L'infirmière n° 007 du 01/04/2021

 

JE DÉCRYPTE

LE MOIS EN BREF

Thomas Laborde  

Infirmier en psychiatrie, Loïc Rohr fait partie du Groupe de recherche en soins infirmiers (GRSI). Il œuvre pour la quête du moindre, voire du zéro, recours à l’isolement et la contention.

Que prévoit l’article 84 de la loi sur le financement de la Sécurité sociale ?

Il renforce l’article L 3222-5-1 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 en fixant des durées maximales au-delà desquelles le juge des libertés et de la détention doit être informé. L’isolement, c’est douze heures, renouvelables par tranche de douze heures, et jusqu’à quarante-huit heures. Pour la contention, c’est six heures, renouvelables par tranche de six heures, et jusqu’à vingt-quatre heures.

Que penser de ce nouveau cadre ?

Beaucoup le perçoivent comme une contrainte. Moi, je le vois comme une opportunité : aujour d’hui, nous avons suffisamment d’expériences de moindre recours qui ont démontré leur efficacité. Ce qui m’inquiète, c’est le risque de passer par des stratégies de contournement. On l’a bien vu avec la loi de 2011. Cela avait pour objectif de limiter les recours aux mesures d’hospi talisation sans consentement avec la notion de péril imminent(1). Effet pervers : ils ont augmenté en flèche ces dernières années ! J’ai peur que ça soit la même chose pour l’isolement et la contention.

Les psychiatres dénoncent une loi inapplicable en l’état, sans rejeter le fond, et réclament davan tage de moyens…

Les moyens, c’est important. Mais pour faire quoi ? On parle de dispositifs, comme les espaces d’apaisement, assez à la mode. Pourtant, ce n’est pas le lieu qui compte mais la façon dont on va l’habiter qui va apaiser le patient. Cet espace peut aussi bien être un lieu dédié, qu’un couloir, la chambre ou autre. Pareil pour le personnel. Ce n’est pas parce qu’on met du monde qu’on va avoir un impact sur la qualité des soins parce que c’est surtout l’organisation des pratiques en lien avec les moyens dont on dispose qui influe.

L’efficacité de l’isolement et de la contention reste infondée selon la littérature…

C’est même délétère et traumatique pour les patients et les soignants. Certains établissements, certains pays pratiquent le zéro recours et ça fonctionne. On va dire que la psychiatrie en France n’est pas faite pareil, Infirmier en psychiatrie, Loïc Rohr fait partie du Groupe de recherche en soins infirmiers (GRSI). Il œuvre pour la quête du moindre, voire du zéro, recours à l’isolement et la contention. que nos patients sont plus compliqués ou que les soignants ne sont pas assez nombreux. Mais si on regarde au niveau local, dans certaines structures, il y a des disparités d’une unité à l’autre, à population, effectif et moyens constants. Mais on ne s’intéresse pas à ces variables.

Et dans votre établissement ?

On a redéployé du temps infirmier au plus proche du patient. Aller à sa rencontre avant qu’il ne vienne toquer à la porte. On est passé d’un service fermé à un service ouvert. Mais ça passe aussi par un changement de vocabulaire. Une chambre d’isolement n’est pas une chambre de soins intensifs. Les soins intensifs, c’est tout ce qu’il y a avant et après, pas pendant l’isolement ! On avait un cadre de soins. Ce « cadre de soins » rassemblait tout ce qui est restriction de libertés : visites, sorties, appels, habits, affaires personnelles. On a appelé un chat un chat, ce sont des mesures de restrictions de libertés. Dans ce changement de paradigme, on a observé une diminution de 70 % des mesures de restriction de libertés. Avant, on tournait avec cinq à dix isolements par jour. La modification de nos pratiques a permis de réduire de 80 % les situations de violence, de 30 % les isolements et de 90 % leur durée. Désormais, l’isolement ne dépasse plus vingt-quatre heures.

Comment changer de culture ?

Il faut que, nous, soignants, nous réappropriions notre rôle propre. 94 % des savoirs en psychiatrie ont été supprimés de la formation infirmière depuis la disparition de spécialisation d’infirmier de secteur psychiatrique. Certains ont peur d’aller au contact du patient. Ils s’isolent dans leur bureau et se réfugient derrière le prescrit. C’est le constat que l’on a pu faire dans notre unité et qu’on retrouve parfois ailleurs. Toutes les actions du quotidien qui peuvent sembler anodines, comme lire le journal au milieu des patients, sont pourtant riches de sens et ont un impact fort dans la vie d’un service et sur la qualité du soin. L’idée, c’est de mettre tout ça en mots pour réussir à le transmettre.

RÉFÉRENCES

Note

1. La notion de « péril imminent » permet d’autoriser des admissions à la demande d’un tiers sans présence de tiers, ce qui concerne notamment des personnes isolées.

Source utile

• Lanquetin J.-P., « Isolementcontention : comment réformer ? », Santé mentale, n° 256, mars 2021. En ligne sur : bit.ly/3t5zO93

Loïc Rohr a passé neuf ans dans une unité d’hospitalisation complète du centre hospitalier Saint-Cyr au Mont-d’Or, dans le Rhône. Il participe à des missions, notamment pour la Haute Autorité de santé, d’élaboration d’indicateurs qualité et sécurité des soins sur l’isolement et la contention.