L'infirmière n° 009 du 01/06/2021

 

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JURIDIQUE

Magali Clausener  

La Covid-19 peut être reconnue comme une maladie professionnelle pour les soignants. Mais les conditions sont très restrictives et les démarches complexes. À tel point que des syndicats demandent de légiférer pour assouplir les règles.

Le 23 mars 2020, au début du premier confinement, le ministre des Soli da rités et de la Santé Olivier Véran s’engage à ce que tous les personnels soignants atteints par le virus de la Covid-19 « dans sa forme sévère » voient leur maladie « systématiquement et automatiquement reconnue comme une maladie professionnelle ». Une annonce largement saluée par les professionnels de santé hospitaliers et libéraux. Mais il faut attendre le 15 septembre de la même année pour que le décret promis paraisse au Journal officiel.

OXYGÉNOTHÉRAPIE OU ASSISTANCE RESPIRATOIRE

Le texte limite d’emblée les situations dans lesquelles l’infection au SarsCoV2 peut être considérée comme une maladie professionnelle. Olivier Véran a évoqué une « forme grave » de la maladie, et c’est bien le cas.

Le décret crée deux nouveaux tableaux de maladies professionnelles, l’un pour les assurés du régime général (n° 100), l’autre pour ceux des régimes agricoles (n° 60). Ces tableaux précisent que les pathologies pouvant être reconnues comme professionnelles sont des affections respiratoires aiguës causées par une infection au SarsCoV2 ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance ventilatoire. L’infection par la Covid19 doit, en outre, « être confirmée par un examen biologique ou un scanner ou, à défaut, par une histoire clinique documentée (compte rendu d’hospitalisation, documents médicaux) ». De même, elle doit avoir été prise en charge médicalement dans un délai maximal de 14 jours à compter de la fin de l’exposition au risque. Quant à l’oxygénothérapie ou l’assistance ventilatoire, elle doit être attestée par des comptes rendus médicaux. Enfin, le professionnel de santé, qu’il soit hospitalier ou libéral, doit prouver que la contamination a eu lieu dans le cadre de son activité (voir les justificatifs ciaprès).

DES DÉMARCHES LONGUES

Le gouvernement a néanmoins souhaité faciliter les démarches des personnes concernées. Pour aller dans ce sens, l’Assurance maladie a créé le site Internet https://declaremaladiepro.ameli.fr/ pour effectuer la demande. Le dossier doit cependant comporter plusieurs pièces :

→ un certificat médical initial (CMI) établi par le médecin traitant, lequel atteste l’infection à la Covid19 et mentionne les éléments cliniques et/ou les examens ayant permis de poser le diagnostic ;

→ un compte rendu d’hospitalisation mentionnant le recours à l’oxygénothérapie ou à une assistance ventilatoire, et le diagnostic Covid-19 lorsque c’est le cas. « Si l’oxygénothérapie a été effectuée en dehors d’un cadre hospitalier (par exemple à domicile), le médecin traitant devra inclure cette information dans le CMI », précise l’Assurance maladie ;

→ pour les professionnels de santé et personnes salariées exerçant dans le secteur des soins, un justificatif d’activité professionnelle doit être fourni. Cette attestation établie par l’employeur doit mentionner le poste occupé et les périodes d’absence en 2020 ;

→ pour les professionnels de santé libéraux, il faudra joindre une attestation sur l’honneur mentionnant la réalisation d’actes de soins au cours des 15 jours précédant le diagnostic d’infection.

La demande est ensuite examinée par la caisse primaire d’Assurance maladie dont dépend le soignant. Au besoin, cette dernière peut contacter la personne pour compléter le dossier.

Pour les hospitaliers qui ont déposé un dossier après le 16 septembre 2020, l’instruction des demandes est identique à celle du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis). C’est donc le médecin du travail qui confirme ou non à l’établissement que la demande répond aux conditions de ce tableau n° 100 relatif à une infection au SarsCoV2. Si celleci est conforme, l’Autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) reconnaît alors la maladie professionnelle.

AUTRES PATHOLOGIES LIÉES À LA COVID

Mais il se peut que les conditions ne soient pas réunies pour une reconnaissance comme maladie professionnelle. Pour les salariés du privé, le décret prévoit que, pour les affections non désignées dans les tableaux et non contractées dans les conditions de ces tableaux, l’instruction des demandes soit confiée à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) unique. La composition de ce comité est « allégée pour permettre une instruction plus rapide des dossiers, tout en maintenant les garanties d’impartialité », souligne le texte. Il est constitué d’un médecin-conseil et d’un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier qualifié en matière de pathologies professionnelles, réanimation ou infectiologie, en activité ou retraité, ou encore un médecin du travail en activité ou retraité. Les salariés de la fonction publique hospitalière doivent, quant à eux, saisir la Commission de réforme.

Dans tous les cas, la doctrine appliquée doit être la même, quel que soit le statut professionnel de la personne infectée (fonctionnaire, salarié ou libéral). La Commission de réforme ou le CRRMP unique apprécie l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’affection constatée et le travail effectué par le professionnel en fonction des périodes (avant le 17 mars, du 17 mars au 11 mai – période de confinement –, après le 11 mai 2020) : taux d’incapacité permanente (IP) supérieur ou égal à 25 % (causé par des pathologies listées), suite à des activités réalisées en présentiel pendant la période de confinement, existence de comorbidités et/ou de facteurs de risque de vulnérabilité pour l’évaluation des séquelles, critère temporel, critère présentiel, probabilité du lien de causalité entre le SarsCoV2 et la pathologie non respiratoire observée.

UN RÉGIME AVANTAGEUX

La reconnaissance de la Covid en maladie professionnelle permet aux bénéficiaires d’avoir un remboursement des soins à 100 % sur la base du tarif de la Sécurité sociale. Ils peuvent également obtenir des indemnités journalières plus avantageuses que dans un arrêt maladie courant. En outre, en cas de séquelles occasionnant une incapacité permanente, le soignant peut se voir attribuer une rente viagère, calculée selon la gravité des séquelles et sur la base des revenus antérieurs à la contraction du virus. Enfin, si la personne est décédée, la reconnaissance de la Covid19 comme maladie professionnelle peut être demandée par les ayants droit (conjoints, enfants, ascendants) qui peuvent alors toucher une indemnisation sous forme de rente, dont le montant correspond à un pourcentage du salaire de la personne défunte, évalué selon différents critères.

RÉFÉRENCES

• Décret n° 20201131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SarsCoV2. Disponible en ligne sur : bit.ly/3elCVoQ

• Instruction DGOS/RH3/2021/5 du 6 janvier 2021 relative à la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SarsCoV2 dans la fonction publique hospitalière. En ligne sur : bit.ly/3vM9Icu

• Fédération hospitalière de France (FHF), « Covid19/ Instruction DGOS et note FHF concernant la reconnaissance du Covid19 en maladie professionnelle », 1er février 2021. Disponible en ligne sur : bit.ly/33gAduC

Info +

PLUS DE 3 000 INFIRMIÈRES DÉCÉDÉES DANS LE MONDE

Selon le Comité international des infirmières (CII), qui regroupe plus de 130 fédérations nationales dans le monde, on dénombrerait déjà 3 000 infirmières décédées des suites de la Covid-19. « Cependant, compte tenu du manque de données disponibles, le CII estime que ce chiffre est largement en deçà de la réalité », explique l’organisation dans un communiqué en date du 11 mars 2021.

Parcours du combattant et contentieux à venir

Les démarches peuvent vite ressembler à un parcours du combattant pour les professionnels de santé dont la maladie ne répond pas aux conditions de reconnaissance ou qui ont des séquelles dans le cadre d’un Covid long. Ainsi, dans un hôpital, sur 48 dossiers examinés par la Commission de réforme, seuls 4 ont été acceptés. Mais difficile d’avoir des statistiques sur le nombre de soignants concernés en raison du secret médical et des données non diffusées par les ARS et l’Assurance maladie. « Il faut savoir que, de façon générale, tout est fait pour dissuader les personnes de déposer une demande, remarque Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail et droit de la Sécurité sociale, à Montpellier. Les procédures sont très longues. Les professionnels de santé libéraux ont aussi des difficultés à prouver qu’ils ont contracté l’infection dans le cadre de leur travail. C’est plus complexe pour eux. » Compte tenu de ces difficultés, le syndicat Coordination nationale infirmière (CNI) souhaite une évolution de la législation : « Il faut que le gouvernement élargisse la liste des maladies et prenne en compte quatre grandes séquelles : la fatigue, les problèmes articulaires, cardiaques et neurologiques », explique sa présidente Céline Laville. Et conseille à tous les soignants qui ont été en arrêt de travail parce qu’ils ont contracté la Covid de constituer un dossier de demande pour sa reconnaissance comme maladie à caractère professionnel si jamais ils développent des symptômes six mois ou un an après. « Cela nous donne aussi des arguments pour faire évoluer la situation », juge Céline Laville. Dans tous les cas, Éric Rocheblave encourage à prendre conseil auprès d’un syndicat, voire d’un avocat car « nous sommes au tout début des procédures et contentieux ».