L'infirmière n° 005 du 01/02/2021

 

JE ME FORME

JURIDIQUE

Annabelle Alix  

Mauvaise entente avec le patient et/ou son entourage, horaires incompatibles, situation d’urgence… Certains motifs peuvent autoriser à refuser ou à interrompre une prise en charge, et d’autres non.

Puis-je refuser de prendre en charge un patient bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire ? Une mésentente profonde et prolongée avec la famille d’un patient m’autorise-t-elle à interrompre les soins ? Quelles sont mes obligations en cas de rupture des soins ? Le point sur le cadre légal du refus ou d’une interruption des soins.

DES POURSUITES FRÉQUENTES

Un désaccord avec l’entourage d’une patiente, des relations qui se dégradent, des attitudes et propos inconvenants de la part du fils… De fil en aiguille, la situation devient invivable et rend impossible la poursuite de la prise en charge.

Le 25 janvier 2017, après deux années passées auprès de leur patiente, trois infirmières mettent un terme à la relation de soins. Elles fournissent à la famille une liste de noms de confrères susceptibles de prendre le relais et posent un préavis d’un mois. La famille conteste. Elle est insistante. Les soignantes acceptent alors de prolonger leur préavis d’un mois. Mais quelques mois après leur départ, la patiente, sans véritable prise en charge, décède. La famille porte de plainte contre les professionnelles de santé pour rupture abusive du contrat de soins auprès du conseil départemental de l’Ordre des infirmiers. Cette affaire n’est qu’un exemple parmi d’autres. « Les conseils sont très souvent saisis de plaintes de patients ou d’associations de patients pour interruption des soins par des infirmiers, notamment parce que la procédure n’a pas été respectée », mettait déjà en garde en 2012 l’ordre infirmier.

L’infirmière (et son employeur, si elle est salariée) peut être convoquée devant les tribunaux civils en cas de préjudice subi par le patient, et condamnée au paiement de dommages et intérêts (couverts par l’employeur lorsque la soignante est salariée).

Mais elle peut également faire l’objet de poursuites pénales, par exemple pour discrimination ou encore pour non-assistance à personne en danger. Dès lors, pour éviter d’en arriver là, l’infirmière qui rompt ou refuse ses soins à un patient doit :

→ avoir un motif valable ;

→ respecter une procédure permettant d’assurer la continuité des soins.

DES CRITÈRES RÉDHIBITOIRES

LA DISCRIMINATION

Tous les motifs d’ordre discriminatoire sont strictement proscrits par la loi et sont pénalement sanctionnés. Parmi eux figurent, notamment, l’origine du patient, le sexe, la situation de famille, l’apparence physique, les mœurs, l’orientation sexuelle ou encore les opinions politiques. Dans ce cadre, le refus de soins est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

De même, refuser de soigner un patient parce qu’il est bénéficiaire de l’aide médicale de l’État (AME) ou de la protection complémentaire en matière de santé (ex-CMU/ACS) est également interdit et l’infirmière encourt une sanction disciplinaire.

LA NON-ASSISTANCE À PERSONNE EN DANGER

Dans les cas relevant de l’urgence, la soignante ne peut refuser ses soins sans se rendre pénalement coupable de non-assistance à personne en danger. Ce délit concerne toute personne qui aurait pu porter assistance ou empêcher, par son action immédiate, sans risque pour elle ou pour les tiers, un crime ou une atteinte à l’intégrité corporelle d’une personne, mais qui s’est abstenue volontairement d’intervenir. Si l’infirmière avait conscience d’un péril réel, perceptible, incontestable et imminent pour la vie, la santé ou l’intégrité de la personne et qu’elle n’a pas agi, elle risque alors cinq ans de prison et 7 500 euros d’amende. Pour la salariée, la faute pénale n’étant pas couverte par l’employeur, elle est entièrement assumée par la soignante.

De son côté, le Code de déontologie des infirmiers les oblige plus spécifiquement à porter assistance à un blessé en péril (si la soignante se trouve en présence de la victime ou si elle est informée de la situation) ou, à défaut, s’assurer que la personne en danger reçoit les soins nécessaires.

Ainsi, en 1964, suite au décès d’une patiente qui suivait une cure d’amaigrissement, une infirmière a été condamnée pour non-assistance à personne en danger(1) car elle n’avait pas dispensé de soins et avait prévenu le médecin trop tard. Il était alors devenu « médicalement impossible de tenter le moindre secours au regard de l’état comateux dans lequel se trouvait la malade », décrit l’arrêt de cassation, ajoutant que « depuis plusieurs jours, la patiente manquait totalement de soins exigés par un état grave », et qu’« il était impensable qu’une personne ne puisse se rendre compte du danger dans lequel elle se trouvait, à plus forte raison la prévenue, qualifiée d’infirmière ». L’infirmière a écopé d’une peine de six mois de prison.

UN MOTIF VALABLE

« Hors les cas où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle », précise le Code de la santé publique (CSP).

Selon ce même Code, un refus de soins peut être fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle « essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins ». Tel serait donc le critère à prendre en compte. L’infirmière doit d’ailleurs s’abstenir d’exercer « dans des conditions qui puissent compromettre […] la qualité des soins ou la sécurité des personnes prises en charge », précisent les textes.

Mais à partir de quel moment ces critères sont-ils remplis ? La chambre disciplinaire saisie de l’affaire de 2017(2) a retenu comme valables les motifs invoqués par les trois professionnelles de santé. Une dégradation des relations avec la famille de la patiente est donc bien de nature à justifier un refus de soins. En 2012, la direction juridique de l’Ordre avait fait allusion à la liberté d’horaires des infirmières libérales. Une incompatibilité d’horaires avec le patient pourrait donc également être un motif recevable.

GARANTIR LA CONTINUITÉ DES SOINS

Toutefois, le Code de la santé publique prévoit que « dès lors qu’il a accepté d’effectuer des soins, l’infirmier est tenu d’en assurer la continuité ». Dès lors, la soignante qui rompt le contrat de soins doit respecter un certain formalisme :

→ expliquer ses raisons au patient au cours d’un entretien individuel ou par courrier recommandé avec accusé de réception ;

→ orienter le patient vers un autre confrère ou une structure en lui fournissant une liste. L’Ordre conseille de remettre cette liste en mains propres contre signature, ou par envoi en recommandé avec accusé de réception (avec la lettre d’explication, le cas échéant), pour pouvoir en conserver la preuve. L’infirmière doit aussi laisser au patient un délai suffisant pour qu’il trouve un autre soignant ;

→ communiquer les informations utiles à la poursuite des soins. « L’infirmier transmet au médecin désigné par le patient ou par ses proches, et avec leur accord explicite, la fiche de synthèse du dossier de soins infirmiers ainsi que les indications nécessaires à la continuité des soins, précise l’Ordre. Il en va de même si le patient choisit spontanément de s’adresser à un autre infirmier. »

Dans l’affaire de 2017, un délai de prévenance avait été respecté et une liste de confrères avait été transmise à la famille. La chambre disciplinaire de l’Ordre, ayant considéré que les conditions étaient respectées, a rejeté la plainte de la famille.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Cour de cassation, chambre criminelle du 11 avril 1964, n° de pourvoi : 63-92.812. Disponible en ligne sur : bit.ly/3nf2TeX

2. Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des infirmiers, le 3 avril 2019, n° 13-2018-00211. Disponible en ligne sur : bit.ly/2MAL9OB

Textes juridiques

• Ordre national des infirmiers, « Le refus ou l’interruption de soins par l’infirmier libéral », octobre 2012. Disponible en ligne sur : bit.ly/3ohuldo

• Code de la santé publique : art. L 1110-3 et R 4312-12 sur les motifs du refus de soins ; art. R 4312-7 sur l’assistance à blessé en péril

• Code pénal : art. 225-1 et 225-2 sur la discrimination ; art. 223-6 sur la non-assistance à personne en danger

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RUPTURE DE SOINS ? CONTACTEZ L’ORDRE…

En cas de rupture de soins, n’hésitez pas à contacter le conseil départemental de l’Ordre des infirmiers dans les plus brefs délais, lequel pourra :

• vous aider à rédiger votre lettre d’interruption de soins ;

• vous fournir la liste des infirmières du département ;

• vous accompagner ou vous conseiller sur la procédure à suivre ;

• jouer le rôle de médiateur, en cas de litige avec le patient ou sa famille, et vous aider à trouver une solution qui convienne à tous.

En cas de plainte déposée par le patient ou sa famille devant le conseil départemental de l’Ordre des infirmiers, une commission de conciliation vous convoquera, ainsi que le plaignant, dans un délai d’un mois après l’enregistrement de la plainte. Si la conciliation échoue, la plainte sera alors transmise à la chambre disciplinaire.