Alors qu’elle exerçait depuis deux ans à Montréal, Aïssatou Sidibé a développé des fibromes utérins. Se rendant compte que ce problème, quoique fréquent, était méconnu et minimisé, elle a décidé de créer l’association Vivre 100 Fibromes.
Aïssatou Sidibé : En novembre 2013, alors que j’étais installée au Québec depuis deux ans, j’ai commencé à avoir des problèmes d’anémie. Mon hémoglobine était à 5,7. J’avais des douleurs cardiaques, même la nuit, et j’étais essoufflée au repos. Comme je travaillais en cardiologie, j’ai pensé à une crise cardiaque, mais ce n’était pas ça. J’ai alors consulté un hématologue qui a suggéré la piste gynécologique. Et en effet, la palpation a permis de découvrir quatre fibromes, dont un qui faisait déjà 8 cm. Un mois plus tard, j’ai fait une thrombophlébite, en lien avec la pilule contraceptive. J’ai été hospitalisée, transfusée… Suite à cette hospitalisation, je suis rentrée en France pour voir ma famille. Là, je me suis rapprochée de l’association Fibrome Info France et j’ai consulté une gynécologue qui m’a parlé de traitements qu’on ne m’avait pas proposés au Québec, comme l’embolisation artérielle. Je souhaitais avoir une information globale, pour faire un choix éclairé, qui me correspondait. De retour au Québec, j’ai donc créé un blog pour partager toutes les informations dont je disposais sur le fibrome utérin. Et en 2016, ce blog a évolué en association.
A. S. : Oui, on estime qu’une femme sur trois est concernée, notamment parmi les femmes noires. Nous sommes d’ailleurs triplement à risque puisque les fibromes ne sont pas seulement plus fréquents, ils apparaissent aussi plus tôt, dès l’âge de 25-30 ans, et sont plus gros. C’est parfois encore vu comme un problème bénin parce que certaines femmes ne présentent pas de symptômes. Mais quand il y en a, ils peuvent être très pénibles : saignements abondants, envies fréquentes d’uriner, ballonnements… et cela peut aller jusqu’à provoquer des fausses couches ou des problèmes de fertilité. Quand on opère, on crée des tissus cicatriciels, avec un risque d’adhérence. Ce qu’on sait peu, c’est que les fibromes reviennent. L’association Vivre 100 Fibromes milite d’ailleurs pour que ce soit reconnu comme une maladie chronique. De plus, c’est un problème qui se retrouve souvent d’une génération à l’autre, on parle parfois de familles à fibromes.
A. S. : Peu de médicaments existent, malheureusement. On propose encore souvent une ablation de l’utérus, comme cela se pratiquait déjà en 1800 ! Les choses ont peu évolué. On peut aussi retirer les fibromes par césarienne. C’est donc une intervention assez lourde, avec de possibles risques pour de futures grossesses. Pendant cinq ou six ans, un traitement médicamenteux relativement efficace a été prescrit, l’Esmya, mais il a été retiré du marché l’an dernier à cause d’un risque de toxicité hépatique. L’avantage, c’est que l’arrivée de ce traitement a permis à de nombreuses femmes de parler de leurs fibromes. D’autres solutions existent, qui créent une ménopause artificielle avec tous les effets secondaires qui vont avec. L’embolisation artérielle et les ultrasons donnent d’assez bons résultats. Ce que j’ai remarqué, c’est que les médecines douces fonctionnent sur les douleurs physiques et mentales, mais qu’on en parle peu…
A. S. : Grâce à l’expérience accumulée au sein de l’association, j’ai constaté que les fibromes sont souvent l’expression d’une souffrance interne. Je me suis alors dit que les fibromes devaient vraiment être vus comme un problème de santé globale. L’hygiène alimentaire, l’activité physique et même l’hygiène émotionnelle ont un vrai rôle à jouer. Ce qui est aussi valable pour le syndrome ovarien polykystique et l’endométriose. Ces sujets sont heureusement de plus en plus pris en compte. Pour ma part, j’avais une histoire compliquée avec la gynécologie car j’ai été excisée enfant. Je refusais tout examen. Je pense que les fibromes sont apparus comme un appel de mon corps pour que je prenne enfin soin de mon utérus.
A. S. : Tout à fait. En France, on propose souvent la phytothérapie et l’ostéopathie. Au Québec, ces thérapies sont bien développées. Je me suis donc tournée vers ces médecines douces pour trouver un équilibre. D’ailleurs, bien que j’aie toujours consulté des médecins, il a fallu qu’une ostéopathe me propose une auscultation de la tête aux pieds pour repérer les fibromes… Comme je ne voulais pas d’examen gynécologique, on était passé à côté, alors qu’une palpation du ventre aurait suffi. Il faut que tous les professionnels de santé arrivent à travailler main dans la main.
A. S. : Oui, à l’occasion de cet événement, nous mettons en place des rencontres entre des binômes que l’on compose : un gynécologue et une radiologiste, un herboriste et une ostéopathe, etc. Ces professionnels de santé vont chercher l’information dans leur domaine pour nous la livrer. Grâce à tout ce travail, des partenariats ont pu se créer. Cela a même permis d’enrichir les connaissances sur les fibromes.
A. S. : Tout d’abord, elles peuvent jouer un rôle de pivot en assurant la coordination entre tous les professionnels pour que la prise en charge soit la plus complète et individualisée possible. Notre force, c’est aussi de combler l’écart entre les médecins et les patients. En 30 minutes, les gynécologues n’ont pas le temps de faire le tour de tout ce qui existe, ni même de bien expliquer les traitements prescrits. Moi-même j’ai dû faire beaucoup de recherches sur Internet. Mais Internet n’est pas une consultation médicale. Mon regard d’infirmière me permet de faire des liens très vite, et donc de faire progresser la cause. Mais on ne nous apprend pas à monter notre propre initiative : il faut oser se lancer, oser approcher d’autres professionnels. Notre expertise infirmière intervient également dans l’accompagnement et l’éducation thérapeutique (ETP), mais là encore, c’est une compétence qu’il faut encore plus développer au Québec.
A. S. : On peut en effet devenir infirmière de pratique spécialisée ou enseigner. Il y a donc des possibilités de se développer dans ce qu’on aime faire en dehors de l’hôpital. Pour ma part, je suis actuellement une formation pour devenir infirmière coach en santé et bien-être, afin d’encore mieux accompagner les femmes que je rencontre. Je pense exercer cette nouvelle activité au sein de l’association ou en libéral.
Lauréate de la catégorie Promotion de la santé du Prix Florence 2021, attribué par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Aïssatou Sidibé espère augmenter la visibilité de l’association Vivre 100 Fibromes. « J’ai une triple casquette : présidente de l’association, patiente et infirmière. Je mets la synergie de ces trois rôles au service de la cause, celle de mieux faire connaître les fibromes utérins et de développer les prises en charge », confie-t-elle. Pour L’Infirmièr.e, elle revient sur son histoire, son engagement et l’ambition qu’elle porte pour son exercice professionnel.
1983 Naissance à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine).
2008 Diplôme d’État à l’hôpital Avicenne (AP-HP) de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
2011 Départ pour Montréal. Prend un poste aux urgences de l’Institut de cardiologie.
2013 Découverte de quatre fibromes utérins nécessitant deux hospitalisations lourdes.
2016 Lancement de son association Vivre 100 Fibromes.