INFIRMIER SCOLAIRE, ÇA NE S’INVENTE PAS ! - Ma revue n° 006 du 01/03/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

JE DIALOGUE

Éléonore de Vaumas  

Depuis vingt ans, il arpente les couloirs de l’école avec pour seule préoccupation, la santé des enfants. Alors qu’il aborde la dernière phase de sa carrière professionnelle, Michel Daudibon, infirmier de l’Éducation nationale, revient sur son quotidien au contact de la jeune génération auprès de laquelle l’écoute est d’or.

Comment en êtes-vous venu à travailler pour l’Éducation nationale ?

Michel Daudibon : J’y suis arrivé un peu par hasard, après avoir roulé ma bosse pendant une dizaine d’années dans plusieurs hôpitaux. J’ai d’abord exercé pendant un an en Guyane française, au sein du service pédiatrique de l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, puis dans un camp de réfugiés surinamais. Ensuite, j’ai fait mes armes à l’hôpital de Moutier, en Suisse, où j’ai travaillé dans quasiment tous les services, avant de revenir dans ma patrie d’origine : la Bretagne. C’est là que j’ai tenté le concours pour devenir fonctionnaire d’État, ce qui m’a permis d’obtenir un poste d’infirmier de l’Éducation nationale (IEN) au collège Anne de Bretagne, où je fais du 50/50 entre les sept écoles maternelles et primaires rattachées à mon secteur et le collège dont je dépends.

La santé scolaire est méconnue et souffre d’une image un peu poussiéreuse. Constatez-vous ce phénomène à votre échelle ?

M. D. : Il y a eff ectivement des idées reçues qui continuent de circuler sur notre profession. Dans l’inconscient collectif, les IEN distribuent du paracétamol à tour de bras. En réalité, nous avons une mission complexe, à mi-chemin entre la prévention et les soins et les problématiques actuelles de la jeunesse, comme le harcèlement scolaire, les souff rances psychiques et émotionnelles, l’éducation sexuelle, etc. Autre idée reçue bien ancrée : celle que le métier d’infirmier est réservé aux femmes. Je pense notamment à une série pour ados dans laquelle l’infirmière du collège était incarnée par une sorte de top model sexy. Comment peut-on espérer changer les mentalités avec ce genre de représentation ? Pas étonnant qu’il y ait aussi peu d’hommes qui souhaitent embrasser cette profession ! Pourtant, je suis la preuve que c’est possible, voire souhaitable. Je le vois dans certains ateliers que je coanime avec une consœur. C’est parfois beaucoup plus simple pour certains ados de s’adresser à moi, notamment sur les questions liées à la sexualité ou à la puberté. Et ça fonctionne plutôt bien. De façon générale, l’école a toujours été perçue comme une sorte de zone inconnue des parents. Cela a pu être vrai, mais c’est aussi parce que dès qu’un enfant ne rentrait pas dans les cases, on le sortait de l’école. Or, si un enfant va bien, il n’y a pas trop de raisons de voir sa famille. Aujourd’hui, au contraire, l’Éducation nationale accueille la plupart des enfants, et le dialogue avec les parents s’est beaucoup développé !

Quel type de lien entretenez-vous avec les enfants et les familles ?

M. D. : Un lien bien différent que celui que j’entretiendrais si j’exerçais encore à l’hôpital ! Je vois beaucoup d’enfants, environ trente à quarante par jour au collège et dix par école pour les bilans en grande section, plus tous ceux que je vois en bilan infirmier. Mais j’arrive quand même à chaque fois à apprendre beaucoup de choses. Le côté systématique de ces bilans est intéressant parce que les élèves coopèrent bien. Comme je ne porte pas de blouse et que je ne suis pas médecin, ils se sentent plus à l’aise. Petits, les enfants sont très spontanés dès lors qu’ils sont en confiance. À l’infirmerie du collège ou lors des ateliers, la confiance est aussi reine. Les élèves viennent moins pour des petits bobos que pour parler. Je passe donc beaucoup de temps à discuter avec eux, à les connaître. Mine de rien, cela me permet de rester dans le coup et de mieux comprendre leur mode de vie d’adolescent.

En quoi votre bagage professionnel est-il un plus dans votre pratique actuelle ?

M. D. : Exercer en milieu scolaire ne s’invente pas. Il faut avoir un peu de bouteille pour pouvoir adapter son langage à sa cible. Au-delà des soins techniques, l’essentiel de mes interventions est centré sur la prévention (estime de soi, puberté, harcèlement, relations garçons/filles, gestes qui sauvent). Il ne suffit pas de calquer des bonnes pratiques et de les restituer pour que la prévention fonctionne, il faut un peu d’huile de coude qu’on développe avec l’expérience. Et mon expérience me permet de mettre des mots sur les maux, grâce à un gros travail d’écoute. C’est le cœur de ma mission en tant qu’infirmier. Sans compter que mes compétences en santé me permettent de faire le relais avec le monde médical et paramédical extérieur, tandis que les enseignants entretiennent une relation plus centrée vers les parents. Je travaille aussi en collaboration avec l’assistante sociale du collège. Grâce à elle, j’ai accès à tout un réseau associatif et médical local dont je peux faire bénéficier les élèves. Je joue ainsi un rôle de caution auprès des parents lorsqu’ils doutent de l’objectivité des enseignants en cas de difficultés scolaires, par exemple.

Vous sentez-vous accompagné et intégré à l’équipe éducative, au même titre qu’un enseignant ?

M. D. : Je m’y sens totalement à ma place ! C’est certes un métier qui demande de l’autonomie, mais ce n’est pas pour autant un travail solitaire. En cas de doute, de question, de demande d’avis supplémentaire, je peux m’adresser au médecin scolaire pour solliciter son expertise. Je suis aussi régulièrement en lien avec d’autres IDE, la conseillère technique infirmière et le médecin de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) à travers la co-animation d’ateliers en primaire et au collège. Les enseignants me connaissent et moi je connais les enseignants. C’est moi le conseiller santé du chef d’établissement. Je suis donc son interlocuteur privilégié pour toutes les questions afférentes. J’ai également accès à certains documents partagés, comme le logiciel qui recense toutes les absences et les motifs. C’est une force de se sentir épaulé par l’équipe, surtout lorsqu’on se retrouve face à des élèves avec des difficultés importantes. J’apprécie de pouvoir croiser les regards professionnels et de pouvoir gérer les problèmes de façon collective. Ce brassage me convient beaucoup plus que si j’étais resté dans le cercle fermé des soignants. Ici, j’ai l’impression d’être dans la vraie vie.

Où en est la santé scolaire aujourd’hui ?

M. D. : D’un point de vue statutaire, j’ai cru comprendre qu’il y aurait une réforme prochainement, suite à la parution d’un rapport de la Cour des comptes qui étrille la santé scolaire. Il serait question que l’on soit décentralisés, à savoir gérés par les collectivités locales et non plus par l’Éducation nationale en direct. On rentrerait plus ou moins dans le même service que la Protection maternelle et infantile (PMI), même si les syndicats sont contre. Moi, je suis partagé. Ce que ça changerait pour nous, infirmiers scolaires ? Je ne sais pas. On pense que nos missions ne vont pas foncièrement changer. Actuellement, la PMI intervient déjà en moyenne section, sous forme de visites ponctuelles. Ça jouera sans doute plus sur nos conditions d’exercice, comme les vacances. Côté évolution sociétale, ça bouge, en revanche ! Je note que les élèves sont de plus en plus stressés et souvent en conflit avec leurs parents. Mais ce qui me frappe, c’est l’ampleur que prennent les réseaux sociaux dans leur quotidien. La moindre chamaillerie peut causer énormément de problèmes une fois en ligne. Je fais beaucoup d’efforts pour rester dans le coup, mais je ne suis pas fâché de partir bientôt à la retraite.

POURQUOI LUI

Lorsqu’il raconte sa première rencontre avec l’Éducation nationale, Michel Daudibon n’y va pas par quatre chemins : s’il a passé le concours d’infirmier scolaire, ce n’est pas tant par vocation pour ce métier que par souci de trouver un travail, et vite ! Le métier d’infirmier étant particulièrement en tension en Bretagne. Mais, après plus de vingt ans passés aux côtés des enfants, force est de constater que le soignant, qui a radicalement changé de discours, prend sa mission très à cœur. Une mission axée essentiellement sur la prévention, que la crise sanitaire n’a pas réussi à froisser. À l’heure où certains personnels s’épuisent, lui savoure ses dernières années avant la retraite. De quoi redorer le blason de la santé scolaire !

BIO EXPRESS

1988 Termine ses études d’infirmier à Rennes.

1988 Mission humanitaire dans un dispensaire pour réfugiés, en Guyane française.

1989 Effectue des soins à domicile pour la Croix-Rouge française, à Avranches (50).

1990 Travaille à l’hôpital de Moutier, en Suisse, dans plusieurs services.

1999 Devient fonctionnaire et entre au collège Anne de Bretagne, à Rennes.