Les événements indésirables liés aux médicaments représentent la troisième cause d’événements graves liés aux soins. Des stratégies existent pour les éviter mais aussi pour les déclarer lorsqu’une erreur survient.
D’après le troisième rapport annuel d’activité sur les événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) publié par la Haute Autorité de santé (HAS) en janvier dernier(1), les erreurs médicamenteuses ou événements indésirables liés aux médicaments (EIM) représentent le troisième risque identifié sur l’ensemble des 2 007 EIGS déclarés en 2019, soit une part de 12 % des cas déclarés. Des résultats qui confirment l’enquête ENEIS 2 qui plaçait également le risque lié aux médicaments sur la troisième marche du podium des événements indésirables graves, avec une part estimée entre 60 et 130 000 par an.
Pour aller plus loin dans cette analyse qui repose sur l’ensemble des cas déclarés, la HAS a également publié un rapport portant spécifiquement sur les erreurs associées aux produits de santé, qu’il s’agisse de médicaments, de dispositifs médicaux ou de produits sanguins labiles(2). Il en ressort qu’en grande majorité (94 %), ces erreurs sont soit directement liées aux médicaments eux-mêmes (69 %) soit à une mauvaise utilisation des dispositifs médicaux (25 %).
Ces erreurs médicamenteuses représentent un impact non négligeable sur l’économie de la santé puisque l’enquête ENEIS 2 estimait qu’un EIM survenait toutes les 2 000 journées d’hospitalisation. Au niveau mondial, leur impact est encore plus important : l’Organisation mondiale de la santé estime en effet à 42 milliards de dollars le coût annuel des erreurs médicamenteuses, soit 1 % des dépenses de santé mondiales.
Un événement indésirable grave lié aux soins (EIGS) est, selon la définition de la HAS, « un événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent, y compris une anomalie ou une malformation congénitale ».
Lorsque l’on parle d’événement indésirable lié à un médicament (EIM), on fait référence, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à « l’omission ou la réalisation non intentionnelle d’un acte relatif à un médicament, qui peut être à l’origine d’un risque ou d’un événement indésirable pour le patient ». Par définition, l’EIM est évitable car il manifeste ce qui aurait dû être fait et ce qui ne l’a pas été au cours de la prise en charge thérapeutique médicamenteuse d’un patient ; il peut concerner une ou plusieurs étapes du circuit du médicament.
D’après l’analyse de 256 EIM identifiés et consignés dans le rapport de la HAS, trois types d’erreur prédominent :
→ erreur de dosage (41 %) : le plus souvent un surdosage lié à des erreurs de calcul ou de mesure ;
→ erreur portant sur le médicament lui-même (31 %) : non prise en compte des caractéristiques du produit et de ses interactions, confusion entre deux produits, redondance de prescription, erreur de saisie ou de rangement du produit ;
→ erreur liée à l’adressage du patient (14 %) : problème d’identitovigilance.
Les événements remontés sont en grande partie survenus dans les établissements de santé, les services les plus concernés étant, par ordre décroissant, la médecine, la chirurgie, les soins de suite et les urgences. Ceci s’explique notamment par le fait que le secteur hospitalier a une habitude plus ancienne que le médico-social ou la ville de la détection, l’analyse et la déclaration des EIGS, notamment grâce à la certification qui a conduit à un niveau élevé de la culture sécurité.
65 % des erreurs concernent l’administration du médicament, 28 % la prescription et 7 % la dispensation. Selon le système de classification anatomique, thérapeutique, chimique (ATC), les classes médicamenteuses les plus concernées sont celles du système nerveux (32 % des erreurs), relatives au sang et aux organes hématopoïétiques (20 %), celles concernant les voies digestives et métaboliques (7 %) et celles du système cardiovasculaire (8 %). Enfin, 75 % des erreurs portent sur des médicaments considérés comme à risque, c’est-à-dire représentant un risque accru de préjudices pour le patient lorsqu’ils sont utilisés par erreur. Parmi eux, on compte les analgésiques opioïdes, les anxiolytiques et hypnotiques dérivés de benzodiazépines, les neuroleptiques, les anesthésiants et myorelaxants (curare), les antithrombotiques, les arythmiques et bêtabloquants, les insulines et les antinéoplasiques. Les conséquences de ces erreurs peuvent être catastrophiques : prolongation d’hospitalisation, incapacité permanente, engagement du pronostic vital, voire décès.
Outre les outils mis à disposition par la HAS tels que les guides qui permettent d’améliorer la sécurité du circuit du médicament(3) et les recommandations existantes sur les bonnes pratiques, les professionnels de santé doivent s’approprier la « culture de l’erreur », laquelle doit être pédagogique, non pénalisante et favoriser la déclaration. L’analyse et le partage des cas auprès des équipes de soins conduisent à une meilleure perception du risque et contribuent à cette acculturation. Selon la gravité et le type d’EIM, différents outils et méthodes pourront être utilisés, comme les enquêtes menées au sein de Comités de retour d’expérience (Crex), des Revues de mortalité/ morbidité (RMM) ou encore des Revue des erreurs liées aux médicaments et dispositifs médicaux (Remed). Une analyse systémique permettra d’identifier différents types de cause (liée aux individus, au contexte de soins, etc.) et définir des axes d’amélioration. Il s’agit d’une démarche collective qui fait appel à tous les professionnels impliqués dans la chaîne du médicament.
À noter que les erreurs médicamenteuses doivent être déclarées même si elles ont été évitées à temps ou sont sans conséquence pour les patients. « Plus le nombre d’incidents est élevé, plus la probabilité d’avoir un accident est élevée. »
Autre levier : accentuer la formation individuelle aux bonnes pratiques concernant la préparation (calcul, dilution, préparation) mais aussi le matériel, et surtout les nouveaux dispositifs médicaux.
Enfin, la conciliation des traitements médicamenteux, qui prend en compte tous les médicaments pris et à prendre par le patient, doit être mise en œuvre. C’est elle qui prévient ou corrige les erreurs en favorisant les transmissions complètes et exactes sur les médicaments du patient entre les différents professionnels de santé lors de son admission, son parcours, ses transferts et sa sortie. Comme le rappelle la Haute Autorité de santé, « parce que les multiples points de transition majorent le risque médicamenteux, elle repose sur la transmission et le partage des informations complètes et exactes des traitements du patient entre les professionnels de santé et le patient, tout au long de son parcours ». En février 2018, la Haute Autorité de santé a édité un guide(4) qui consigne la démarche pour aider au déploiement de la conciliation, avec une déclinaison spécifique pour les médicaments de cancérologie.
Tout professionnel de santé, quel que soit son lieu d’exercice (établissement de santé, médico-social ou ville), doit déclarer tout événement indésirable grave, selon le décret du 25 novembre 2016 qui précise les modalités du dispositif de déclaration.
Dans l’immédiat, il faut sécuriser l’événement en prenant des mesures auprès du patient afin de le mettre en sécurité. Ensuite, il faut mettre en place un dispositif visant à protéger d’autres patients, en procédant par exemple à une éviction du matériel si le risque de reproduction de l’événement indésirable est élevé. Puis, on informe le patient et son entourage, en toute transparence, de la survenue de l’événement.
Toute pièce justificative doit être conservée : isolement des dispositifs médicaux, des contenants du médicament (poche, ampoule, flacon) ainsi que tout document et dossier concernant le patient.
Dans un second temps, l’Agence régionale de santé doit être informée de la survenue de l’événement indésirable lié au médicament. Tous les établissements de soins ont un protocole bien établi pour mener à bien la déclaration, qui peut passer par les responsables légaux de la structure. Les responsables de la gestion des risques peuvent présenter un appui au déclarant, mais il est important que le ou les professionnels impliqués dans l’EIM participent à la déclaration.
La déclaration passe par le portail de signalement (https://signalement.social-sante.gouv.fr/) et se déroule en deux étapes : la première, qui se fait sans délai, porte directement sur la nature des faits qui doivent être portés à la connaissance de l’ARS ; la seconde doit être menée dans les trois mois qui suivent l’événement et s’intéresse à l’analyse approfondie de celui-ci, aux éléments de retour d’expérience et aux mesures correctives. Cette seconde étape est sans doute la plus importante du dispositif de signalement car elle repose sur une démarche collective d’analyse de l’EIM et mène à la recherche de solutions. Elle vise notamment à montrer la capacité du professionnel de santé et de l’établissement à s’auto-évaluer et à maîtriser à l’avenir le risque. Lorsque l’Agence régionale de santé réceptionne ce second volet, elle en apprécie la profondeur de l’analyse et de la gestion de l’événement par le déclarant, ce qui va conditionner la suite : demande d’informations complémentaires ou clôture du dossier.
Cette démarche permet d’inscrire l’erreur dans une démarche d’amélioration constante de la qualité et la sécurité des patients.
1. Haute Autorité de santé (HAS), « Retour d’expériences sur les événements indésirables graves associés aux soins », rapport annuel 2019, validé le 10 décembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3cD1tsD
2. Haute Autorité de santé, « Erreurs associées aux produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, produits sanguins labiles) déclarées dans la base de retour d’expérience nationale des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) », rapport annuel validé le 19 novembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3wnWsfB
3. Haute Autorité de santé, « Outils de sécurisation et d’autoévaluation de l’administration des médicaments », mai 2013. En ligne sur : bit.ly/3wePKbw
4. HAS, « Mettre en œuvre la conciliation des traitements médicamenteux en établissement de santé – Sécuriser la prise en charge médicamenteuse du patient lors de son parcours de soins », février 2018. En ligne sur : bit.ly/3dpy30f
La HAS devrait mettre en ligne, courant 2021, une nouvelle série de documents, les « Flash Sécurité Patient »(1), pour les professionnels de santé exerçant en ville comme en établissement des secteurs sanitaires et médicosociaux. Reposant sur l’analyse de la base de retour d’expérience (Rex) du dispositif EIGS, chaque flash détaillera plusieurs situations sélectionnées dans Rex avec un descriptif de situation avertissant « ça peut aussi vous arriver ». Il présentera la synthèse des bonnes pratiques à retenir pour éviter que ces erreurs ne se reproduisent. Trois productions sur les produits de santé sont déjà programmées : « Qui dit potassium, dit vigilance maximale », « Calcul de doses : 2 + 2 ne font pas 4 » et « Dispositifs médicaux : quand la machine trompe l’homme ». D’autres productions sur des EIGS au bloc, au Samu ou relatifs au suicide de patients sont également prévues.
1. La note de cadrage est disponible en ligne sur : bit.ly/3wfCfs5
Albumine, immunoglobulines ou encore certains facteurs de coagulation sont des médicaments dérivés du sang. Ils sont soumis aux mêmes règles de pharmacovigilance que les autres médicaments auxquelles s’ajoutent des règles spécifiques, notamment en termes de déclaration : celle-ci doit être immédiate et réalisée par toute personne habilitée à prescrire, dispenser ou administrer le médicament. Tous les effets indésirables doivent être déclarés, et pas seulement ceux qui sont graves : les numéros de lot doivent ainsi être transmis pour une question de traçabilité. Ces données sont adressées au centre régional de pharmacovigilance, via le correspondant local.
Si l’on parle d’erreurs médicamenteuses dues à l’organisation de la prise en charge du médicament, on ne peut pas omettre de parler de iatrogénie et de pharmacovigilance. Les médicaments étant des substances actives, ils peuvent être à l’origine d’effets indésirables, qu’ils soient utilisés seuls ou en association avec d’autres. L’étude « Effets indésirables des médicaments : incidence et risque » (Emir), publiée en 2007, a estimé à 3,6 % la proportion d’hospitalisations dues aux effets iatrogènes. Cette pharmacovigilance est assurée par l’ANSM, l’autorité compétente qui veille à la fois sur le bon usage des médicaments et sur le recueil, l’exploitation et l’évaluation de toute information concernant le risque potentiel d’effets indésirables. Elle s’appuie sur un réseau de centres régionaux à la disposition des professionnels de santé pour faire remonter tout problème iatrogénique.