNE DÉMARCHE ÉTHIQUE

Se concerter en équipe

L’ensemble de l’équipe soignante pourra être d’un grand recours pour explorer les différentes facettes d’une situation donnée et mener une réflexion pour déterminer une conduite à tenir face à une situation donnée.

Communiquer avec les familles

Pour construire un projet d’accompagnement avec le patient, l’entourage peut être une véritable ressource. Il ne faut donc pas hésiter à le solliciter.

Considérer les patients comme des partenaires

La prise en charge médicale évolue vers une décision partagée. Les patients qui sont atteints d’une pathologie chronique développent une réelle expertise avec le temps.

Pour preuve, il existe aujourd’hui des diplômes universitaires en éducation thérapeutique qui sont ouverts aux personnes malades issues du monde associatif.

Engager une réflexion sur le consentement et le refus de soins

Favoriser une culture de la bienveillance passe par une réflexion en équipe afin de garantir le respect de la volonté des patients, d’inciter à la rédaction de directives anticipées et à la désignation de personnes de confiance et d’instaurer un climat propice au dialogue.

Reste que cela demande du temps et des moyens, et on ne pourra pas demander à un personnel surchargé et sous tension d’avoir une attention de tous les instants. Afin que les soignants puissent créer une atmosphère de bienveillance, il faut qu’eux-mêmes puissent évoluer dans un environnement bienveillant.

RÉFÉRENCES

Textes de loi

• Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi dite Kouchner)

• Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (loi dite Leonetti)

• Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (loi dite Claeys-Leonetti)

• Décret n° 2016-1605 du 25 novembre 2016 portant sur le Code de déontologie des infirmiers, art. R 4312-141

Sources utiles

• Comité consultatif national d’éthique (CCNE), « Refus de traitement et autonomie de la personne », avis n° 87, 14 avril 2005

• Moutel G., « Le refus de soin en question », Soins gérontologie, vol. 12, n° 65, 24-27, mai 2007

• Vallet F., « Quels repères face au refus de soins… en fin de vie ? », Médecine palliative, 11 (4):181-188, éd. Elsevier Masson, 2011

• Chappel A., « Refus de traitement et de soins », La Revue du praticien médecine générale, tome 27, n° 903, 470-471, juin 2013

• Basset P., « Le refus de soin », communication lors de la journée d’étude « Les comités d’éthique d’Alsace » de Colmar, Ereral, 29 novembre 2016

Cas clinique

« Pénélope ne veut plus de sa pompe à insuline »

Pénélope, 16 ans, diabétique, gérait seule sa pompe à insuline (glycémies quotidiennes, adaptation des dosages, changement de cathéter) jusqu’à ce qu’elle envoie tout valser. Sa diabétologue appelle à la rescousse un cabinet de trois infirmiers libéraux pour des séances d’éducation. Les professionnels estiment que la priorité est d’établir un lien avec la jeune fille. Pénélope n’est pas opposante. Ils assurent alors le suivi et réalisent les glycémies du soir et du matin à domicile, celle du midi au lycée. Ils comprennent que son refus de poursuivre les soins est une manière de susciter l’attention de ses parents, qui sont en instance de divorce. Les soignants créent une relation de confiance, dialoguent autour de ses centres d’intérêt, comme le cheval, et, naturellement, abordent au bout de quelques semaines l’importance du traitement : « On ne peut pas risquer un coma hypoglycémique quand on fait du cheval… ». La jeune fille avait besoin qu’on s’occupe d’elle, d’une certaine manière d’un peu de répit, sans jugement aucun. Les infirmiers ont aussi discuté avec les parents qui ont mis de côté leurs différends pour être plus présents. Au bout de quelques mois, ils proposent à Pénélope de reprendre en main la conduite de son traitement avec plus qu’un seul passage par semaine, puis par mois. Elle retrouve sa totale autonomie au bout de six mois.

L’AVIS D’UNE PATIENTE EXPERTE

“Certains soignants préfèrent les patients dociles”

Delphine Blanchard, patiente partenaire en santé, diplômée en éducation thérapeutique et auteure du blog Patiente (im) patiente.

« Diagnostiquée insuffisante rénale depuis mes 8 ans, j’ai enchaîné les dialyses et trois greffes dont la dernière date de novembre 2020. Le 17 mai 2020, la fistule artérioveineuse nécrose après trente ans de bons et loyaux services, et je dois renoncer à la dialyse à domicile. Je me rends alors en centre trois fois par semaine pour être dialysée via un cathéter central, dit de Canaud. Le 23 juin, le chirurgien m’annonce qu’il sera difficile de reconstruire une fistule. C’est le choc. J’ai envie d’arrêter la dialyse, car ce traitement n’a de sens que quand je suis libre d’en choisir les horaires et jours de séance. “ Vous êtes trop jeune, les autres patients y arrivent, pourquoi pas vous ? ”, me rétorque-t-on. J’ai du mal à me faire comprendre sur le sens donné à la maladie lorsque la qualité de vie n’est plus au rendez-vous. Ma médecin généraliste finit par appeler un service de soins palliatifs. J’ai besoin d’accompagnement, de répit et de pouvoir évoquer la fin de vie dans un service neutre en sachant que je serai entourée, accompagnée et soulagée. J’en parle à une infirmière que j’aime bien, elle est horrifiée et presque en pleurs. J’entendrai plusieurs fois autour de moi, de la part de proches et de soignants : “ Delphine, tu ne peux pas nous faire ça. ” C’est quand même étonnant comme réaction, ils pensent à leur douleur ou à la mienne ? J’ai eu trois rendez-vous avec le service de soins palliatifs. J’y ai trouvé une prise en charge individualisée et une grande bienveillance. J’avais besoin qu’on m’écoute et que ma demande soit considérée comme légitime étant donné que la dialyse est un traitement palliatif. Finalement, la situation a pris une autre tournure car j’ai été greffée en novembre après un lourd traitement pour faire baisser mes anticorps. Quoi qu’il arrive, je veux garder la maîtrise de ma vie. Certains soignants aiment les patients dociles, leur difficulté est d’entendre qu’on n’accepte pas ou plus telle ou telle situation car la donne a changé. La prise en charge doit évoluer vers la décision partagée lorsque le patient voit sa situation se modifier ou accéder à sa demande lorsqu’il en ressent le besoin. Car rien n’est figé dans le parcours de vie. »