L'infirmière n° 005 du 01/02/2021

 

PATRIMOINE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin*   Agathe Blondeaux**  


*juriste chez Fiducial

L’infirmière libérale est un entrepreneur individuel. Par conséquent, l’intégralité de ses biens, destinés à son activité professionnelle ou à son usage personnel, peuvent être exposés aux poursuites des créanciers. Mais il est possible de les protéger.

Pour les professions libérales, la résidence principale, comme la secondaire, la voiture, la patientèle ou encore le cabinet font partie d’un seul et même patrimoine. Par conséquent, en cas de problèmes financiers, les créanciers ont le droit de saisir l’intégralité des biens, sans faire de distinction entre ce qui relève du personnel et de l’activité professionnelle. De même, en cas de procédure de divorce, en fonction du contrat de mariage établi, le conjoint peut réclamer la moitié de la valeur des biens professionnels. Toutefois, l’infirmière libérale peut protéger ses deux patrimoines en effectuant certaines démarches. Pour ce faire, elle va dans un premier temps devoir distinguer ce qui relève de l’un ou de l’autre de ses patrimoines afin de limiter les dommages en cas d’aléas. Un exercice qui peut s’avérer fastidieux et qui nécessite de prendre conseil. Dans ce cadre, un notaire, un avocat ou un expert-comptable peuvent être d’une très grande aide pour la mise en œuvre de trois mesures de protection.

LE CHOIX DU CONTRAT DE MARIAGE

En France, au moment de se marier, les conjoints ont le choix entre trois types de contrat matrimonial :

→ le régime de la communauté réduite aux acquêts. En optant pour le mariage sans contrat, tout ce qui a été créé comme patrimoine avant le mariage reste en propre à chacun des époux. En revanche, à partir de la date du mariage, tout ce qui va être créé – les revenus fonciers et de l’activité – entrent dans la communauté. S’il existe une grande différence salariale entre les deux époux, ce n’est pas le contrat idéal. En effet, en cas de séparation, les biens communs seront divisés en deux parts égales ;

→ le régime de la séparation de biens. Ce contrat, entièrement rédigé, implique qu’avant et après le mariage, chacun des époux dispose de son patrimoine personnel. Dans les faits, il est donc recommandé, pour chacune des parties, de garder une trace de ce que l’un et l’autre engagent dans la vie maritale. En cas de séparation, chacun récupère alors sa part au prorata de son apport ;

→ le régime de la communauté universelle - extrêmement rare et non conseillé - prévoit qu’à partir du jour du mariage, les biens, qui appartenaient jusque-là séparément aux époux ainsi que tout ce qui va être constitué et acheté après la date de l’union, sont mutualisés.

En cas de divorce, l’intégralité du patrimoine sera divisée en deux parts égales. Et en cas de décès, le conjoint survivant récupère la totalité du patrimoine.

Ainsi, sauf cas exceptionnel, l’entrepreneuse libérale qui est mariée l’est, soit sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, soit sous celui de la séparation de biens. Dans le premier cas, si elle a créé son cabinet alors qu’elle était déjà mariée, en cas de divorce, elle devra donner l’équivalent de la moitié de la valeur du cabinet, déterminée par un expert-comptable, à son ex-conjoint. Une situation qui peut contraindre l’infirmière libérale à se séparer de son cabinet - à savoir que les juges ont souvent tendance à chercher une alternative -, à souscrire un emprunt pour verser la somme à l’ex-conjoint, ou encore à compenser la valeur du cabinet par un autre moyen.

Par ailleurs, avec ce type de contrat, même sans divorce, le partenaire a toujours son mot à dire sur l’avenir du cabinet. De fait, comme il s’agit d’un patrimoine commun, en cas de vente du local, par exemple, la soignante doit obtenir l’accord formel de son conjoint.

Pour se prémunir de ce genre de désagrément, il est tout à fait possible de changer de contrat de mariage et d’opter pour le régime de la séparation de biens. En règle générale, le changement s’effectue auprès d’un notaire. Mais décider de modifier son contrat de mariage peut aussi être une manière de protéger son conjoint en cas de difficultés. Car le régime de la communauté réduite aux acquêts ne présente pas que des avantages. En cas de dettes, par exemple, lui aussi est tenu responsable de la situation. À noter que dans le régime de la communauté réduite aux acquêts et dans le contrat de séparation de biens, l’héritage n’entre jamais dans la communauté puisqu’il n’existe pas, les patrimoines étant bien distincts.

LA CRÉATION D’UN STATUT JURIDIQUE PARTICULIER

Si l’infirmière ne souhaite pas modifier son régime matrimonial, une autre solution s’offre à elle : s’inscrire comme entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). La professionnelle de santé peut indifféremment choisir de déclarer son activité sous ce statut juridique dès qu’elle s’installe ou plus tardivement, au cours de l’exercice. En cas de faillite, cette forme juridique particulière permet de protéger les biens personnels de l’Idel qui ont préalablement été séparés du patrimoine professionnel. Et c’est là tout l’objet du montage de l’EIRL : la désignation d’un patrimoine d’affectation. Dans un premier temps, l’infirmière libérale va « affecter » à son patrimoine professionnel un certain nombre de biens nécessaires à son activité, comme le local, le matériel et la patientèle, à condition qu’ils soient à usage professionnel uniquement.

Elle va également devoir déterminer des biens utiles à l’exercice professionnel, comme le véhicule, s’il est à usage mixte, donc professionnel et personnel. Une fois l’affectation des différents biens établie, la seconde étape consiste en l’affectation d’un montant aux différents biens afin de déterminer leur valeur. Généralement, sur la base de l’évaluation effectuée par l’expert-comptable, c’est au notaire d’attester de la valeur de ce patrimoine d’affectation. Ainsi, en cas de difficultés professionnelles, les biens personnels séparés du patrimoine professionnel sont protégés. Seul le patrimoine professionnel qui a été affecté peut alors être saisi par les créanciers professionnels, sauf en cas de fraude ou de manquements graves et répétés (lire l’encadré « Vigilance » ci-dessus). Ensuite, la soignante peut bénéficier :

→ des procédures relatives aux entreprises en difficulté : prévention des difficultés des entreprises, mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire ;

→ de la procédure de surendettement des particuliers pour ce qui concerne le patrimoine non affecté. Pour information, il est possible d’entreprendre cette démarche même sans être mariée, par exemple si l’Idel possède des appartements qu’elle loue. Cela lui permet de se protéger en cas de problèmes de créances.

LA DÉCLARATION D’INSAISISSABILITÉ

Cet acte, qui doit être établi devant un notaire, permet à l’Idel de mettre ses biens à l’abri, mais uniquement immobiliers, et de limiter les risques patrimoniaux en inscrivant les biens fonciers qui ne sont pas affectés à l’exercice de l’activité afin de les protéger des créanciers.

La déclaration d’insaisissabilité peut concerner :

→ les biens fonciers bâtis et non bâtis, qui ne sont pas affectés à l’usage professionnel ;

→ un immeuble propre ou personnel à l’entrepreneuse, commun aux deux époux ou en indivision.

Pour précision, depuis la loi en date du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la résidence principale ne peut en aucun cas être impactée par les créanciers en cas de dettes professionnelles. Il est donc inutile d’effectuer une déclaration d’insaisissabilité si l’infirmière libérale ne possède qu’une résidence principale.

D’autre part, elle n’est valable pour la créance professionnelle que si cette dernière apparaît après la déclaration de l’acte. Par conséquent, il est conseillé de le faire rédiger rapidement. Il est également important de le faire évoluer dans le temps, en fonction de l’acquisition de nouveaux biens afin que ces derniers soient également protégés. L’acte d’insaisissabilité, rédigé par un notaire qui procède à l’inventaire légal, doit ensuite être publié dans un journal d’annonces légales.

RÉFÉRENCES

• La déclaration d’insaisissabilité : bit.ly/3a7dIN8

• S’informer sur le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) : bit.ly/3oPfFCe

Vigilance

Attention : en cas de fraude ou de manquements graves et répétés aux obligations fiscales, sociales ou comptables, la responsabilité personnelle de l’Idel est engagée en tant qu’entrepreneur individuel. Les sommes dues pour son activité, et qui n’ont pas été payées à cause de cette fraude ou de ces manquements, pourront donc être récupérées sur le patrimoine personnel.