MISSION COORDINATION, DE QUOI PARLE-T-ON ? - Ma revue n° 006 du 01/03/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

EXERCICE INFIRMIER

J’EXPLORE

COORDINATION

Laure Martin  

Si l’implication des infirmières de coordination dans l’organisation de la prise en charge des patients relève naturellement de leur rôle propre, elles ne sont pas les seules à accomplir cette mission, notamment à l’échelle territoriale ou dans le cadre de l’accompagnement des parcours très complexes.

La coordination, c’est la jungle », dixit Christophe Debout, infirmier anesthésiste, cadre de santé, docteur en épistémologie et philosophie des sciences, et membre de l’Institut Droit et Santé. Considérée comme l’un des éléments-clés de l’amélioration de la qualité des soins et de la prise en charge des patients, la coordination s’est déployée avec l’explosion des maladies chroniques et le recours toujours plus important au secteur ambulatoire. « Auparavant, les professionnels de santé fonctionnaient principalement par pathologie, rappelle Marie-Aline Bloch, chercheuse en sciences de gestion à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Mais ils se sont rendu compte que dans l’organisation des services, il était important de considérer le degré de complexité d’une situation, ce qui implique une coordination entre les acteurs. La finalité étant de personnaliser l’évaluation et l’accompagnement du parcours du patient sur le long terme, en prenant en compte les multiples dimensions de sa vie et son ressenti. » Mais côté définition, rien n’est très cadré, ce qui explique la multiplication des fonctions, des postes et des missions rattachés à la coordination. Un article(1) rédigé par des infirmiers portant sur la clarification du concept appliqué au domaine des soins identifie six attributs à la coordination et trois facettes d’application : une facette organisationnelle comprenant la transversalité, la corrélation et la planification proactive ; une facette fonctionnelle avec le partage et la facilitation ; une facette personnalisée car centrée sur la personne et son entourage. Autant d’applications pour lesquelles les infirmières jouent un rôle. « Il est très intéressant que ce rôle de coordination revienne aux infirmières car elles ont, de base, une bonne connaissance des parcours, des capacités à informer, à adapter leur communication à la personne, et une bonne connaissance des autres professionnels du secteur de la santé et du social », estime Christophe Debout. Néanmoins, « cette notion de coordination n’est pas un domaine réservé à un professionnel de santé et peut être mise en œuvre par d’autres acteurs », rappelle-t-il. C’est ainsi que deux grands secteurs se dessinent : la coordination effectuée par des infirmières de coordination (Idec), notamment dans les services hospitaliers, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en hospitalisation à domicile (HAD) ou encore dans les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Puis, la coordination territoriale réalisée par des coordinateurs pouvant être des infirmiers mais aussi des intervenants sociaux.

VIGIES DU SUIVI DES PATIENTS

La fonction d’Idec peut s’exercer dans une multitude de lieux et, à défaut de référentiel métier, les missions varient en fonction des structures, des services, des directions, des encadrants, voire des politiques de santé publique. Néanmoins, de grandes lignes peuvent être tracées, avec, pour clé de voûte, un contact direct de ces soignantes avec les patients et/ou leur famille, dans une approche personnalisée des soins.

Dans les services hospitaliers, par exemple, la fonction repose sur l’évaluation des besoins des patients et de leurs proches, sur l’information, l’écoute et le soutien mais aussi sur la facilitation du parcours et la coordination ville-hôpital. Les Idec exercent généralement dans les services où les patients sont confrontés à un parcours complexe. En cancérologie, une première expérimentation a été menée dans le cadre du Plan cancer 2009-2013 avec, aux manettes, l’Institut national du cancer (INCa) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). « La base commune aux Idec est d’assurer le lien ville-hôpital afin de sécuriser le parcours de soins du patient », explique Pascal Lotton, infirmier et Idec dans le service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes. Avec Lucie Lepert, autre Idec du service, ils accompagnent le patient dans sa prise charge afin qu’elle soit optimale jusqu’au retour à domicile ou jusqu’au transfert vers un autre établissement. Pour assurer cette mission, leur réseau est un élément majeur. « Nous avons tissé des liens à la fois en intrahospitalier, avec les professionnels de santé de l’établissement, comme les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les psychologues et les assistantes sociales, rapporte Lucie Lepert. Mais aussi en extrahospitalier avec les soignants libéraux, les intervenants sociaux, les associations, pour organiser au mieux la sortie des patients. »

MISSION À TEMPS PLEIN EN SSIAD ET EN EHPAD

Si, dans le cas des services hospitaliers, la fonction des Idec est souvent, mais pas exclusivement, exercée en parallèle d’une activité en soins cliniques, dans d’autres structures, elles peuvent remplir exclusivement des fonctions de coordination. C’est notamment le cas dans les services de soins infirmiers à domicile où leur rôle consiste principalement à évaluer la situation du patient et à faire en sorte que tous les intervenants se succèdent correctement à son domicile. En Ehpad, l’infirmière de coordination va avoir pour missions principales l’accompagnement des résidents et de leur famille, la coordination et l’encadrement des activités de l’équipe soignante, la gestion de la qualité et la participation à l’évaluation de l’autonomie de la personne, pouvant modifier le programme de soins de cette dernière. Comme l’explique Sandrine Pierda, vice-présidente de la Fédération française des infirmières diplômées d’État coordinatrice (Ffidec), « sur le terrain, on se rend compte que dans tous les Ehpad, les postes d’Idec sont occupés sans qu’il n’y ait pour autant de décret de compétences ou de formation rattaché à cette fonction. De fait, le rôle et la reconnaissance de l’Idec peuvent varier. »

Côté hospitalisation à domicile, l’infirmière de coordination évalue la faisabilité de la prise en charge des patients chez eux, en collaboration avec le médecin coordonnateur. Elle réalise le dossier d’évaluation pour l’admission des malades et organise leur prise en charge et leur suivi.

COORDINATION TERRITORIALE EN APPUI DES PROFESSIONNELS

En parallèle des missions des Idec, dans les territoires, une autre forme de coordination est réalisée à l’échelle des professionnels de santé, notamment au sein des dispositifs d’appui à la coordination (Dac), des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou encore des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). « L’objectif est de permettre à des professionnels d’un territoire de se coordonner, et pour les y aider, il faut des coordinateurs », résume Anne Raucaz, chef de projet à l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap). Cette coordination peut être assurée autant par des infirmières que des travailleurs sociaux, qui n’interviennent pas dans le cadre de leur métier initial, même si les compétences et connaissances acquises sont un avantage certain.

Si l’on s’attache aux dispositifs d’appui à la coordination en particulier, le rôle du coordinateur est de permettre à l’ensemble des professionnels de santé d’un territoire d’être accompagnés pour la prise en charge de leurs patients qu’ils estiment complexes, pour apporter la bonne réponse au bon moment. Il s’agit d’une part d’identifier la ressource la plus adaptée à cette prise en charge, mais également de coordonner au plus près les situations individuelles pour lesquelles le dispositif est sollicité par le biais d’une évaluation multidimensionnelle et de préconisations à l’équipe de premier recours en charge de la situation. C’est donc non seulement une équipe professionnelle qui va être bénéficiaire de la coordination, mais in fine le patient. « Le coordinateur, qui a une connaissance pointue du terrain et des acteurs, oriente au mieux les professionnels », précise Sylvie Métayer, infirmière de formation, actuellement directrice d’un Dac et membre du bureau de la Fédération nationale des dispositifs de ressources et d’appui à la coordination des parcours de santé (Facs).

Le Dac, qui assure une coordination clinique avec, pour finalité, une réponse aux besoins des patients, intervient également à un niveau plus macro, territorial, afin de réfléchir à la manière dont les représentants des professionnels sur un territoire peuvent s’entendre pour répondre à des besoins non couverts et ainsi améliorer les prises en charge et l’organisation. « La coordination territoriale permet de mettre en lien les acteurs au profit d’un parcours pour le fluidifier via les filières, l’interconnaissance de ces acteurs et leur mobilisation, poursuit Sylvie Métayer. L’approche est plus politique et se base sur la coordination clinique, qui identifie le “symptôme” pour améliorer la situation sur un territoire. » Ce “case management” intervient en proposant une réponse graduelle, adaptée à chaque situation.

Il existe encore une autre échelle de coordination, plus micro cette fois, pour les patients très complexes avec l’intervention, au sein des Dac mais également des Ssiad, des coordonnateurs de parcours ou gestionnaires de cas. Ils ont connu leur essor avec le Plan Alzheimer 2008-2012 et les méthodes d’action pour l’intégration d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (Maia), afin de répondre au besoin de continuité du parcours de vie des personnes âgées touchées par cette pathologie ou des troubles apparentés. Leur rôle s’étend aujourd’hui au champ du handicap. Cette mission de coordination, qui requiert une formation obligatoire via un diplôme interuniversitaire (DIU), est généralement accomplie par des infirmières ou des travailleurs sociaux. Le référent de parcours se déplace au domicile du patient pour consolider le parcours de vie de ce dernier en prévoyant l’intervention de tous les acteurs nécessaires à sa prise en charge, après avoir évalué les besoins. Il élabore un plan personnalisé de coordination en santé (PPCS) tel que préconisé par la Haute Autorité de santé (HAS).

Enfin au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles et des communautés professionnelles territoriales de santé, les coordinateurs, eux, vont avoir un rôle davantage administratif et organisationnel puisque leur finalité est de faire vivre le projet de santé de la structure, en s’assurant de la coordination des différents professionnels impliqués, entre eux, mais pour la structure.

RÉFÉRENCES

Note

1. Fishman-Bosc A., Leveau E., Crelerot-Klopfenstein S. et al., « Clarification de concept : la coordination appliquée au domaine des soins », Revue francophone internationale de recherche infirmière, juin 2016, vol. 2, n° 2, 77-86. En ligne sur : bit.ly/2YFhTsH

Se former

• DU « Coordination de Parcours et Gestion de cas : accompagner les situations complexes », université Paris-Est Créteil

• DU « Coordonnateur de parcours en gérontologie », université de Nantes

• DIU « Construction et coordination des parcours de santé », université Grenoble Alpes

Une formation dédiée à créer ?

Des formations existent dans le domaine de la coordination, mais sans réelle homogénéisation sur le terrain. La Ffidec travaille à la création d’une formation dédiée au rôle d’Idec car, en l’absence de métier reconnu et de décret de compétences, « sa légitimité au sein d’une structure varie », regrette Sandrine Pierda. Pour Pascal Lotton et Lucie Lepert, il va être difficile d’harmoniser une formation tant la pratique des Idec est diversifiée « ou alors, il faudrait différencier les appellations », suggère Lucie Lepert. Du côté des dispositifs d’appui à la coordination, pas de formation dédiée non plus. Actuellement, la Fédération nationale des dispositifs de ressources et d’appui à la coordination des parcours de santé réfléchit, avec l’École des hautes études en santé publique, à un diplôme universitaire sur la coordination des parcours. « C’est nécessaire afin que les coordinateurs aient des connaissances de base sur les situations complexes, la perte d’autonomie, les acteurs présents dans les territoires et les aides existantes, estime Marie-Aline Bloch. La formation peut aussi permettre d’acquérir une posture professionnelle. » « Il serait cohérent qu’il y ait une formation initiale prérequise, suivie d’une formation complémentaire sur la coordination, notamment sur les situations les plus récurrentes présentes sur le terrain, afin d’offrir la meilleure prise en charge aux patients, soutient Sylvie Métayer. Cela permettrait aussi la reconnaissance du métier et la création d’une identité partagée. »

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