Les premières infirmières en pratique avancée (IPA) aux urgences doivent entrer en formation à la rentrée 2021, et des groupes de travail planchent actuellement au ministère de la Santé sur les activités qui leur seront confiées. Des réflexions qui restent encore entourées d’un certain mystère…
Qu’il aura été difficile l’avènement des IPA aux urgences ! Annoncée en septembre 2019 dans le « Pacte de refondation des urgences » de l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn, cette cinquième mention au diplôme d’infirmière en prati que avancée (après les pathologies chroniques, l’oncologie, les maladies rénales et la santé mentale) devait initialement voir le jour à la rentrée 2020. Hélas, l’épidémie est passée par là, et l’entrée en formation des premières étudiantes a été décalée d’un an. Les équipes de l’avenue Duquesne sont en train de cravacher pour élaborer leur référentiel d’activités, mais elles travaillent dans une atmosphère qui rappellerait presque celle du Manhattan Project.
On se souvient du médiatique Dr Patrick Pelloux qui, fin 2020, avait défrayé la chronique en déclarant sur les réseaux sociaux que le développement des IPA aux urgences s’apparentait à une « ubérisation de la médecine ». Est-ce une conséquence de ces attaques ? Le travail ministériel sur la question se fait dans le plus grand secret. « Les groupes de travail sont confidentiels, je ne peux pas parler du détail des activités », s’excuse ainsi Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel (CNP) des IPA, qui participe aux réunions. « Je suis obligé de marcher sur la pointe des pieds, parce que les travaux sont encore en cours », confirme le Dr Youri Yordanov, urgentiste à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, et membre du conseil d’administration de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), qui participe, lui aussi, aux discussions.
Une chose est sûre : malgré le tumulte, les travaux avancent. Mi-janvier, au moment où nous écrivions ces lignes, le référentiel d’activités définissant les tâches attribuées aux IPA des urgences était en cours de finalisation. Il devrait être prêt pour février, de sorte que le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation puisse prendre la main et élaborer le référentiel de formation correspondant. Le tout devant ensuite être diffusé aux universités, qui proposeront la nouvelle mention aux étudiantes actuellement en première année… Les premières diplômées sont donc attendues dans les services en septembre 2022.
Alors, quand le fameux référentiel d’activités sera-t-il enfin rendu public ? « Il est encore trop tôt pour donner un calendrier », alléguait-on courant janvier du côté de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé.
Heureusement, si les détails du document semblent aussi bien gardés qu’un secret d’État, les membres du groupe de travail que L’Infirmièr.e a contactés ont accepté d’en esquisser les grandes lignes.
Premier constat : s’il n’est pas encore possible de savoir précisément ce que seront les IPA aux urgences, on commence cependant à avoir une idée assez nette de ce qu’elles ne seront pas. Quand on demande par exemple à Youri Yordanov s’il s’agira d’infirmières organisatrices de l’accueil (IOA) aux compétences élargies, sa réponse est catégorique : « Je ne vois pas pourquoi on mettrait IPA et IOA dans la même phrase », tout en précisant que les IOA ont une fonction essentielle, mais ponctuelle, tandis que « les IPA en médecine d’urgence exerceront leur profession avec un degré d’autonomie assez avancé, voire très avancé, et interviendront aussi bien dans les services d’urgences qu’en régulation et en Smur. »
Un degré d’autonomie avancé, certes, mais encore ? « Il y aura a priori trois cas de figure, avance Julie Devictor. D’abord un parcours classique, avec une IOA qui oriente vers le médecin, et ensuite une équipe qui met en œuvre la décision thérapeutique. Il y aura également un parcours uniquement IPA : l’IOA orientera vers l’IPA qui s’occupera de la prise en charge de A à Z, jusqu’à la sortie. Il y aura enfin un parcours mixte, avec une prise en charge initiée par l’IPA, et poursuivie par l’ensemble de l’équipe. » C’est donc une petite révolution qui se prépare : le référentiel en discussion prévoit bien que certains patients seront pris en charge uniquement par des infirmières, sans passer par la case « médecin ». Les IPA pourront, dans certains cas, leur prescrire des médicaments et des examens complémentaires. Mais il ne faudrait pas croire que le jour de gloire est vraiment arrivé pour une profession qui réclame depuis des décennies davantage d’autonomie.
« Le problème, c’est que le référentiel envisagé suppose que les IPA interviennent en premier recours, ce qui nécessite un changement législatif, prévient Julie Devictor. Or, on nous a dit qu’un tel changement prenait du temps. » Ce que confirme Youri Yordanov : « Dans un premier temps, il va falloir travailler à réglementation constante. » Traduction : si l’IPA prendra bien en charge des patients seule, ce sera dans le cadre d’un protocole… Ce qui est contradictoire avec la notion d’autonomie consubstantielle à l’activité des infirmières en pratique avancée.
Selon la présidente du CNP-IPA, le fond du problème est que les autorités cherchent à faire coller les contours du métier d’IPA aux urgences à ceux de la médecine d’urgence en tant que spécialité. « Or, la pratique avancée n’a pas à coller aux spécialités médicales, elle est beaucoup plus large », juge-telle, estimant que cette approche ferme la porte au positionnement d’IPA de premier recours pour des soins non programmés, mais non urgents, en dehors des hôpitaux.
Autre déception : les IPA aux urgences semblent devoir se cantonner à effectuer des soins, alors qu’on aurait pu les voir assumer des missions plus transversales. Ce que regrette Orianne Plumet, infirmière aux urgences de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et membre de la Commission régionale d’experts soignants des structures d’urgences (Cresu), un groupe de soignants mis en place par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France qui a rendu en novembre dernier un avis sur les IPA.
« On aurait pu imaginer une IPA qui ne serait pas forcément attachée à une structure d’urgences intra-hospitalière, mais qui aurait une plus-value dans la coordination, dans l’analyse du travail de ses collègues, du parcours du patient, des motifs de recours aux urgences… », se prend-elle à rêver. Une approche qui aurait, selon elle, l’avantage de faire en sorte que les IPA aux urgences arrivent sur des postes nouvellement créés, plutôt que sur des postes d’IDE transformés. Car quand on évoque les urgences, on en revient toujours au même : ce que les soignants réclament, ce n’est pas forcément de nouvelles tâches… mais de nouveaux collègues.
Nous ne sommes pas contre les infirmières en pratique avancée ! », annonce Christophe Paysant, président du Syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia), tient d’emblée à éviter tout malentendu : il trouve tout à fait positif que la profession infirmière puisse bénéficier des perspectives d’évolution qu’offre la pratique avancée, y compris aux urgences. « Seulement, en santé, on essaie d’éviter les doublons », ajoute-t-il. Or, « il se trouve qu’une partie de l’exercice des Iade se déroule aux urgences, et notamment dans le domaine des urgences préhospitalières », souligne-t-il, estimant que « 12 % des Iade ont une activité de Samu-Smur ». Étant donné le risque de chevauchement avec les activités des IPA, Christophe Paysant regrette que les Iade ne fassent pas partie du groupe de travail ministériel… « Cette politique de diviser pour régner est un peu regrettable », juge-t-il.