L'infirmière n° 008 du 01/05/2021

 

JE ME FORME

JURIDIQUE

Laure Martin  

Loin d’égaler les pays anglo-saxons en la matière, les soignants français sont néanmoins de plus en plus confrontés à des plaintes de patients. Dans quel cadre peuvent-ils être impliqués ? Quelles incidences sur leur pratique ?

Ce qui fonde ou justifie une action judiciaire de la part d’un patient à l’encontre d’un soignant est un acte qui va être qualifié de violence portant sur les intérêts fondamentaux du patient. Ces droits fondamentaux sont rattachés à l’intégrité du corps humain, à la personnalité ou à l’intérêt matériel de la personne. « L’activité soignante, peut, de par sa nature, les menacer voire y porter atteinte puisqu’ils englobent les droits de la personnalité avec le respect de la dignité, le droit à l’intimité, le droit d’aller et de venir, explique Me Jean-Charles Scotti, avocat au barreau de Marseille. En psychiatrie ou lors de longues hospitalisations, le respect de ces droits est souvent remis en cause par les patients. »

Lorsqu’un malade estime avoir été victime d’une violence de la part d’un soignant, il peut, tout comme sa famille, saisir l’autorité judiciaire. En revanche, la plainte, qui n’est que pénale, ne peut être déposée que par la victime. De plus, cette démarche n’étant pas conditionnée par un examen psychique, toute personne peut saisir le juge sur des faits réels ou imaginaires.

Lorsque la violence du soignant envers le patient est considérée comme volontaire, les faits de maltraitance sont généralement retenus. « Dans 90 % des cas, le contentieux repose sur des violences non intentionnelles », rapporte Me Scotti, car il s’agit de soins mal réalisés ou effectués en présence d’un tiers. « On va alors s’accorder sur le fait que la faute n’est pas intentionnelle, mais que le soignant a commis une erreur, complète-t-il. La frontière entre la négligence et la faute non intentionnelle est très fine. »

LES RECOURS DU PATIENT

En règle générale, le patient ne retient que le dommage et ne cherche pas à savoir si la violence a été volontaire ou non. « Ce qu’il souhaite avant tout, c’est que justice lui soit rendue », informe l’avocat. Mais pour cela, il doit être en capacité de caractériser les éléments. « Les avocats servent de filtre vis-à-vis des plaintes des patients. Sur trente dossiers traités par an, je suis en réalité sollicité plus d’une centaine de fois. Dans la majorité des cas, je conseille de ne pas déposer plainte car la violence ne peut pas être caractérisée. » Mais lorsque la violence est caractérisée, trois recours s’offrent au patient.

La démarche indemnitaire. L’objectif est d’obtenir une réparation financière. Si le dommage est causé lors d’un soin hospitalier, la juridiction administrative va être saisie. S’il a été commis dans un établissement privé ou par un soignant libéral, la compétence relève de la juridiction judiciaire.

La démarche répressive. Le patient recherche la sanction pénale avec une peine d’emprisonnement ou une amende. L’activité soignante, quel que soit le dommage, peut caractériser une infraction pénale. Dans ce cas, c’est le tribunal pénal qui est compétent en la matière. Le juge va devoir statuer sur la peine pénale mais également sur les indemnités éventuelles.

Le recours disciplinaire devant l’Ordre national des infirmiers (lire l’article « Chambre disciplinaire nationale : les rouages d’une justice “professionnelle” », paru dans L’Infirmièr.e n° 6, mars 2021). Dans ce type de recours, le plaignant souhaite une sanction déontologique et professionnelle du soignant.

CULPABILITÉ VERSUS RESPONSABILITÉ

Lors de poursuites au civil, lorsqu’un dommage est constaté, revendiqué et porté par un patient, la justice va considérer qu’il s’agit d’une erreur fautive si l’expert conclut qu’un soignant, à compétences égales et dans la même situation, aurait mieux agi. Mais quid de la démarche réparatrice ? Concernant l’infirmier salarié ou fonctionnaire, quand le dommage a été prouvé et que le soignant est considéré comme coupable, c’est en fait la responsabilité de l’employeur qui est engagée. En effet, pour un soignant qui travaille dans une institution au sein de laquelle il a une relation subordonnée, c’est la responsabilité du fait d’autrui qui s’applique. Le responsable n’est donc pas le coupable, et le soignant ne sera sollicité par l’autorité judiciaire qu’au niveau de l’expertise pour s’expliquer. Si l’expert retient la culpabilité, l’avocat du patient engage alors des poursuites contre l’employeur. La culpabilité de celui qui emploie le soignant est recherchée et retenue. « Cela représente 90 % du contentieux », indique Me Scotti. Néanmoins, il existe deux dérogations à cela :

→ sur le terrain indemnitaire (civil ou administratif), la responsabilité retenue sera celle du salarié ou du fonctionnaire lorsqu’il est prouvé que la faute est personnelle : quand le soignant a occasionné un dommage sans rapport avec sa fonction (vol d’un bien du patient) ou quand la faute est dite intentionnelle (non-respect volontaire de l’intimité du patient, utilisation de sa fonction pour commettre l’erreur). Ayant enfreint la loi pour nuire au patient, il est considéré comme malveillant, et l’institution peut invoquer la faute personnelle et se désengager ;

→ la procédure pénale, dans laquelle l’action ne peut être engagée que contre l’auteur de l’infraction, dans la mesure où la responsabilité du fait d’autrui n’existe pas.

Toutefois, « que ce soit au civil ou au pénal, si l’employeur est celui qui paie pour la faute de son employé, il peut toujours engager contre ce dernier une procédure disciplinaire interne à l’établissement », fait savoir Jean-Charles Scotti.

À noter que, contrairement aux personnels fonctionnaires et salariés, le professionnel de santé libéral coupable est responsable car il n’y a pas de règle de transfert de responsabilité.

RESPONSABILITÉ MINIMISÉE

Afin de minimiser leur responsabilité, les professionnels de santé disposent de trois arguments.

L’excuse budgétaire. Le soignant peut avancer qu’il n’a pu faire son travail correctement en raison d’un manque budgétaire de l’établissement. « Le dommage va être réparé vis-à-vis du patient, prévient Me Scotti. Mais le magistrat va retenir le dysfonctionnement hospitalier, ce qui soulage le soignant d’une action disciplinaire de l’institution. »

La légitime défense. « Toute personne a le droit d’occasionner une violence si elle a pour finalité de faire échouer une violence dont elle serait victime elle-même, explique Me Scotti. Elle ne pourra donc pas lui être reprochée sur le plan pénal. » C’est le cas, notamment, si le soignant intervient pour neutraliser un patient qui agresse un collègue.

L’état de nécessité. Il s’agit du droit de commettre une infraction pour éviter un dommage plus grand qui serait occasionné par une autre personne. Si un soignant assomme un patient qui veut sauter par la fenêtre, il ne sera pas poursuivi au pénal. Mais il peut y avoir une action au civil avec une appréciation du juge dans la réparation.

Info +

ASSISTANCE ET ASSURANCE JURIDIQUE

→ Le professionnel libéral doit avoir une assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP), laquelle lui procure les services juridiques dont il a besoin pour sa défense.

→ En institution, le soignant subordonné est coupable mais pas responsable. C’est donc l’établissement qui dirige le procès. L’avocat n’accompagnera alors le soignant que lors de l’expertise. «  Si l’avocat estime que la faute personnelle du soignant doit être retenue, ce dernier doit demander à bénéficier de son propre avocat », conseille Me Scotti, précisant n’avoir jamais assisté à un tel cas de figure en vingt ans de carrière. Les frais de justice pèseront sur les deniers du soignant non assuré, sauf si ce dernier dispose d’une protection juridique dont le dessein n’est pas de garantir les conséquences d’une faute mais de financer les frais afférents au procès.

→ En cas de procédure pénale, le soignant, qu’il soit salarié ou libéral, doit choisir son propre avocat dans la mesure où c’est lui qui est mis en cause.

Comment se préparer à la garde à vue ?

Un soignant peut être placé en garde à vue en cas de décès violent et suspect d’un patient mais également dans le cadre de violences ou de menaces, l’objectif étant de s’assurer que le mis en cause ne pourra pas s’enfuir. Il relève de l’officier de police judiciaire (OPJ) de décider, de concert avec le procureur, l’examen de la gravité des faits supposés, de mettre la personne en garde à vue ou de la prolonger. Celle-ci est en général de 24 heures, reconductible pour 72 heures maximum. Romain Morell, formateur chez Formassad, encourage la formation des soignants au déroulement d’une garde à vue. Car ceux qui n’y sont pas préparés « peuvent la vivre comme une sanction alors qu’il s’agit du moment où ils peuvent s’exprimer et justifier des mesures défensives prises à l’encontre d’un patient », rapporte-t-il. Dans le cadre de ses formations, il explique les modalités matérielles de la garde à vue afin que les soignants y soient préparés. « Par exemple, pour éviter les tentatives de suicide ou les blessures en cellule d’attente avant l’audition par l’OPJ, le gardé à vue se voit retirer toutes ses affaires potentiellement dangereuses pour lui-même ou autrui, dont ses lacets de chaussures, raconte Romain Morell. D’où l’intérêt de se présenter avec des chaussures sans lacets. Il faut également avoir de l’argent en poche, au minimum 20 euros, pour se payer les repas. » Enfin, il rappelle de toujours penser à signer le registre des affaires. « Dès la première heure de garde à vue, il est possible de faire appel à un avocat, ajoute-t-il. C’est un droit fondamental de la révision des procédures de garde à vue qui date d’il y a quinze ans. » « De même que la personne en garde à vue a droit au silence », complète Me Scotti.