LES INFIRMIÈRES DANS LA BATAILLE VACCINALE - Ma revue n° 006 du 01/03/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

COVID-1 9

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE SANTÉ

Adrien Renaud  

La campagne de vaccination contre le coronavirus a commencé en janvier.

Pour immuniser la population ou pour se faire vacciner elles-mêmes, toutes les infirmières, que ce soit en ville ou à l’hôpital, sont mobilisées. Elles racontent à L’Infirmièr.e leur bataille du vaccin.

Face à une épidémie que confinements et gestes barrières n’ont pas réussi à éradiquer, il reste un ultime espoir de triompher de la Covid-19 : la vaccination. Et qu’il s’agisse de grippe, de coronavirus ou de toute autre maladie, le Code de la santé publique est formel : la vaccination fait partie des compétences infirmières. La profession se retrouve donc sur le pont pour porter ce que tout le monde espère être un coup fatal à la pandémie.

Dans les premiers temps, toutefois, la contribution infirmière s’est trouvée limitée par la nécessité de choisir entre les différents publics à vacciner, et l’effort a surtout concerné ceux qui travaillent dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), lieux où se concentre un tiers de la mortalité due au virus. Les résidents ont donc été considérés comme la priorité numéro 1 par le ministère de la Santé dans sa stratégie de vaccination initiale, élaborée fin décembre.

BRANLE-BAS DE COMBAT À L’EHPAD

Les débuts de la campagne ont d’ailleurs parfois été mouvementés. « L’Agence régionale de santé [ARS, ndlr] nous avait donné un créneau autour du 20 janvier, puis nous avons eu un coup de pression, il a fallu le faire une semaine plus tôt », se souvient Pascale Maury, infirmière coordinatrice à l’Ehpad La Pépinière de Fleurance, dans le Gers. Pendant quelques jours, l’ambiance a un peu été au branlebas de combat dans l’établissement. « Nous avions trois jours pour tout organiser, notamment les visites pré-vaccinales et recueillir l’accord de nos soixante résidents », raconte Pascale. Au final, celle-ci se réjouit de voir que seulement deux personnes ont refusé l’injection. Et au moment où nous l’avons contactée, elle était en pleine préparation des deuxièmes doses. À l’Ehpad de Carantec, dans le Finistère, la vaccination des résidents a également été un moment particulièrement intense. « On a injecté toutes les premières doses en une seule journée et j’ai dû revenir sur mon repos, parce que nous ne sommes pas suffisamment nombreux », explique Pauline Calloch, infirmière dans la structure. Et d’ajouter qu’en amont, la journée a nécessité beaucoup de travail de la part du médecin et de l’infirmière coordinateurs, notamment pour discuter avec les familles des résidents qui n’étaient pas en mesure de donner leur consentement.

EXTENSION DU DOMAINE DE LA POPULATION À VACCINER

Dans l’effort pour vacciner la population, les infirmières des Ehpad ont rapidement été rejointes par d’autres. Les pays voisins affichant des rythmes de vaccination bien supérieurs à ceux de la France, le gouvernement s’est en effet vu contraint d’accélérer la cadence. Il faut dire que les comparaisons internationales rendaient fragiles les raisons invoquées par les autorités pour justifier leur prudence initiale : la rareté des vaccins (le seul disponible en janvier était celui de l’Américain Pfizer, qui posait des problèmes de conservation car devant être stocké dans des congélateurs spéciaux) ou la réticence de la population ne semblait pas arrêter les vaccinateurs à l’étranger…

Dès les premiers jours de janvier, deux nouveaux publics prioritaires ont donc été définis : les personnes de plus de 75 ans d’une part, et les soignants de plus de 50 ans (ou souffrant de pathologies particulières) d’autre part. « Avec une collègue, nous avons eu une semaine pour rassembler le matériel nécessaire à la vaccination de deux cents personnes », détaille Pauline Oheix, infirmière dans un centre de santé municipal à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine. Cela a représenté pas mal de travail… et nous avons épuisé les stocks de coton et d’alcool du centre », sourit-elle.

La jeune femme a bien été récompensée de ses efforts. « J’étais assez touchée, les gens étaient vraiment soulagés, il y avait même des enfants qui prenaient des photos de leurs parents pour rassurer la famille », relate-t-elle. Pauline a également été marquée par la mobilisation de la profession. Après un premier temps où, reconnaît-elle, elle s’est retrouvée seule avec sa collègue du centre de santé car « beaucoup ont attendu pour voir ce que cela donnait », des renforts sont arrivés. « Des infirmières à la retraite sont venues prêter main-forte, mais aussi des libérales et des infirmières scolaires », énumère la soignante.

OÙ SONT LES DOSES ?

Reste que cet élan de solidarité est intervenu dans un contexte très particulier : celui du manque de doses. « Nous avons énormément de monde qui ne parvient pas à avoir de rendez-vous, notre liste d’attente s’allonge », indique Pauline Oheix.

Une dure réalité qui est loin de ne concerner qu’Issy-les-Moulineaux, comme en témoigne l’expérience malheureuse vécue par Dominique Jakovenko, infirmier libéral à Saint-Christol-lès-Alès, dans le Gard, et président de l’Association des infirmiers libéraux du bassin alésien (Ailba). « Sur notre territoire, nous sommes habitués à partager des projets entre professionnels libéraux, hôpital, clinique et agglomération », raconte-t-il, soulignant que lors de la première vague du coronavirus, un centre Covid avait été monté en collaboration entre ces différents acteurs. « Quand on a commencé à parler de vaccination de masse, les interlocuteurs se sont rapidement rassemblés », poursuit-il. L’idée ? Utiliser le gymnase qui avait accueilli le centre Covid pour en faire un centre de vaccination.

En quelques jours seulement, les locaux sont aménagés. « Le gymnase a été adapté avec six postes pour les médecins et six postes pour les infirmiers. Nous pouvions même monter jusqu’à dix postes, précise le Cévenol. Nous étions opérationnels dès le 18 janvier, et nous étions humblement partis sur un objectif de cent-vingt vaccinations par jour. » Mais le lendemain, patatras. « On a appris que finalement, on aurait zéro dose », soupire Dominique. La situation a perduré, et à l’heure où nous mettions sous presse, le centre de vaccination d’Alès n’avait toujours pas ouvert. « Heureusement, nous pouvons vacciner à l’hôpital », précise l’Idel, qui indique que l’établissement dispose d’une centaine de doses par jour. « Au départ, c’était pour les soignants de l’hôpital et les libéraux, mais quand on a vu que notre centre n’ouvrait pas, on a aussi commencé à vacciner les personnes de plus de 75 ans. »

LE VACCINATEUR VACCINÉ

Si les infirmières jouent un rôle majeur pour vacciner la population, certaines se sont aussi retrouvées de l’autre côté de l’aiguille. C’est le cas de Laura, qui travaille à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), dans le sud-ouest parisien. « Dès que j’ai vu que je rentrais dans les critères pour être vaccinée, je me suis inscrite, raconte cette infirmière qui présente l’un des facteurs de risque justifiant une immunisation en priorité. J’ai pu prendre rendez-vous facilement, et tout s’est très bien passé. » Laura remarque d’ailleurs qu’elle a bien fait de se dépêcher. « Quand on en a parlé entre collègues, beaucoup étaient contre la vaccination, se souvient-elle. Maintenant, la plupart ont changé d’avis, mais elles ne peuvent plus s’inscrire, et sont un peu jalouses. » L’établissement a en effet temporairement cessé d’injecter les premières doses aux soignants pour se concentrer sur les deuxièmes doses.

UNE NOUVELLE VIE… OU PAS

Reste à savoir ce qui change une fois que l’on est vacciné. Et là, l’espoir d’une nouvelle vie complètement libérée du virus s’évapore assez rapidement. Laura, par exemple, avoue que ce n’est pas cela qui va lui permettre de travailler beaucoup plus sereinement. « Au travail, je n’ai jamais été très stressée par le virus, explique-t-elle. En réanimation, les patients Covid sont intubés, il y a peu d’aérosolisation, et en soins intensifs, nous sommes bien protégés, nous avons des masques adaptés… » En revanche, « pour la vie de tous les jours, je suis un peu plus rassurée », ajoute-t-elle, se réjouissant de voir que ses deux injections lui permettent d’avoir une vie sociale qu’elle n’avait pas auparavant.

Même sentiment ambigu dans les Ehpad. « La vie dans l’établissement ne va pas changer, on va continuer de respecter tous les gestes barrières, précise la Gersoise Pascale Maury. C’est vrai que c’est un peu difficile pour les résidents, car certains pensaient qu’une fois la deuxième dose reçue, ils pourraient enlever le masque et sortir. » Un constat en forme d’avertissement : si le vaccin représente bien une lumière au bout du tunnel, la sortie de crise, elle, n’est pas encore pour demain.

Cinq ou six doses ?

Le vaccin Pfizer, premier à être rendu disponible en France, est conditionné en flacons contenant cinq… ou six doses(1). Tout dépend de la dextérité de celui qui prépare les injections. « On a pu extraire six doses de tous les flacons, c’est d’ailleurs pour ça qu’on avait décidé que les doses seraient préparées par les infirmières et non par le médecin », se félicite Pascale Maury, à l’Ehpad la Pépinière de Fleurance, dans le Gers. D’autres, par contre, n’ont pas réussi la même performance. « On a pu obtenir la sixième dose que dans un flacon sur deux ou un flacon sur trois », concède Pauline Calloch, à l’Ehpad de Carantec, dans le Finistère.

1. Lire aussi l’article « L’injection du vaccin anti-Covid Comirnaty » page 32.

Quand Olivier Véran promet des doses aux infirmières

Invité par l’Ordre national des infirmiers (ONI) à échanger avec la profession lors d’un événement en ligne organisé le 3 février dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran n’est pas arrivé les mains vides. Alors que durant tout le mois de janvier seuls les soignants de plus de 50 ans ou ceux souffrant de certaines comorbidités pouvaient se faire vacciner contre la Covid, il a en effet annoncé que cette possibilité serait désormais ouverte à toutes les blouses blanches. L’arrivée du vaccin développé par le laboratoire suédo-britannique AstraZeneca change en effet la donne : si son efficacité est encore discutée pour les sujets âgés, elle est prouvée pour les plus jeunes. « J’ai donc décidé, avec le président de la République, que toutes les premières doses de vaccins AstraZeneca en France seront mises à disposition des soignants âgés de 65 ans et moins », a déclaré le neurologue grenoblois. Une mesure rendue effective dès le lundi suivant, soit cinq jours après l’annonce ministérielle, grâce à la distribution de 470 000 doses de ce vaccin dans les centres hospitaliers. Le jour même, Olivier Véran était parmi les premiers à bénéficier de sa propre mesure en se faisant vacciner devant les caméras au centre hospitalier de Melun. « À partir de maintenant, il va falloir que ça dépote », a-t-il déclaré devant les journalistes présents. Une seconde livraison de 700 000 vaccins AstraZeneca était d’ailleurs prévue quinze jours plus tard.

VACCINER À DOMICILE

Mais ce n’est pas tout : de nombreux soignants ayant souligné que certaines personnes fragiles, mais ne résidant pas en Ehpad, ne pouvaient se déplacer vers les centres de vaccination, Olivier Véran a annoncé être en train de préparer un décret permettant aux infirmières libérales de les vacciner à domicile. Il a ajouté que le remboursement des transports sanitaires pour les patients se rendant dans les centres de vaccination serait prochainement autorisé. Et il est vrai que toutes les énergies seront nécessaires pour atteindre l’objectif, ambitieux, rappelé par Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée du 2 février lorsqu’il a déclaré qu’il faut qu’il y ait un vaccin « pour tous les Français qui le souhaitent d’ici la fin de l’été ». Mi-février, cet horizon pouvait paraître encore très lointain : la France n’avait en effet administré, d’après l’outil CovidTracker qui compare les données sur le coronavirus entre les différents pays, que 3 doses pour 100 habitants. Ce qui plaçait notre pays loin derrière Israël, le champion de l’immunisation (66 doses pour 100 habitants), mais aussi derrière le Royaume-Uni (19 doses pour 100 habitants) ou encore la Roumanie (5 doses pour 100 habitants).

Lire notre actu « Alès : faux départ pour la vaccination » sur espaceinfirmier.fr, 03/02