LES BLOCS DU MANS PASSENT AU VERT - Ma revue n° 006 du 01/03/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

DÉVELOPPEMENT DURABLE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Adrien Renaud  

Sous l’impulsion d’un couple d’infirmiers anesthésistes, les blocs opératoires du centre hospitalier du Mans (CHM) ont initié tout une série d’actions pour réduire leur empreinte environnementale.

Ce n’est pas parce qu’on sauve des vies tous les jours qu’on ne doit pas se préoccuper aussi de sauver la planète ! Telle pourrait être la devise de Julien Tessier et Delphine Rouillé. Il y a deux ans, ces deux infirmiers anesthésistes (Iade), qui vivent et travaillent ensemble, ont décidé que les efforts qu’ils faisaient en faveur de l’environnement chez eux devaient se poursuivre sur leur lieu de travail, au centre hospitalier du Mans.

« C’est un sujet auquel nous sommes sensibles sur le plan personnel, explique Julien. Nous avions beaucoup d’idées et nous avons eu envie de proposer une démarche dans notre bloc. » La première étape a été de se renseigner sur l’existant. « Quand on travaille, au quotidien, on n’a pas un aperçu de tout ce qui est fait, remarque l’Iade. Nous avions l’impression que ces sujets n’étaient pas traités, alors qu’en réalité, certaines choses avaient déjà été mises en place, par exemple concernant le tri. » Les soignants soulignent qu’ils ont beaucoup été aidés dans cette démarche initiale par Stéphanie Bourgeois, l’ingénieure environnement de l’établissement. Mais en dépit des efforts préexistants, le vert n’était pas la priorité dans les blocs manceaux avant que le couple ne décide de se pencher sur la question. « Il n’y avait pas d’attention particulière portée à ce sujet, reconnaît Nicolas Mottais, cadre de santé au bloc, responsable notamment de l’anesthésie et de la salle de réveil. On en entendait parler, mais au niveau de l’anesthésie, par exemple, nous n’avions pas de politique basée sur le développement durable, et c’est vraiment Julien et Delphine qui ont initié cette réflexion. »

DES ACTIONS À HAUTEUR DE SOIGNANTS

Les deux professionnels de santé ont adopté une démarche très empirique : partir du terrain et, surtout, rester modeste. « Nous étions inexpérimentés en la matière, nous avons donc choisi un domaine simple à mettre en œuvre : le recyclage des lames métalliques de laryngoscope et des fils de bistouri électrique », détaille Julien. Deux types de matériel à usage unique dont les blocs font une grande consommation et qui finissent trop souvent dans la poubelle des déchets assimilés aux ordures ménagères (Daom), alors qu’ils peuvent être valorisés. Bien sûr, les lames de laryngoscope et les fils de bistouri ne représentent qu’une petite partie des déchets produits à l’hôpital (lire l’encadré « Le bloc, une usine à pollution » p. 62). Mais il faut bien commencer par quelque chose. Sans compter qu’il existait déjà une filière de recyclage pour ce matériel, « assez peu utilisée ». « Notre travail a été de relancer cette filière et de l’expliquer sous l’angle du développement durable », détaille l’Iade.

UN EFFORT COLLECTIF

Un travail de communication avant tout, donc. Ce qui ne veut pas dire que Julien et Delphine ont ménagé leurs efforts. Bien au contraire. « Nous avons participé à une multitude de réunions pour s’adresser à l’ensemble des personnels, et ce, sur les trois blocs que compte l’établissement », se souvient l’infirmier. Entre-temps, sa compagne et lui ont été nommés référents sur les sujets de développement durable par leurs cadres. Et au bout d’un an d’efforts, les blocs du CHM pouvaient afficher un bilan plus qu’honorable. « Au cours de l’année 2019, le poids de matériel récupéré avait été multiplié par quatre », se félicite Julien.

Bien sûr, il s’agit d’un effort collectif, et les deux Iade sont loin de vouloir en tirer à eux seuls toute la gloire. Un petit groupe s’est constitué autour d’eux. « À chaque fois que je voyais quelqu’un à qui je n’avais pas parlé du projet, je lui expliquais comment trier les lames de laryngoscope et les fils de bistouri, raconte par exemple Lucie Flotté, aide-soignante au bloc opératoire. Maintenant, c’est entré dans les mœurs. » L’encadrement a également dû y mettre du sien. « Nous avons tenté de dégager du temps à Delphine et Julien pour qu’ils puissent écrire et mener à bien leur projet », explique ainsi Nicolas Mottais. Celui-ci reconnaît toutefois que la grande majorité du travail a été réalisée par les deux soignants sur leur temps personnel.

VERS D’AUTRES HORIZONS

Reste que dans l’esprit des référents « développement durable » fraîchement émoulus, les fils de bistouri et les lames de laryngoscope n’étaient qu’une première étape. Ils se sont donc empressés d’enclencher de nouvelles actions. « À l’issue de ce travail, les gens sont venus nous voir pour nous dire qu’eux aussi avaient des idées, et notre groupe a pris de l’ampleur », se souvient Julien. Lui et son épouse ont même, pour s’assurer d’être aussi pertinents que possible, suivi une formation de deux jours dispensée par L’Entreprise Médicale et intitulée « Promouvoir et mettre en œuvre une démarche de développement durable au bloc opératoire ». Et c’est munis de ce nouveau bagage qu’ils ont poursuivi leurs démarches.

Durant l’année 2020, leur action est largement restée centrée sur la gestion des déchets mais elle s’est étoffée. Les blocs sont ainsi en train de mener une réflexion pour diminuer la part des déchets d’activités de soins à risque infectieux (Dasri) dans le total des déchets qu’ils produisent. Les Dasri font en effet l’objet d’une filière de traitement spécifique, plus coûteuse et plus génératrice de gaz à effet de serre. Or, beaucoup de déchets finissent dans les conteneurs Dasri, alors qu’ils pourraient être traités comme des déchets ordinaires, avec les Daom, dont l’impact environnemental est bien moindre.

TRIEZ CE PAPIER QUE JE NE SAURAIS VOIR

Toujours dans le registre des déchets, les blocs du Mans ont introduit un geste que beaucoup font à la maison, mais qui ne s’était pas encore frayé un chemin jusque dans les salles d’opération sarthoises : le tri des papiers et des cartons. « C’est vrai qu’on en utilise énormément, note Lucie Flotté. On a sensibilisé tous les collègues au fur et à mesure, et maintenant, tout le monde s’y met. Au début, nous nous étions contentés de mettre de petits bacs bleus pour collecter papiers et cartons, mais ils se remplissaient de plus en plus, et nous sommes récemment passés à des bacs beaucoup plus grands. » Aujourd’hui, l’aide-soignante voudrait aller plus loin dans la direction du tri en triant également le verre.

Mais le développement durable ne se limite pas au tri. C’est ainsi que Julien Tessier se réjouit de voir que les médecins du service ont diminué leur consommation de desflurane, un gaz anesthésiant à fort effet de serre (lire l’encadré p. 62), et privilégient les alternatives lorsque cela est possible. « On a supprimé huit cuves de desflurane », se réjouit l’Iade. Celui-ci note que les praticiens ont aussi de plus en plus tendance à diminuer le débit des gaz les plus polluants, sans dommage pour le patient bien entendu. Dans un tout autre registre, les équipes ont décidé de supprimer les gobelets en plastique des salles de pause. En matière de développement durable, il n’y a pas de petit profit.

ÉLAN COLLECTIF

Il faut souligner que la plupart des actions entreprises par les équipes des blocs opératoires au Mans ne nécessitent pas de moyens démesurés. « C’est vrai que nous avons des effectifs importants, répartis sur plusieurs sites, ce qui nécessite de faire des points d’information assez régulièrement avec les équipes, note Nicolas Mottais. Mais trier le carton, par exemple, c’est facile à faire. » Et c’est justement le caractère très pratique des interventions prônées par Julien et Delphine qui a fait leur succès : chacun, à son niveau, peut contribuer au changement. Les deux professionnels de santé sont d’ailleurs conscients d’être aidés dans leurs initiatives par de profondes transformations récemment intervenues au sein de la société. « Il y a quelques années, les choses ne se seraient pas passées comme cela, estime Julien. On a vraiment l’impression d’être sur une vague, de bénéficier d’un courant qui fait que les choses sont assez faciles à mettre en œuvre. »

DU LOCAL AU GLOBAL

Reste que la question du passage des petits gestes effectués par les soignants au quotidien à une véritable transformation du mode de fonctionnement de l’hôpital se pose. Car si les professionnels des blocs sarthois revendiquent une approche fondée sur les actions de terrain, ils espèrent bien enclencher un mouvement de fond à l’échelle de l’établissement. « Par notre démarche, nous alertons nos cadres, nous avons rencontré notre direction et nous lui avons demandé de l’aide pour l’amplifier, raconte Julien. Le problème, c’est que dans le projet d’établissement du centre hospitalier du Mans, rien n’est défini sur le développement durable. » Il est vrai que ce document, qui couvre la période 2019-2023, n’évoque le sujet qu’en des termes très évasifs.

« Le CHM a développé des actions en matière de développement durable et doit veiller à les partager pour encore les renforcer en responsabilité collective », stipule son 28e et dernier objectif. Comme action marquante en matière de développement durable, il ne cite guère qu’une « action de solidarité pour l’utilisation des surplus alimentaires » et, comme action projetée, on doit se contenter d’une « réflexion sur les modes de transport des professionnels ». Or, pour Julien, la clé est là. « Le jour où le projet d’établissement fera une réelle place au développement durable, on aura plus de moyens pour travailler dans ce sens », espère-t-il. Il reste encore quelques années pour influer sur le prochain projet.

RÉFÉRENCES

• Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), « Guide pratique Développement durable au bloc opératoire », septembre 2017. Disponible en ligne sur : bit.ly/3d5YSbc

• MacNeill A. J., Lillywhite R., Brown C. J., “The impact of surgery on global climate: a carbon footprinting study of operating theatres in three health systems”, Lancet Planet Health, 2017; 1: e381-88t. Disponible en ligne sur : bit.ly/37bWuft

Le bloc opératoire, une usine à pollution

L’empreinte environnementale des hôpitaux est loin d’être négligeable, et les blocs opératoires y contribuent largement. D’après le « Guide pratique développement durable au bloc opératoire », édité par la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), les établissements de santé français produisent 3,5 % de l’ensemble des déchets produits sur le territoire. Et c’est au bloc que les poubelles ont le plus tendance à gonfler : il est en effet « responsable de 20 à 30 % des déchets produits, alors qu’il ne représente qu’une petite partie de la surface occupée », note la Société française d’anesthésie-réanimation.

LES BLOCS, TRÈS ÉNERGIVORES

Au-delà de la question des déchets, le bloc est également un grand consommateur d’énergie. Toujours d’après la Sfar, le système de santé français représente à lui seul environ 7 % de la consommation nationale totale d’énergie. Et au sein des établissements de santé, les blocs opératoires sont par nature extrêmement énergivores, en raison des normes drastiques qui les régissent concernant la circulation de l’air, l’humidité, l’éclairage ou encore la température. Or, précise la société savante, étant donné que « les blocs sont inoccupés jusqu’à 40 % du temps », il est possible d’économiser beaucoup d’énergie : « la réduction de la ventilation pendant les heures où les salles opératoires ne sont pas utilisées permet de faire jusqu’à 60 % d’économie d’énergie », précise le guide. Le remplacement des lampes halogènes par des LED peut, quant à lui, représenter un gain de 49 %. Troisième sujet de préoccupation : les gaz anesthésiants. D’après une étude publiée fin 2017 dans la revue Lancet Planetary Health, une intervention chirurgicale rejette en moyenne dans l’atmosphère entre 146 et 232 kg d’équivalent dioxyde de carbone, ce qui équivaut à 1,5-2,5 allers-retours Paris-Lyon en voiture, environ. Le principal responsable de ces émissions étant le desflurane, un gaz anesthésique au potentiel de réchauffement global 2 500 fois plus élevé que celui du dioxyde de carbone. La Société française d’anesthésie-réanimation préconise donc d’utiliser, dès que cela est possible, des alternatives à ce gaz.

Savoir +

L’ARGENT NE FAIT PAS (TOUJOURS) LE BONHEUR VERT

Il ne faudrait pas croire que l’argent est le principal frein au développement durable à l’hôpital. Car contrairement à une idée reçue, faire les choses en vert, ce n’est pas faire les choses en cher. Du moins, pas toujours. Le dernier projet mené aux blocs du Mans le prouve. «  Nous avons commencé à proposer une alternative aux couvertures à air pulsé que nous utilisons pour réchauffer nos patients en salle d’opération, qui sont à usage unique, qui génèrent du bruit et consomment de l’électricité.  » Désormais, à la place, les salles d’opération utilisent, pour les interventions chirurgicales dont la durée n’est pas trop importante, des couvertures bactériostatiques qui ne consomment pas d’électricité et sont réutilisables. «  Avant de les acheter, l’établissement nous a demandé de réaliser une étude économique, précise l’Iade. Et nous prévoyons de faire entre 10 000 et 30 000 euros d’économie par an, alors que le coût d’achat n’est que de 1 700 euros ! »

À retenir

• Deux Iade du CH du Mans ont initié tout une série d’actions dans le domaine du développement durable au bloc.

• En un an, ils ont par exemple réussi à multiplier par quatre le volume de lames de laryngoscope et de fils de bistouri recyclés.

• D’autres actions ont été entreprises : installation de bacs de collecte spéciaux pour le tri du carton et du papier, et réduction de la consommation de gaz anesthésiants à fort effet de serre.

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