LA RELATION DE CONFIANCE, ÉLÉMENT ESSENTIEL DU SOIN | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

JE ME FORME

SCIENCES HUMAINES

Nathalie Szapiro-Manoukian  

Indispensable mais évolutive, la relation de confiance entre le soignant et le patient ne coule pas de source. Or, sans confiance, l’adhésion au soin peut être difficile, sinon impossible.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Nombreuses sont les définitions du concept de confiance, lequel n’est d’ailleurs pas limité à la santé. On le retrouve en droit, en économie, en politique et, de façon générale, dans tous les domaines qui régissent la société. Comme l’explique Daniel Maroudy, cadre supérieur infirmier d’anesthésie réanimation et consultant formateur, « le mot renvoie à l’idée de se fier – se fier à quelqu’un ou à quelque chose – et par là même, introduit en filigrane la notion de lien, de relation. La confiance naît et se conjugue dans la relation. Elle serait la condition de la relation et par-delà, de la sociabilité. Si la confiance vient à faire défaut, peuvent alors apparaître l’indifférence, la méfiance, la défiance et, à l’extrême, la guerre et le chaos ».

Se confond-elle avec la notion de foi ? Dans L’Économie de la confiance (éd. La Découverte, 2019), Laurent Eloi rappelle que la confiance (fiducia, en latin) est un sentiment qui s’établit entre des êtres, alors que la foi (fides), avec laquelle la confiance est souvent confondue, traduit plutôt le rapport d’une personne à une notion abstraite (de nature spirituelle, par exemple). C’est une différence de taille, car si la foi suppose l’abandon partiel ou complet du libre arbitre, la confiance, elle, suppose l’intervention de la volonté de celui qui l’accorde. Pour établir une relation de confiance avec son malade, encore faut-il qu’il le veuille ! Et cette confiance n’est pas innée ou statique, elle est « dynamique et opérante », insiste Daniel Maroudy, alors que la foi est plus passive. La confiance se construit (ou se défait) en fonction des interactions et des soins. Chaque interaction est affectée par celles passées et affecte, à son tour, celles futures.

COMMENT ÇA FONCTIONNE ?

La confiance est-elle le fruit d’une construction sociale ou la résultante d’une sécrétion hormonale d’ocytocine ? La question a longtemps fait débat. En 2005, une étude publiée par la revue Nature, et menée par une équipe de l’université de Zurich, a montré que l’ocytocine – une hormone naturelle produite par l’hypothalamus et connue pour favoriser les relations sociales – augmentait la confiance de volontaires à qui l’on avait proposé, dans le cadre d’un jeu, d’investir de l’argent. On leur avait demandé de faire confiance à un administrateur, lequel pouvait soit redistribuer les profits, soit garder l’argent pour lui ! Contrairement au groupe témoin n’ayant pas reçu d’ocytocine, et qui s’est montré de moins en moins confiant envers cet administrateur peu scrupuleux, ceux qui avaient reçu de l’ocytocine continuaient à lui confier leur argent. L’ocytocine a alors été surnommée « l’élixir de la confiance ». Des IRM ont d’ailleurs montré que cette hormone diminuait l’activité de deux régions cérébrales : l’amygdale, siège des émotions, de la peur et du danger, et le striatum, chargé d’ajuster les comportements.

De nombreux sociologues – dont Louis Quéré, qui a beaucoup travaillé sur le concept de confiance – estiment cependant que l’ocytocine joue plutôt le rôle de « réducteur d’incertitude ». Elle permettrait d’engager des relations stables entre individus, mais à la condition expresse que les stimuli sociaux s’y prêtent. Par conséquent, la confiance serait le fruit d’une construction sociale facilitée par la sécrétion d’ocytocine.

APPLICATION DANS LA PROFESSION INFIRMIÈRE

La confiance crée les bases d’une collaboration constructive où il y a mise en commun de ressources et de savoir-faire, échange d’actions compétentes, et où se révèlent progressivement les potentialités de l’action collective. « L’installation de la confiance dans la relation soignant-soigné fait écho à la théorie d’attachement du psychiatre John Bowlby, estime Daniel Maroudy. Le malade tend à faire de l’infirmière une figure d’attachement. Par ses actes, son comportement, sa communication, elle devient un lieu de référence, de sécurité, d’espérance, de soulagement, de confidence… Il en fait un point focal où convergent ses attentes avec la perspective de réponses. Avoir une figure d’attachement permet au soigné de cheminer plutôt en confiance dans son rapport à la maladie, d’être partenaire et acteur de son projet de soins et avec une visibilité sur son avenir de personne malade et au-delà. »

Il est d’ailleurs des situations où, sans confiance, l’adhésion au soin risque fort d’être remise en question par la personne soignée :

→ lorsque le soin est douloureux ou que son résultat est incertain. Expliquer ce qui va être réalisé étape par étape, dans quel but, avec quels effets attendus (négatifs comme positifs) participe aux besoins de transparence et d’honnêteté que le soigné est en droit d’attendre ;

→ lorsque le soin est intime. Faire parler le malade sur ce qui est acceptable pour lui, ce qu’il attend du soignant pour lui faciliter la tâche, est essentiel ;

→ lorsque le soin est appelé à se répéter (maladie chronique). Le patient n’est pas passif et l’impliquer dans la prise en charge de sa pathologie a un impact positif. Par la confiance, il faut l’inciter à réaliser ce qui est bon pour lui (et médicalement prouvé), mais sans le braquer. Il s’agit là d’une subtile négociation qui a d’autant plus de chances d’aboutir que le soigné se sent en sécurité et qu’il adhère à cette démarche.

LA CONFIANCE EN SOI, PRÉAMBULE À LA RELATION DE CONFIANCE

Obtenir la confiance d’autrui demande d’avoir des qualités d’écoute, d’empathie, de disponibilité et d’être capable d’anticiper les situations où cette confiance risque d’être rompue, pour agir avant que cela ne se produise. Mais avant tout, il faut avoir confiance en soi. « Avoir confiance en soi est le moteur de notre relation au monde. Acquise (ou non) durant la petite enfance, selon que l’on a reçu du soutien, des encouragements, des échanges avec ses parents, cette confiance en soi a ensuite pu grandir (ou pas) sous le regard de l’autre, par l’apprentissage et la connaissance, l’expérience, la conscience de soi et de ses aptitudes à faire face à ce qui peut advenir », explique Daniel Maroudy.

Selon le philosophe Charles Pépin, la confiance en soi s’acquiert selon trois voies : relationnelle (en faisant confiance à quelqu’un qui nous apprend comment faire), technique (en s’exerçant jusqu’à avoir les compétences) et intuitive (en se faisant confiance pour y arriver). Lorsque l’on prend confiance en soi, les doutes et les incertitudes ne sont plus des obstacles infranchissables, mais des difficultés plus ou moins attendues avec lesquelles on apprend à composer. « Avoir confiance en soi commande notre façon de nous conduire et nous donne une approche volontaire positive, sereine, insiste le cadre supérieur infirmier. Grâce à la confiance en soi, on ne fuit pas la difficulté, mais on cherche en soi, avec lucidité et raison, les ressources pour y faire face et/ou s’adapter. La confiance en soi n’occulte ni l’erreur, ni la possibilité de l’échec : elle les envisage comme occasion d’apprentissage. »

LES LIMITES À LA RELATION DE CONFIANCE

Il existe des situations dans lesquelles la relation de confiance peut être remise en cause :

→ quand il y a un excès ou un défaut de confiance en soi. « La confiance en soi n’a rien à voir avec l’excès de confiance en soi, qui lui, n’est que vanité et illusion, met en garde Daniel Maroudy. En effet, avoir une vision surdimensionnée de ses capacités perturbe son rapport au monde et expose lamentablement à l’échec et au ridicule. » Quant au manque de confiance en soi, c’est une dépréciation de soi et dans sa relation à l’autre, responsable d’anxiété, d’isolement, de désespérance… Il peut induire un effet miroir et de contamination sur l’environnement. Se sortir seul de cet état étant souvent impossible, l’aide d’autrui peut être nécessaire ;

→ quand le patient est en souffrance. Cela peut se produire en raison de l’évolution de la maladie, par exemple, et le soignant doit alors faire preuve d’une grande patience et de tolérance. Repérer les signaux d’un mal-être (par un refus de soin, une agressivité, un repli sur soi…) pour mieux répondre à ses attentes, expliquer ce qu’il se passe, quelles sont les nouvelles stratégies mises en place, quitte à énumérer leurs limites, c’est la base d’une relation sincère et transparente, qui permet à la personne soignée de donner un sens à ce qu’elle vit ;

→ quand il y a trahison du point de vue du soigné. Si celui-ci estime avoir été dupé, trompé, la confiance s’estompe, voire, se rompt. « Dans une situation de crise où la confiance soignant-soigné est rompue, il est souvent préférable de passer la main à un autre soignant comme médiateur et relais de confiance. De son côté, le professionnel de santé ayant été maladroit ou auteur d’un manquement sans intention peut aussi faire amende honorable dans une recherche d’apaisement et d’absolution », conseille Daniel Maroudy. Il existe néanmoins des situations où la restauration de la confiance est très compliquée, sinon impossible, avec parfois comme issue la judiciarisation de la relation soignant-patient.

UNE FORMATION À CRÉER ?

En tant qu’ancrage indispensable à la relation de soin, la confiance engage le soignant : elle l’oblige et lui impose l’irréprochabilité, le respect, la transparence. Hormis l’expérience acquise tout au long des études et dans le cadre professionnel, il n’existe pas, selon Daniel Maroudy, de formation dédiée à l’approche conceptuelle et pratique de la confiance dans la relation soignant-soigné, pourtant essentielle. La mise en place d’un diplôme universitaire d’éthique pratique dans les soins pourrait y pourvoir. Car il n’y a pas de médecine possible sans confiance. En attendant un éventuel diplôme, l’organisation de réunions entre soignants pour débattre de situations compliquées est une piste à explorer.

RÉFÉRENCES

• Maroudy D., Grassin M., Wanquet-Thibault P., Soins, laïcité, religion et spiritualité, éditions Lamarre, 2019

• Maroudy D., Don d’organes en situation de mort encéphalique. Manuel pour l’entretien avec les familles, éditions Elsevier Masson, 2014

• Kosfeld M., Heinrichs M., Zak P. J., Fischbacher U., Fehr E., “Oxytocin increases trust in humans”, Nature, juin 2005, vol. 435, 673-676. En ligne sur : bit.ly/3rqT4xd

• Quéré L., « Comment “naturaliser” la confiance ? », Intellectica, février-mars 2007, n° 46-47

• Haute Autorité de santé (HAS), « Communiquer – Impliquer le patient. Outils de communication pour les professionnels de santé », novembre 2017. En ligne sur : bit.ly/39ESm9l

• Haberey-Knuessi V., Obertelli P., « La relation soignant-malade face au risque de la confiance », Sociologies pratiques, février 2017, n° 32, 107-117

• Ifsi CHU Nantes, « Les concepts fondateurs de la relation dans un contexte de soins : soins relationnels ». En ligne sur : bit.ly/2YEwLHT

Cas clinique

Une situation de relation de confiance rompue

Monsieur X., 71 ans, atteint d’un cancer de la prostate, vient de subir une prostatectomie. Il est très anxieux car sa maladie lui semble injuste et il craint par-dessus tout de devenir incontinent. Avant l’opération, le chirurgien l’a prévenu que dans les suites immédiates de l’intervention, 70 % des patients avaient des fuites urinaires, mais qu’une amélioration naturelle ou avec la rééducation permettait de réduire ce taux à 20 % à un an. Malgré tout, M. X craint de devoir finir sa vie avec des changes, comme son père. La jeune élève infirmière venue vidanger la poche de la sonde urinaire du patient et qui avait tenté de le rassurer les jours précédents en péchant par un excès d’optimisme (lui prédisant que tout irait bien), en fait les frais car M. X présente bien des fuites et la tient pour responsable. « Il est toujours difficile de restaurer en peu de temps une relation de confiance rompue ou même simplement affectée. Il n’y a pas de recette établie pour y parvenir. L’hétérogénéité des faits et situations pouvant altérer la confiance d’un patient renvoie à mille et une façons d’y répondre. En situation (le temps d’une hospitalisation), l’intervention impartiale d’un tiers expérimenté, dont les qualités et l’autorité (morale) sont reconnues (collègue, cadre, chef de service…), peut aider à retrouver des conditions pour un lien de confiance altéré. C’est une véritable démarche de médiation à laquelle tout soignant et responsable soignant devraient être préparés. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La judiciarisation des conflits relationnels et de la confiance soignant-soigné est souvent le résultat d’échecs de conciliation à l’amiable », avance Daniel Maroudy, cadre supérieur infirmier d’anesthésie réanimation.