Après avoir raccroché sa blouse d’infirmière pour endosser la cotte rose de l’agricultrice, Flavie Melendez-Rigole, 35 ans, est rattrapée par son premier métier passion fin 2019. Depuis, elle passe l’hiver aux urgences du CHI du Mont-Blanc et l’été en montagne avec ses animaux. Une hauteur nécessaire pour retrouver chaque année l’envie de prendre soin des autres.
Flavie Melendez-Rigole : Depuis mon plus jeune âge, j’ai deux rêves : être infirmière urgentiste et cheffe d’exploitation d’une ferme. À part le fait de vivre dans un village plutôt rural, je ne m’explique pas d’où viennent ces deux passions ; ma mère étant institutrice et mon père, plombier. Comme il fallait bien choisir, j’ai d’abord privilégié une formation d’infirmière, mais j’aurais tout aussi bien pu m’orienter vers des études d’ingénieur agricole. Environ deux ans après avoir intégré le service des urgences, soit cinq ans après l’obtention de mon diplôme d’État, j’ai commencé à donner quelques coups de main dans la petite ferme que tenait à l’époque le père de ma fille. Cela m’a confortée dans l’idée que ce métier me plaisait et qu’il était temps de franchir le pas ; ce que j’ai fait fin 2016 en quittant mon poste aux urgences pour passer un brevet professionnel responsable d’exploitation agricole en productions animales ou horticoles (BPREA). Entretemps, mon mari et moi nous sommes séparés, et avec l’échec de notre couple, le projet de reprise de la ferme ensemble s’est envolé. Il a donc fallu que je trouve une autre exploitation pour m’associer. Ça a été difficile, mais je me suis accrochée. Aujourd’hui, mes efforts ont payé puisque je suis à la tête de la Ferme des Roches Fleuries avec Pierre et Jean-Pierre Amafroi-Broisat, un père et son fils, et nous élevons des vaches et des chèvres pour confectionner des produits laitiers.
F. M.-R. : Au détour d’une livraison de fromages de ma production aux urgences, le cadre infirmier me propose de reprendre du service pendant les mois d’hiver. À la ferme, mes associés étaient d’accord pour que je ne sois pas d’astreinte de traite pendant ce temps-là si je continuais de m’occuper de la partie administration, comptabilité et gestion des stocks. Cela me va, j’accepte. Bien qu’appréhendant un peu ce retour, tout s’est bien passé. Par mes collègues qui venaient régulièrement m’aider à la ferme, j’étais au courant des évolutions du service et des protocoles. Si bien que j’ai récupéré très vite mes automatismes. Par contre, j’ai été frappé par le déclin de l’hôpital en aussi peu de temps. J’ai retrouvé des soignants épuisés physiquement et moralement qui, faute de temps, n’arrivent pas à se remettre de ce qu’ils vivent à l’hôpital. Pas étonnant qu’ils soient si nombreux à vouloir se reconvertir ! Je pense d’ailleurs qu’il faut les accompagner si c’est ce qu’ils souhaitent. De mon côté, cette pause loin de l’hôpital a libéré ma parole. J’éprouve moins de retenue à défendre ma profession. Dernièrement, j’ai fait partie de ceux qui sont montés au créneau pour demander le recrutement d’un autre infirmier aux urgences.
F. M.-R. : Aux urgences, on a l’habitude de travailler en binôme avec un médecin. Une démarche qui est aussi très courante à la ferme. Le rythme non plus n’y est pas si différent : qu’on enchaîne douze heures de garde ou seize heures en période de foins, il faut la même endurance. Dans ma besace de soignante, j’ai aussi rapporté un peu de bonnes pratiques inspirées de l’hôpital. À commencer par celle de communiquer et d’être à l’écoute les uns des autres. Il fallait bien ça pour m’intégrer au duo père/fils que je rejoignais ! Pour ce faire, je me suis inspirée des transmissions et des réunions d’équipe qu’on fait à l’hôpital pour les transposer à la ferme en organisant des réunions le mercredi matin. Pas une semaine ne se passe sans qu’on échange, même pour des broutilles. Mais surtout, mon expérience en soins infirmiers m’a permis de mener un projet qui me tenait particulièrement à cœur : organiser des activités de médiation animale pour des enfants en situation de handicap (écoles, crèches, instituts médico-éducatifs). Avec la Covid et le manque de salariés, j’ai eu du mal à le mettre en place, mais j’y travaille ! Le but, c’est de faire de la rééducation en confiant de menues missions aux enfants comme caresser des chiens, balayer le couloir des chèvres…
F. M.-R. : Je ne sais pas si je serais capable de choisir. J’ai beau avoir eu plusieurs fois envie de décrocher, j’ai ces deux métiers dans la peau. D’autant que si je devais en privilégier un, cela impliquerait que je m’y consacre à plein temps. Or, pour l’un comme pour l’autre, je ne suis pas sûre que je pourrais. Quatre mois aux urgences, c’est suffisant. Si je suis toujours triste de quitter mon équipe, il me faut au moins l’été avec mes chèvres pour faire retomber la pression. Cette année particulièrement : quand les portes de l’ascenseur se sont refermées à la fin de la saison, j’ai pleuré comme une Madeleine. Sans se retrouver dans la panade comme dans d’autres régions, nous avons vécu des situations difficiles. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas soumise au stress quand j’endosse ma casquette de cheffe d’exploitation. Loin s’en faut ! On n’en parle pas mais le stress post-traumatique face à la prédation du loup en montagne est parfois tel que je ne dors plus la nuit. Il m’arrive d’être plus stressée à la ferme qu’aux urgences. Et, contrairement à l’hôpital où il est possible de couper en rentrant chez soi, quand j’ai un souci dans mon exploitation, il ne s’arrête pas et je dois apprendre à vivre avec tout le temps. C’est pour cela que j’apprécie autant l’équilibre que j’ai trouvé aujourd’hui. Je sais que c’est la condition pour arriver à prendre du recul.
F. M.-R. : Ce ne sont pas des métiers si différents. Si demain les agriculteurs et les IDE faisaient grève ensemble, le pays serait littéralement bloqué. Tous deux sont indispensables à la vie des Français, l’un dans sa fonction première nourricière, l’autre pour soigner ou sauver des vies. Tous deux subissent également de fortes pressions de la part du gouvernement qui impose sans cesse des changements de protocole très lourds à porter. Pour ma part, à travers cette double casquette, j’ai à cœur de faire quelque chose pour les autres. L’idée de proposer des produits du terroir de qualité aux consommateurs en reproduisant des gestes hérités des anciens, c’est pour moi une façon de respecter la valeur des gens. Tout comme je les respecte en leur portant secours à l’hôpital. Ma fille pense que je suis une superhéroïne. Une chose est sûre : je donne aux gens des produits de qualité et je soigne les gens avec le sourire, et ce, même si on ne nous donne pas tous les outils pour le faire dans de bonnes conditions.
Du prix « Coup de cœur » qu’elle a reçu fin 2019 par l’association Génération Femmes d’Influence, Flavie Melendez-Rigole n’en tire de fierté que parce que c’est « l’occasion de mettre en valeur ces deux métiers passions : infirmière et agricultrice ». Pour L’Infirmièr.e, l’envie de raconter le parcours de cette trentenaire était double : comprendre les coulisses de cette (demi-) reconversion hors-du-commun, et, alors que la tendance est à la perte de sens au travail, mettre en avant la joie rafraîchissante avec laquelle la jeune femme a repris du service en tant qu’IDE qui a de quoi, il faut le souhaiter, raviver des vocations malmenées par une crise sanitaire qui s’éternise.
2007 Diplôme d’État à l’Institut de formation en soins infirmiers de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie).
2007-2010 Exerce en médecine de spécialité (diabétologie, néphrologie, gastrologie, gériatrie).
2010 Poste aux urgences au CHI du Mont-Blanc, à Sallanches (Haute-Savoie).
2018 Devient cheffe d’exploitation à La Ferme des Roches Fleuries, à Saint-Gervais-les-Bains.
Depuis 2019 Alterne trois-quatre mois à l’hôpital et neuf mois à la ferme.