L'infirmière n° 007 du 01/04/2021

 

SÉCURITÉ DES SOINS

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

D’ici fin 2021, les 511 Ehpad bretons disposeront d’une IDE hygiéniste mutualisée. Une mission que s’est fixée l’ARS Bretagne avec l’élargissement du dispositif expérimenté depuis 2015. À la clé : 29 postes répartis sur la région.

À mon arrivée en Bretagne, j’ai plongé directement dans le grand bain. Deux des treize établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad, ndlr) dont j’ai la charge faisaient face à l’apparition de cas de Covid chez leurs résidents. C’était un peu la panique. Il a fallu que j’aide les équipes à déplacer les personnes touchées pour les regrouper dans une unité dédiée, que j’indique aux personnels la marche à suivre pour s’organiser au niveau logistique (service des repas, évacuation des déchets), que je revérifie avec l’infirmière et le médecin coordinateurs les stocks d’équipement de protection mais aussi que je forme à l’habillage et au déshabillage. Rien n’avait été mis en place. Résultat : le temps de toucher tout le monde, ça m’a pris trois jours pleins », se souvient Cécile Vaubourg, infirmière hygiéniste (Ideh) à Saint-Malo. Pas de quoi, cependant, déstabiliser cette quinquagénaire qui, depuis vingt ans, a fait de l’hygiène sa spécialité et vient de rejoindre le réseau d’Ideh mutualisées breton (lire l’encadré « Des résultats encourageants » page 59).

Mis en place en 2015 par l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne, ce dispositif s’inscrit dans une démarche continue d’amélioration de la prévention des infections associées aux soins (IAS), grâce à la mutualisation d’infirmières hygiénistes qui interviennent chacune à tour de rôle dans une quinzaine d’Ehpad non hospitaliers. Le Centre régional d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Bretagne, pour sa part, est chargé d’assurer la coordination et l’animation.

COUVERTURE RÉGIONALE

Mais problème : jusque-là, seule une centaine, sur les 511 établissements de la région, a pu avoir accès à ce réseau, la plupart étant situés sur le littoral. Insuffisant pour l’ARS qui a souhaité, fin 2020, un élargissement du dispositif à toute la région, de sorte que l’ensemble des structures pour personnes âgées non hospitalières puisse bénéficier des compétences d’une Ideh. « On avait déjà cette réflexion de diffuser ce dispositif car il a fait ses preuves dans la maîtrise d’un épisode infectieux de quelque nature que ce soit, mais c’est clair que la Covid nous a donné une caisse de résonance énorme, et cela nous a permis de gagner trois ans », estime Isabelle Gélébart, directrice adjointe en charge de la veille et de la sécurité sanitaires à l’ARS Bretagne. Pour atteindre cet objectif, l’agence bretonne compte recruter 29 autres Ideh d’ici à la fin du premier trimestre 2021. En pratique, les nouvelles recrues viendront étoffer l’ancien réseau, avec, toutefois, un fonctionnement légèrement différent. Si le Cpias Bretagne reste le chef d’orchestre, notamment à travers l’animation de réunions d’échanges et la formation, les nouvelles Ideh seront employées par l’hôpital support de filière gériatrique, à partir duquel la soignante se déplacera dans les établissements les plus proches. Le cahier des charges prévoit également un lien formel avec l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) de l’hôpital. Au Cpias Bretagne, la nouvelle de ce déploiement a été accueillie avec soulagement. « En quatre mois l’année dernière, on a enregistré trois fois plus d’appels d’Ehpad qu’en 2019, résume Fabienne Day, cadre de santé hygiéniste au Cpias. Or, aucun n’émanait d’une structure dans laquelle une Ideh intervient déjà. Preuve qu’il faut étendre ce dispositif à tous les Ehpad. »

UN QUOTIDIEN CHARGÉ

De fait, certains établissements se révèlent très demandeurs. Un constat relevé par Brice Carré qui fréquente pas moins de dix-huit Ehpad autour de Morlaix depuis cinq ans : « Faute de personnel, les professionnels des Ehpad sont souvent débordés par leurs tâches. Ce qui saute en premier ? L’entretien des locaux et les gestes barrières. Mon rôle est non pas de les critiquer, mais de leur inculquer une culture de l’hygiène, en essayant de trouver le bon compromis entre la prévention et le fait que c’est aussi un lieu où les résidents doivent vivre », explique l’Ideh. Parce qu’ils combinent lieu de vie et lieu de soins pour des publics très fragiles, les Ehpad sont en première ligne à chaque fois qu’un épisode infectieux inhabituel, de type épidémie de gastro-entérite ou infections respiratoires aiguës, survient. Des situations qui rendent d’autant plus incontournable l’intervention d’une Ideh qui agit aussi bien en soutien qu’en prévention. Si la Covid a bouleversé le quotidien des Ideh, leurs missions vont généralement de l’évaluation des pratiques professionnelles en matière de risques infectieux (gestion du matériel, équipements de protection, mesures barrières…) à l’organisation des prises en charge, en passant par l’assistance technique et la formation des personnels (précautions standards et complémentaires, entretien des locaux, habillage/déshabillage, risque épidémique et biologique, accident d’exposition au sang…). Il s’agit aussi d’aider les équipes à rédiger des procédures et des protocoles, en lien avec le correspondant hygiène, l’infirmière et le médecin coordinateurs de l’Ehpad. « Les missions des Ideh en Ehpad sont identiques à celles de ceux qui exercent dans les établissements sanitaires, mais la principale différence, c’est qu’elles sont mobiles, donc, pas présentes tout le temps dans les établissements », synthétise Isabelle Gélébart.

PIQÛRE DE RAPPEL

Dans sa pratique, l’Ideh s’appuie avant tout sur le Document d’analyse du risque infectieux (Dari), qui permet de réaliser un état des lieux de la gestion de ce risque lié aux pratiques professionnelles et à l’environnement, aussi bien au niveau des soins de nursing que de l’entretien des dispositifs médicaux ou de la gestion des déchets. « Cette étape nous permet de repérer les points faibles et de mettre en place un plan d’amélioration. Avec une équipe de référents, constituée de membres du personnel, on essaie de définir des objectifs précis, qu’on réajuste à chaque intervention. Le but, c’est surtout que les professionnels de l’Ehpad deviennent acteurs de cette démarche pour la poursuivre lorsque je ne suis pas dans leurs locaux. Sinon, cela ne peut pas fonctionner », décrit Brice Carré. Qui dit mutualisation, dit effectivement temps optimisé pour l’Ideh. Sa journée type se structure ainsi souvent autour de demi-journées ou journées entières d’intervention par quinzaine, le planning des visites étant disponible quelques mois, voire un an à l’avance. Un cadre défini qui permet, d’une part, à l’Ehpad de s’organiser en interne et, d’au tre part, d’instaurer une dynamique. « Il faut continuellement faire des piqûres de rappel. Aujourd’hui, on est en pleine crise alors les personnels sont vigilants, mais dans deux ou trois ans, quand la crise sanitaire sera derrière nous, il y aura forcément des outils, des habitudes qui vont revenir et qui nécessiteront de nouvelles formations. C’est pourquoi ces expertises externes pour redonner les bonnes conduites à tenir sont nécessaires », justifie Anne-Sophie Légier-Vassard, infirmière de veille sanitaire à l’ARS Bretagne.

L’HYGIÈNE ET LA QUALITÉ

L’emploi du temps des Ideh « nouvelle génération » sera, lui aussi, légèrement différent de celui des infirmières déjà mobilisées, dont le quotidien est 100 % dédié à l’hygiène. Si la part du poste consacrée à l’hygiène restera majoritaire avec 0,7 ETP, elle devra, à terme, mettre aussi l’accent sur la qualité et la sécurité des soins en Ehpad. Une perspective qui laisse Cécile Vaubourg dubitative : « Avoir les deux casquettes de l’hygiène et de la qualité, ce n’est pas si simple. Rares sont déjà les soignantes qui ont les compétences en hygiène, alors s’il faut en plus qu’elles aient une expertise en qualité, les candidates risquent d’être peu nombreuses. Sans compter que s’il faut refaire des études, il faudrait aussi que le salaire suive. » Isabelle Gélébart, elle, temporise : « On sait qu’il n’y a pas assez d’hygiénistes sur le marché. On ne va donc pas leur demander de maîtri ser les deux aspects dès leur embauche. Pour nous, comme pour nos partenaires, l’hygiène reste prioritaire. » Autre priorité : former les candidates qui ne seraient pas titulaires d’un diplôme universitaire d’hygiène. Une formation de deux jours sera ainsi dispensée en avril, puis à l’automne par le Cpias Bretagne, qui fera notamment intervenir des Ideh déjà en poste et des praticiens hygiénistes de l’EOH du CHU de Rennes. Outre la formation, les nouvelles Ideh pourront compter sur le soutien et l’expérience de leurs équipes hospitalières de rattachement. « Sur ce type de poste, on peut rapide ment se sentir seule, constate Fabienne Day. Il est donc important de savoir qu’on fait partie d’un collectif de travail qu’il est possible de solliciter en cas de doute. » Un collectif sur lequel Cécile Vaubourg n’a pas hésité à s’appuyer depuis sa prise de poste : « J’ai beau avoir une solide expérience en hygiène, j’apprécie de pouvoir me reposer sur mon équipe. Et c’est d’autant plus précieux dans le contexte sanitaire que nous traversons actuellement. »

DES ÉCONOMIES INDIRECTES

Si l’ARS Bretagne accompagne le déploiement de ce dispositif en mobilisant 2,9 millions d’euros pour lancer les recrutements, charge aux établissements supports de filière gériatrique de les péren niser, le contrat initial proposé étant prévu pour deux ans. « L’expérience nous a montré que les Ehpad s’aperçoivent vraiment de la plusvalue d’avoir une Ideh qui leur rend visite régulièrement. L’effet combiné de l’achat raisonné de produits d’entretien, de la prévention et d’une meilleure gestion des épidémies permet de faire de sacrées économies », analyse Fabienne Day. De quoi espérer que l’intervention des Ideh puisse faire totalement barrage aux virus dans les Ehpad ? « Le fait d’avoir du personnel mieux formé n’empêche pas de faire entrer la maladie, nuance Isabelle Gélébart. En revanche, tous les Ehpad qui font partie de notre réseau sont unanimes : les situations se gèrent beaucoup mieux dès lors qu’une infirmière hygiéniste est en appui. »

Des résultats encourageants

Longtemps l’apanage de l’hôpital, la prévention des infections associées aux soins (IAS) dans le secteur médicosocial fait l’objet, depuis 2007, d’une série de programmes gouvernementaux visant à sensibiliser au risque infectieux les établissements qui en font partie. Une démarche dans laquelle l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne s’est inscrite dès 2014 en lançant une expérimentation(1) dont l’objectif était de tester la faisabilité et la pertinence de la mutualisation d’une infirmière hygiéniste (Ideh) par plusieurs Ehpad. Au total, sept projets portés par trois Ehpad accueillant un total de dix Ideh (sept ETP) intervenant dans 96 Ehpad ont été retenus par l’ARS bretonne. À l’issue des deux ans d’expérimentation, 83 % des Ehpad ont accepté de poursuivre la mutualisation de l’Ideh en assurant son financement, permettant ainsi à de nouvelles structures d’intégrer le dispositif. Avec le recrutement d’une trentaine d’ETP d’ici la fin du premier semestre 2021, l’ensemble des Ehpad bretons aura bientôt accès à une Ideh mutualisée. Reste à savoir combien de ces contrats qui courent sur deux ans seront pérennisés ? « Nous réfléchissons à les financer nous-mêmes, confie Isabelle Gélébart, directrice adjointe en charge de la veille et de la sécurité sanitaires au sein de l’agence bretonne. Si on n’y parvient pas, l’enjeu sera de savoir comment on peut le faire en lien avec les établissements de santé et les Ehpad bénéficiaires. »

1. Jan V., Jourdain S., Germain J.-M., « Infirmiers hygiénistes mutualisés en Ehpad : une solution pour structurer la gestion du risque infectieux. Bilan de 2 ans d’expérimentation en Bretagne », Bulletin national Cpias, n° 10, mars 2018. En ligne sur : bit.ly/3uyKvCx

Mobilisation similaire en Île-de-France

En Île-de-France aussi, le réseau d’infirmières hygiénistes mutualisées s’étoffe. Christèle Aniakou, qui dépend du groupe hospitalier de Poissy-Saint-Germain depuis 2019, voit cette décision d’un très bon œil. « Pour une fois qu’on met l’hygiène au centre des problématiques, je ne peux que m’en réjouir ! Si la Covid a eu un bienfait, c’est bien d’avoir permis aux structures de faire un bond au niveau de l’hygiène. Et si on veut avoir une chance que cela reste, il faut des professionnels pour rappeler régulièrement les bons réflexes », affirme la soignante qui a sous sa responsabilité une vingtaine d’Ehpad sur la centaine de structures que comptent les Yvelines. « En tant qu’hygiéniste, j’ai un regard très différent sur les gestes qu’effectuent les soignants au quotidien. Ainsi, c’est à moi d’évaluer les risques liés aux soins, de vérifier par exemple que la solution hydroalcoolique est placée au bon endroit ou que les personnels ne portent aucun bijou en exercice, tandis que l’infirmière coordinatrice, elle, a déjà bien assez à faire avec les résidents. Je pense aussi qu’en tant qu’intervenante extérieure à la structure, mes remarques sont beaucoup mieux acceptées que si je faisais partie de la hiérarchie. » Pendant la crise, une deuxième Ideh l’a rejointe, et deux autres devraient être recrutées prochainement.

À retenir

• L’ARS Bretagne déploie son dispositif expérimenté depuis 2015 à l’ensemble des 511 Ehpad autonomes du territoire, créant 29 postes d’Ideh.

• Si elle n’est pas présente à l’hôpital, l’infirmière mobile d’hygiène peut compter sur le soutien de son EOH de rattachement.

• L’appui d’une Ideh n’évite pas l’apparition des virus, mais en limite la propagation au sein d’un Ehpad.

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