GRANDE PRÉCARITÉ
J’EXPLORE
PRATIQUE INNOVANTE
Depuis février 2020, une expérimentation de Lits halte soins santé hors les murs est en cours à Marseille. Menée par SOS Solidarités, elle permet d’assurer des soins infirmiers et un accompagnement global des personnes précaires.
Le point de départ du projet a été un cas concret : un jeune homme âgé de 18 ans, avec un handicap, vivant en foyer pour jeunes et suivi par des éducateurs, allait perdre sa place à cause d’une problématique de santé qui devenait compliquée à gérer par l’équipe du foyer. « Habituellement, nous recevons des dossiers papier, mais dans ce cas, sollicités par la protection judiciaire de la jeunesse, nous avons réalisé une évaluation médicale et infirmière sur place, explique Narjess Himed, infirmière coordinatrice du projet Lits halte soins santé (LHSS) hors les murs du groupe SOS Solidarités. Nous avons proposé d’intervenir au niveau de la santé en effectuant la coordination des soins, en accompagnant le patient à ses rendez-vous médi caux pour réduire les difficultés de communication liées à la barrière de la langue ainsi que tout l’accompagnement de son environnement. Nous avons ainsi aménagé sa chambre pour éviter les chutes au niveau de la douche. Pour les soins, nous avons fait appel à des infirmières libérales (Idels) de droit commun ayant une sensibilité à la précarité et une connaissance des problèmes d’addiction. L’objectif a vraiment été d’outiller et de former l’équipe éducative et les infirmières libérales. Souvent, parce que la personne n’est pas là ou dans un état de dépendance, les soins sont difficiles à réaliser. Et on aboutit alors à des échecs à répétition de la prise en charge. »
Fort de cet exemple, qui a été un succès puisque le patient a pu se faire opérer, une réflexion plus globale a émergé en 2019. « Nous avons construit ce projet expérimental à partir du terrain, souligne Anne Gay, directrice des LHSS et du programme hors les murs au sein du groupe SOS Solidarités. Trois points majeurs sont ressortis, à savoir, comment participer à la prévention des ruptures de parcours de soins, comment assurer la continuité des soins et comment éviter les ruptures de parcours de soins et d’insertion à cause d’une problématique de soins et de santé. » Un projet expérimental soutenu par l’Agence régio nale de santé (ARS) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) qui le finance à hauteur de 570 000 euros sur trois ans. Quinze places expé rimentales sont ouvertes pour six semaines renouvelables, soit un tarif à la place de 12 000 euros par an. Une équipe de quatre personnes – une directrice qui coordonne et assure les budgets, deux infirmières dont une coordinatrice, une aide-soignante et un médecin (0,15 ETP), toujours en cours de recrutement – est à la tête du projet. Toutes les autres fonctions support sont mutualisées avec les LHSS classiques de Fontainieu, dans le XIVe arrondissement de Marseille.
Les observations de terrain des personnes qui arrivent en lit halte soins santé classique ont mis en exergue des points d’étranglement et un manque de fluidité dans le parcours. Ainsi, le projet a été construit avec trois niveaux d’entrée. La porte 1 concerne les personnes en amont de leur entrée en LHSS classique afin d’éviter la rupture dans le parcours de soins. « Quand une personne sort de l’hôpital, que nous recevons une demande, il y a souvent un temps d’attente avant d’obtenir une place, précise Narjess Himed. À la rue, il est difficile de faire refaire des pansements, de prendre des médicaments et le risque de réinfection à cause d’un man que d’hygiène est important. Nous pouvons positionner la personne sur une place d’urgence, amorcer le travail, tels que les bilans sanguins ou les injections d’anticoagulants, qui sera ensuite effectué en LHSS. L’équipe mobile va vers la personne, travaille sur son environnement en tenant compte de son extrême précarité et réalise les soins. Cet accompagnement évite qu’elle se retrouve démunie et seule avant son entrée en lit halte soins santé. » Pour fluidifier au maximum la démarche l’infirmière coordinatrice utilise un classeur qui contient toutes les informations nécessaires sur le patient : date de l’opération, identité de la personne qui le suit, nom du travailleur social, traitements en cours, antécédents éventuels, calendrier des rendez-vous… « Lorsque nous débutons une prise en charge, il y a une batterie de tests à réaliser qui peuvent vite devenir assez lourds pour une personne marginalisée, ajoute la soignante. Sa priorité n’est pas d’aller passer un écho-doppler ! Alors nous nous adaptons à elle avec beaucoup de souplesse. Nous la récupérons et l’emmenons à son rendez-vous. C’est un accompagnement d’hyperproximité. »
La porte 2 du dispositif s’adresse aux personnes qui sont déjà en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), inscrites dans un parcours d’insertion mais qui, à un moment donné, sont confrontées à un problème de soins saillant qui peut mettre à mal la prise en charge car la structure ne dispose pas du personnel compétent. « L’équipe hors les murs (HLM) peut être sollicitée pour apporter le plateau technique et la compétence infirmière, explique Anne Gay. Grâce à sa mobilité, elle vient au pied du patient et réalise les soins au CHRS. Cette proximité permet d’inscrire de grands exclus et des personnes précaires dans un parcours de soins. Grâce à cet “aller vers”, l’équipe mobi le va ainsi pouvoir créer un trait d’union entre différents profession nels d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale – assistants de service social et éducateurs spécialisés – qui n’ont pas l’étayage soignant. Et dans le cas d’un accompagnement vers l’hôpital, l’équipe mobile hors les murs va pouvoir être présente, expliquer et traduire, afin que les professionnels de santé sur place écoutent les personnes précaires. C’est un travail sur mesure, propre à chaque situation. »
Enfin, la porte 3 est destinée aux personnes en sortie de LHSS classique que l’on a du mal à orienter vers les structures de droit commun dans l’insertion sociale. L’équipe mobile hors les murs va pouvoir les accompagner pendant les six premières semaines d’installation dans un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Elle va mettre en place toute la coordination des soins nécessaires et soutenir l’équipe éducative du centre pour sécuriser et fluidifier le parcours.
Participer à cette expérimentation implique de pouvoir s’adapter en toutes circonstances tout en étant réactif. Il faut aussi accepter d’agir dans des situations où le protocole vole parfois en éclats. « J’ai travaillé dans des endroits plus techniques, comme les soins intensifs ou la chirurgie, où la prise en charge s’arrê tait une fois les soins réalisés, témoigne Narjess Himed. Aujourd’hui, la prise en charge globale de la personne prend tout son sens. Je dois réfléchir aussi bien à l’environnement du patient qu’à l’aspect social. Je dois tout imaginer autour de lui. Cela passe par l’endroit où je vais faire le pansement, ses habitudes de vie afin que je puisse le trouver, le repérage de la pharmacie où il pourra prendre sa tension si nécessaire, tout en faisant de l’éducation thérapeutique. Il n’y a pas de protocole. Une fois, j’ai fait un ECBU à un feu rouge. Tout de suite, je me suis demandé comment préserver la dignité du patient dans la rue. Depuis, j’ai un paravent dans ma voiture ! » Un autre point vient questionner les pratiques professionnelles : l’incurie des personnes. « Là où j’ai vraiment appris en tant que soignante, c’est de me dire que ce n’est pas grave si je n’ai pas fait le soin comme je voulais, raconte l’infirmière coordinatrice. Tout cela m’a fait grandir dans mon travail et ma pratique. Parfois, les collègues infirmière et aide-soignante avec lesquelles je travaille sont déçues et vivent comme un échec le fait de ne pas avoir trouvé la personne avec laquelle elles avaient rendez-vous alors qu’elles avaient réa lisé tout un travail en amont. Mais ce n’est pas un échec ! Elles ont amorcé quelque chose. Nous ne sommes pas des sauveurs, nous sommes une partie de la chaîne qui va aider à améliorer. » Avec une sacrée humanité.
• Décret n° 2020-1745 du 29 décembre 2020 (Journal officiel du 30 décembre 2020) élargissant les missions et les conditions techniques d’organisation et de fonctionnement des Lits halte soins santé (LHSS), des Lits d’accueil médicalisés (LAM) et des appartements de coordination thérapeutique (ACT). Le but est de faciliter la délivrance d’un accompagnement au plus près des besoins et éviter des ruptures de parcours. En ligne sur : bit.ly/3vb1BXC
• Haute Autorité de santé, « LHSS, LAM et ACT : l’accompagnement des personnes en situation de précarité et la continuité des parcours », 8 décembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3qt8G25
•34 personnes ont été admises en 2020.
•L’âge moyen des personnes est de 49 ans. L’âge médian est de 51 ans.
•Le plus jeune a 24 ans, le plus âgé a 68 ans. Neuf personnes ont plus de 60 ans.
•La durée moyenne de séjour est de 74 jours, soit dix semaines environ.
•Si on isole les personnes entrées avant le confinement, la durée moyenne de séjour est de 51 jours, soit sept semaines.