L'infirmière n° 008 du 01/05/2021

 

PÉDIATRIE

VIE PRO

SAVOIR-FAIRE

Lisette Gries  

Prodiguer un soin à un enfant inquiet, voire réticent, c’est un casse-tête auquel presque toutes les infirmières sont confrontées durant leur carrière. Pour y parvenir, il est nécessaire de savoir dialoguer avec ces jeunes patients.

De mouvements de société en affaires médiatisées, la question du consentement lors de l’accès au corps d’autrui s’est imposée dans les débats d’actualité. En écoutant la parole de victimes mineures, on comprend que le consentement d’un enfant, surtout quand il est en position de vulnérabilité, est complexe à recueillir. On sait également qu’il n’y a pas que les violences sexuelles qui produisent des traumatismes ; toute effraction de l’intégrité physique et psychologique est potentiellement porteuse de conséquences négatives.

Dans ce contexte, en tant qu’infirmière, il est légitime de s’interroger sur sa pratique, notamment auprès des enfants. Comment concilier l’obligation de soigner les jeunes patients qui leur sont confiés et l’impératif de respecter les limites qu’ils expriment ? Quand un enfant est réticent à recevoir un soin ou qu’il est visiblement indisposé par un geste, comment assurer sa prise en charge ? Et d’ailleurs, comment savoir si un enfant est d’accord pour être soigné ?

« S’il est peut-être compliqué pour les jeunes patients d’exprimer clairement un consentement, en revanche, ils savent très bien refuser », remarque Bénédicte Lombart, infirmière (IDE) et cadre en pédiatrie, titulaire d’un doctorat en philosophie pratique et éthique hospitalière, et spécialiste de la contention pendant les soins en pédiatrie(1). « Avant de soigner un enfant, il faut le rencontrer, et c’est dans cette rencontre que se joue notre capacité à recueillir son consentement, explique-t-elle. Culturellement, nous avons encore du mal à accepter le refus exprimé par les enfants. »

Pourtant, respecter l’intégrité de ces patients est primordial. « On ne peut pas se dire “dès demain, il n’y pensera plus” car cela peut-être un véritable traumatisme qui peut avoir des répercussions tout au long de la vie, souligne Azucena Chavez, psychologue clinicienne au sein du Centre du psychotrauma de l’institut de victimologie (CPIV). Quand on impose un vaccin ou qu’on administre un médicament par la force, on a la même posture qu’un parent qui gifle son enfant pour l’éduquer. Du point de vue de l’enfant, c’est une agression. » Se pose aussi le risque d’abîmer la relation de soin avec l’enfant, voire son rapport avec l’ensemble du personnel soignant.

LOYAUTÉ ET CONFIANCE

Il est par conséquent impératif de bannir les remarques comme « avec moi, tu ne feras pas ton cinéma ! » ou encore « ici, ce n’est pas toi qui commandes, c’est moi qui décide »… « Il est courant d’entendre des professionnels dire que l’enfant était impossible à raisonner, souligne Bénédicte Lombart. Or, raisonner quelqu’un, c’est le mettre en mouvement vers nous et nos contingences pour qu’il les accepte et s’y adapte. Il est illusoire de penser qu’un enfant pourra faire ce mouvement. » Les arguments que l’on estime rationnels et qu’on pourrait opposer à un patient adulte ne peuvent pas être entendus par des enfants ou des adolescents, surtout quand ils sont déjà dans une posture de refus. « Le seul mouvement possible va de l’adulte vers l’enfant et son univers », insiste-t-elle.

Le premier réflexe à avoir est donc d’échanger avec l’enfant avant de débuter le soin. « Il faut toujours donner une explication adaptée à l’âge de l’enfant, quel que soit le geste de soin, et ce, même avec des nourrissons, explique le Dr Sébastien Rouget, chef du service de pédiatrie du centre hospitalier sud francilien (CHSF). Lors de ces explications, il faut être loyal avec l’enfant, ne pas nier l’éventuelle douleur qu’il va ressentir, mais trouver des mots rassurants pour en parler(2). » Un temps de discussion qui est aussi l’occasion de rassurer et d’impliquer les parents, lesquels jouent un rôle de premier plan dans le vécu de leur enfant et peuvent se révéler de précieux alliés. Parfois vu comme chronophage dans l’organisation des équipes, cet échange est pourtant déterminant car il permet de donner du sens au soin. « C’est grâce à ce moment qu’une relation de confiance entre l’infirmière et son patient peut s’instaurer », appuie Azucena Chavez. Pour se mettre dans les meilleures conditions pour réaliser un soin, il ne faut pas hésiter à avoir recours à des méthodes analgésiques, qui vont de la tétée ou de la pipette de glucose chez les nouveau-nés, à l’usage de crème Emla ou de gaz Meopa. On peut aussi donner des choix illusoires à l’enfant, qui pourra ainsi garder le contrôle sur une partie du soin. « Par exemple, on peut dire : “J’ai besoin de quelques gouttes de ton sang pour mieux comprendre ce qui te fait mal au ventre, quel bras estce que tu préfères qu’on utilise ? », suggère Bénédicte Lombart. Les adolescents, eux, seront particulièrement sensibles à la franchise du personnel et au respect de la confidentialité.

CE QUE DIT LE REFUS DU SOIN

Quand le jeune patient exprime son refus malgré les explications, les soignants peuvent en premier lieu s’interroger sur la nécessité du soin. « Parfois, il y a des alternatives… Si l’on n’est pas intimement convaincu que le soin doit être réalisé dans l’intérêt de la santé de l’enfant, on aura plus de risque d’échouer », souligne le pédiatre. On peut ensuite examiner les raisons du refus : est-ce lié à une peur irrationnelle ? De l’image que l’enfant se fait du soin ? L’infirmière sera alors à même d’accueillir l’état émotionnel du patient et de le valider, en disant, par exemple : « J’ai l’impression que tu as peur », puis d’y répondre. « La peur, comme la douleur, sont du domaine du corporel. La réponse passe aussi par le corps », remarque Bénédicte Lombart. Des techniques d’hypnoanalgésie, qui font appel à l’imaginaire, permettent d’atteindre une forme de dissociation. « On peut lui proposer de souffler sur une bulle imaginaire que l’on forme avec son pouce et son index, et de souffler toute sa peur dans cette bulle. À chaque fois que l’enfant souffle, on éloigne la main et on réduit le diamètre de la bulle », poursuit-elle. Ainsi, l’enfant focalise son attention visuelle sur la main, qui suggère la transformation et la réduction de sa peur. Sans compter que le souffle aide à retrouver son calme. De même, lui laisser une certaine maîtrise sur les événements peut aussi débloquer la situation : lui laisser le choix de sa posture, la place de son parent dans la pièce, etc. « Même si c’est contre-intuitif, il vaut mieux laisser l’enfant bouger et remuer dans la pièce si l’on souhaite qu’il soit immobile au moment du soin, plutôt que de le bloquer d’emblée », conseille Bénédicte Lombart. « Il arrive souvent que derrière le refus de l’enfant se cache un enjeu relationnel, indique Sébastien Rouget. Cela n’a rien à voir avec la valeur professionnelle du soignant. » Si l’enfant est mal à l’aise avec le soignant, dans l’intérêt du soin, il est possible de passer la main. « Il se peut aussi que l’enfant ait senti une ambivalence de ses parents par rapport au soin et qu’il s’en fasse le porte-parole, ou que ce soit en réalité à ses parents qu’il s’oppose à travers ce refus », détaille le pédiatre. Avec les adolescents, l’opposition au soin peut exprimer un besoin de contrôle sur un corps qui leur échappe, ne serait-ce que par les changements liés à la puberté. « On peut vraiment voir le refus d’un soin comme une porte qui s’ouvre vers une discussion », insiste le médecin. Une fois les enjeux sous-jacents identifiés, en fonction de l’âge et de la personnalité du patient, il est plus facile de trouver une solution pour que le soin puisse être prodigué et que l’enfant ait un autre moyen d’exprimer son besoin de s’opposer ou de contrôler.

Parmi les méthodes pouvant aider, la distraction semble offrir de bons résultats. « Mais il ne s’agit pas de prendre l’enfant par surprise », avertit Sébastien Rouget. « La distraction consiste à attraper l’attention de l’enfant pour l’amener à se focaliser sur autre chose que le soin, mais avec son accord », renchérit Bénédicte Lombart. Les jeux, dont les applications sur tablette, la musique au casque, voire avec un musicien intervenant, sont des outils courants. De même, les méthodes psychocorporelles sont des pistes intéressantes : hypnose, relaxation ou encore sophrologie peuvent être adaptées aux enfants et adolescents.

QUAND LA CONTRAINTE EST INÉVITABLE…

Mais parfois, alors que le soin est nécessaire et que les différentes alternatives ont échoué, il n’y a pas d’autre solution que de faire appel à une forme de contention. Cela peut commencer par des contraintes légères qui s’appuient sur des jeux, sur les parents, voire sur le fait de tenir l’enfant, mais sans exercer de force. « Il arrive que le recours à la force soit légitime, il ne faut pas culpabiliser à chaque fois, rassure Bénédicte Lombart. Quand on a recours à la contrainte, il faut s’interroger sur l’intention, sur le pourquoi. » Plus que la contention, c’est l’attitude des professionnels qui fera basculer la situation dans la violence. « Il est plus délétère de faire du chantage à un enfant, en lui disant par exemple : “Si tu ne te tiens pas calme, je fais sortir ta mère de la pièce”, que de le maintenir en lui expliquant pourquoi », insiste la chercheuse. Après un soin contraint, il est essentiel de revenir sur ce qui s’est passé avec le patient et sa famille.

Laisser l’enfant dire qu’il a mal vécu le soin et compatir à sa souffrance, dire qu’on est désolée de ne pas avoir trouvé d’autre solution : là aussi, c’est grâce à l’échange que la confiance sera maintenue. « Si l’on considère l’enfant dans sa douleur, dans sa déception, on peut éviter de le traumatiser », insiste la psychologue Azucena Chavez.

Mais certaines situations requièrent encore plus de précautions que les autres, plus précisément les soins sur les parties intimes. « Faire un sondage vésical ou un lavement sous la contrainte, c’est problématique, met en garde Bénédicte Lombart. Si les méthodes psychocorporelles et la distraction ne sont pas suffisantes, il faut alors envisager une forme de sédation. » De même, l’administration de traitements médicamenteux par voie rectale est à éviter au maximum. En tout état de cause, la présence et l’accompagnement des parents sont encore plus importants lorsque les soins touchent la région anogénitale.

Enfin, il y a des situations où l’on peut être témoin de gestes brusques, voire brutaux. « Avec des enfants, c’est comme en famille, il peut y avoir une escalade… Proposer une pause ou une autre méthode met un terme à cet affrontement qui s’installe. Mais cela implique d’être suffisamment à l’aise avec ses collègues », reconnaît Bénédicte Lombart. Si ce n’est pas possible, on peut alors proposer un moment d’échange avec l’enfant après le soin, et éventuellement avec l’équipe. « Quand le comportement d’une personne est récurrent, on peut se poser la question de la maltraitance. Mais cela reste relativement rare, heureusement », conclut-elle.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Lombart B., Les soins en pédiatrie, faire face au refus de l’enfant, éditions Seli Arslan, 2016

2. Rouget S., « “C’est pour ton bien”. Face au refus de soin de l’enfant », Enfances & Psy, janvier 2017, n° 73, pp. 146-154

Autres sources utiles

• La Fédération hospitalière de France (FHF) a publié, en 2019, des propositions pour l’accueil des enfants à l’hôpital public. L’information des enfants, quel que soit leur âge, le recueil du consentement au soin et la formation professionnelle font partie des axes envisagés. Brochure disponible en ligne sur : bit.ly/31izubk

• L’association Sparadrap propose des formations aux méthodes psychocorporelles destinées aux professionnels de santé

• La Haute Autorité de santé a consacré un dossier aux conduites à tenir en cas de suspicion ou de connaissance de violences exercées à l’encontre des enfants. Disponible en ligne sur : bit.ly/3cUNf5t

Repérer et signaler les violences

Protéger les enfants de la violence ne se limite pas à être attentif aux pratiques de soins. Tous les professionnels de santé ont un rôle à jouer dans la détection des violences commises dans le cercle familial. « Il ne s’agit pas d’une affaire intime dont on n’a pas à se mêler. En France, la maltraitance est punie par la loi », souligne la psychologue Azucena Chavez, du CPIV. En dehors des marques apparentes de coups, d’autres signes doivent alerter. Ainsi, si un nourrisson est hypotonique ou, à l’inverse, très tendu, s’il dort très peu ou de façon excessive, s’il pleure sans que l’on trouve d’explication, des examens complémentaires s’imposent. « S’il n’y a pas de troubles digestifs, neurologiques ou du développement identifiables, l’hypothèse de la maltraitance se pose avec force », précise Azucena Chavez. Pour des enfants plus grands, des absences répétées à l’école, des troubles de la sociabilisation, un IMC faible ou élevé, ou un refus violent des contacts physiques sont autant d’appels à la vigilance. « En cas de soupçons, mieux vaut ne pas rester seul face à la situation et s’entourer de collègues pour pouvoir répondre au mieux », conseille le pédiatre Sébastien Rouget. La réaction doit être proportionnelle à l’urgence. Si l’on pense que l’enfant est en danger immédiat, on peut l’hospitaliser avant de faire un signalement au procureur. S’il y a une incertitude, après discussion en équipe, c’est la Cellule de recueil d’informations préoccupantes (Crip) qu’il faut saisir. « Dans ce cas, il est important de ne pas laisser tomber l’enfant et de le revoir régulièrement », conclut la psychologue.

Info +

UNE ÉCHELLE POUR MESURER LA CONTRAINTE EXERCÉE

En 2019, une équipe de chercheurs, menée par Bénédicte Lombart, a fait valider une échelle de mesure pour objectiver l’usage de la contention pendant les soins en pédiatrie. L’échelle Pric (Procedural Restraint Intensity in Children) détaille quatre niveaux de contention :

Niveau 0 : pas de contention.

Niveau 1 : contention douce, une partie du corps de l’enfant est maintenue, sans que l’enfant résiste.

Niveau 2 : contention moyenne, une ou plusieurs parties du corps sont maintenues par une personne ; l’enfant a une réaction de retrait.

Niveau 3 : contention forte, le maintien est ferme, par plusieurs personnes ; l’enfant proteste, crie, pleure.

Niveau 4 : contention très forte, le maintien est exercé par plusieurs personnes ; l’enfant a une réaction de retrait, est fortement agité et se débat malgré la contention.

Cette échelle a été imaginée pour mettre en évidence la réalité de la contention pendant les soins et adapter les pratiques, en réduisant, voire en supprimant, la contrainte exercée. Lors d’une étude prospective menée en 2009 à l’hôpital Trousseau (AP-HP), avec la même échelle de mesure, 28 % des soins ont nécessité une contention de niveau 2 à 4.

Source : Lombart B., Annequin D., Cimerman P. et al., « Un outil simple et validé pour mesurer la contention », Pédiatol. En ligne sur : bit.ly/3lCVU06