L'infirmière n° 008 du 01/05/2021

 

ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES

JE DÉCRYPTE

LE MOIS EN BREF

Adrien Renaud  

Les élections aux URPS, qui se sont tenues début avril, ont vu la FNI arriver en tête. Mais avec un taux de participation inférieur à 20 %, c’est l’abstention qui reste le fait majeur de ce scrutin.

Entre le 31 mars et le 7 avril, les infirmières libérales (Idels) ont pu élire leurs représentants aux Unions régionales des professionnels de santé (URPS). Des élections organisées en ligne qui enregistrent un taux de participation historiquement bas de 19,8 %. Et c’est bien l’abstention qui était au cœur des préoccupations au lendemain du scrutin, éclipsant les résultats eux-mêmes, qui ont vu une victoire de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), une forte progression de Convergence infirmière (CI), un effondrement du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et l’émergence d’Infin’Idels. « Ce genre de taux de participation est culturel dans notre profession. Cela fait maintenant trois scrutins que nous avons la cuillère de bois parmi toutes les professions de santé, soupire Daniel Guillerm, président de la FNI. C’est d’autant plus embêtant que nous sommes dans une période où le système entre dans une phase de grandes mutations. » Grandes mutations ou pas, il semble en tout cas que cette année, un pas a été franchi : alors qu’en 2010 le taux de participation aux élections professionnelles atteignait presque les 25 %, et qu’en 2016 il était encore supérieur à 23 %, les élus aux URPS n’ont été choisis en 2021 que par moins d’une infirmière libérale sur cinq.

L’ÉPUISEMENT, RESPONSABLE DE L’ABSTENTION ?

Quelles sont les raisons qui ont pu mener à un tel résultat ? « Les Idels sont extrêmement occupées par leurs tournées, les dépistages Covid, la vaccination… Elles sont à bout et les élections viennent s’ajouter au reste », tente d’expliquer Ghislaine Sicre, présidente de CI. Celle-ci pointe également des problèmes techniques liés au vote électronique, inauguré cette année, ainsi qu’à la tenue des listes électorales, « qui ne sont pas à jour ». Reste qu’au-delà des problèmes contingents, l’abstention conduit les représentants de la profession à une certaine remise en question.

« Ce taux est assez décevant, surtout pour une profession comme la nôtre, qui peut, par certains côtés, sembler très revendicative », commente ainsi Catherine Kirnidis, présidente du Sniil. « Il faut que l’on se pose des questions, qu’on se demande pourquoi les infirmières s’éloignent des élections et du syndicalisme », estime de son côté Laurent Kerfyser, responsable des relations presse chez Infin’Idels. C’est en effet une question existentielle que vont devoir désormais affronter les syndicats : quelle sera leur légitimité face à leurs interlocuteurs, à commencer par l’Assurance maladie, alors que chacun d’entre eux n’a recueilli qu’une fraction du cinquième des professionnelles qu’il est censé représenter ?

LE LÉGITIMISME EN POSITION DE FORCE

Question abyssale qui ne pourra trouver de réponse que sur le long terme. En attendant, on ne peut faire l’économie de l’analyse des résultats eux-mêmes : si ceux-ci peuvent paraître dérisoires au regard de la démobilisation dont a fait preuve le corps électoral, ils déterminent l’équilibre des forces en présence dans les différentes instances, à commencer par les négociations conventionnelles. Et de ce point de vue, le légitimisme semble en position de force : les syndicats signataires de l’avenant à la dernière convention, la FNI et le Sniil, totalisent plus des deux tiers des voix. Mais une analyse plus fine du résultat fait apparaître une réalité plus contrastée.

En effet, si les deux organisations restent, comme en 2016, respectivement la première et la deuxième force syndicale de la profession, leur destin est pour le moins divergent. D’un côté la FNI connaît une progression de 5 points, totalisant 42 % des suffrages contre 37 % en 2016, arrivant en tête dans dix régions sur dix-sept. De l’autre, le Sniil, lui, subit une grande déconvenue : il perd 10 points, passant de 35 % à 25 % des suffrages. Et s’il prend la tête dans cinq régions, il s’agit en majorité de territoires comptant en moyenne moins d’inscrits que les autres : Guyane, Martinique, océan Indien, Normandie et Pays-de-la-Loire.

JEAN-QUI-RIT ET JEAN-QUI-PLEURE

« Nos bons résultats nous semblent être l’aboutissement d’un travail collectif, de fond, mais aussi liés au fait que nous assumons complètement nos positions », estime Daniel Guillerm, qui veut voir dans la victoire de la FNI un signe de « l’échec du populisme ». « Quand on vient chez nous, on sait chez qui on vient, poursuit-il. Nous avons des convictions, mais nous restons force de proposition, nous ne nous contentons pas d’être dans l’incantatoire et contre tout. »

Du côté du Sniil, en dehors de la critique du « populisme » qui est la même, la tonalité est, forcément, très différente. « Nous n’avons pas voulu faire une campagne agressive, populiste, et nous n’avons sans doute pas réussi à avoir suffisamment de visibilité, analyse à chaud Catherine Kirnidis. Nous sommes un syndicat de terrain, et en cette période, il est difficile de tenir des réunions de proximité. Je suis forcément déçue par ces résultats largement en dessous de ceux obtenus aux élections précédentes. »

LES VOIX CRITIQUES CONFORTÉES

Et s’il est un syndicat qui, bien qu’ayant obtenu un score inférieur à celui du Sniil, n’affiche aucune déception, c’est bien CI. Cette dernière, qui est la seule des trois organisations jugées représentatives à ne pas avoir signé le dernier avenant à la convention entre les Idels et l’Assurance maladie, et qui a un discours très critique contre la politique menée par les autorités sanitaires ces dernières années, gagne 5 points, passant de 18 % à 23 % des voix. CI conserve son fief de Provence-Alpes-Côte d’Azur et ravit la Corse au Sniil. « Nous sommes satisfaits de nos scores, mais sans fanfaronner non plus, car avec 80 % d’abstention, il faut rester humble », déclare Ghislaine Sicre, sa présidente.

Autre fait notable : Infin’Idels, nouveau venu dans le jeu syndical et tenant lui aussi un discours particulièrement virulent contre les autorités, recueille 9 % des suffrages. « Malgré le taux d’abstention, nous sommes fiers d’avoir obtenu dix-sept sièges, déclare Laurent Kerfyser. Pour un syndicat qui a à peine cinq ans d’existence, ce n’est pas mal, et cela nous laisse beaucoup d’espoir. »

Reste à savoir, maintenant que les urnes ont (timidement) parlé, quelles sont les prochaines étapes. Les élections des bureaux des Unions régionales des professionnels de santé vont s’étaler jusqu’au 31 mai, et hormis dans les régions où l’un des syndicats remporte la majorité absolue des sièges, c’est le jeu des alliances qui déterminera les bureaux. « Pour nous, le choix le plus logique serait de créer des alliances avec le Sniil », avance Daniel Guillerm, qui indique avoir fait des propositions dans ce sens. Une nouvelle phase qui s’annonce…