RELATIONS PROFESSIONNELLES
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La médiation permet aux professionnels des établissements de santé de résoudre des difficultés relationnelles dans le cadre de leur activité. Un outil utile et innovant qui permet d’éviter une procédure disciplinaire ou juridique.
La médiation est un temps de dialogue confidentiel facilité par un tiers qui n’a pas de pouvoir de décision et qui va amener les personnes, grâce à un processus structuré, à choisir elles-mêmes les solutions de résolu tion de leur différend », explique Louise Massing, responsable médiation, qualité de vie et conditions de travail (QVCT) à l’Institut Curie, médiateure et formatrice à l’Institut de formation à la médiation et à la négociation (Ifomene). « La médiation est un nouveau paradigme, complète Brigitte Eckert, cheffe du service de médiation interne des professionnels à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) et médiateure. Elle introduit la promotion de l’altérité dans le cadre de l’entente sociale et l’accueil de l’autre dans sa différence. » « Dans le secteur public, un décret du 28 août 2019 a institué l’existence d’un médiateur national et de médiateurs régionaux ou interrégionaux pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux, ce qui favorise d’ailleurs la mise en place d’un dispositif de médiation interne », précise Brigitte Eckert, qui travaille de concert avec la médiateure régionale. De fait, les différents échelons peuvent être saisis lorsque les étapes précédentes n’ont pas donné de résultat. La médiation repose avant tout sur un travail entre les parties impliquées, le médiateur n’étant présent que pour leur offrir un lieu protégé, neutre et confidentiel pour échanger. « Il est celui qui va tirer les fils pour faire réfléchir à l’élaboration d’une solution mais il n’est en aucun cas présent pour donner une orientation », précise-t-elle.
Le service de médiation peut être saisi pour tous les cas de différends relationnels entre les professionnels, avec l’accord de toutes les parties. Il peut être sollicité lorsque, dans des collectifs de travail, les personnes ne parviennent plus à travailler ensemble. Il peut s’agir de conflits entre collègues, entre le personnel et la hiérarchie, sur une prise en charge ou en raison de problèmes de comportement (respect des horaires, des tâches), d’une altercation, d’un signalement de la part d’un membre du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Les conflits avec les patients ne rentrent pas dans le cadre de la médiation, ils font l’objet d’un autre protocole. À l’AP-HP, le service de médiation étant un service central, tous les agents peuvent y avoir recours, « que ce soient les personnes impliquées ou les supérieurs hiérarchiques, par le biais d’une adresse mail confidentielle ou d’un numéro de téléphone », rapporte Brigitte Eckert, précisant que le service dispose de cinq médiateurs. Le médiateur peut aussi être saisi par la médecine du travail, les assistants sociaux, le psychologue du travail, les ressources humaines, les managers et les représentants du personnel, et ce, « parfois de manière informelle, dans les couloirs », fait savoir Louise Massing.
Le déroulement d’une médiation varie en fonction des établissements mais se découpe généralement en trois temps, à savoir « la phase préliminaire, la phase exploratoire et la phase de clarification », explique Brigitte Eckert, formée à l’École professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN). La phase préliminaire est un temps entre le médiateur, le commanditaire et les parties prenantes afin d’expliquer la médiation. À l’AP-HP comme à l’Institut Curie, lorsque le médiateur est sollicité, un rendez-vous est fixé dans les 48 heures. De son côté, Brigitte Eckert s’assure auprès du commanditaire que les dispositifs accessibles à l’encadrement ont bien été saisis auparavant. « Je vérifie également que l’outil de médiation peut répondre à la situation », indique-t-elle. Elle présente l’outil et les contours de son intervention à l’équipe, ce qui permet une mise en confiance. Une convention est ensuite signée entre le commanditaire, les professionnels et le médiateur nommé pour la situation. De son côté, Louise Massing fait signer une charte de confidentialité permettant d’expliquer aux parties leur engagement. « C’est important pour poser un cadre et instaurer une confiance, soutient-elle. Cela permet aussi d’expliquer les qualités du médiateur qui est indépendant, impartial et qui n’a pas de pouvoir disciplinaire. » Le médiateur n’a pas d’obligation de résultat et sa responsabilité ne peut être engagée. « Vient ensuite la phase exploratoire, poursuit Brigitte Eckert. Elle s’organise autour de rendez-vous individuels entre le médiateur et les parties. » « Ils permettent d’entendre le point de vue de chacun et d’éviter l’effet “choral”, car si on commence par une réunion collective, personne ne va s’écouter et tout le monde va répéter la même chose par mimétisme », complète Louise Massing.
Enfin, la phase de clarification consiste en un entre tien collectif afin de trouver une entente entre les parties et d’élaborer un projet relationnel pour le futur. « L’objectif est que les différentes parties mettent en place des solutions et les conditions dans lesquelles elles souhaitent qu’elles s’appliquent », informe Brigitte Eckert.
Les conflits entre agents sont souvent la résultante de malentendus et de quiproquos, ce qui renforce les gens dans leurs croyances et dans le fait qu’ils vont être hermétiques à ce que les autres peuvent leur apporter. Le rôle du médiateur va alors être de mettre en place un espace de dialogue au sein duquel « les personnes vont se sentir impliquées, entendues et comprises, assure Louise Massing. Mon rôle en tant que médiateure est de ne jamais être dans le jugement ». Chacun va exprimer ses besoins et ses attentes dans la relation de travail. Cela per met d’œuvrer sur la recherche de solutions et de compréhension de la situation.
Le médiateur est amené à travailler sur les croyances des agents et sur leur relation à l’autre. Par exemple, « lorsqu’une personne formule son envie de voir l’autre quitter le service, il veut imposer sa solution, indique Louise Massing. Or, la rupture de la relation n’est pas appropriée. » D’autant que souvent, en discutant, les parties se rendent compte qu’elles peuvent travailler ensemble. La médiation permet de faire émerger des objectifs communs, des points d’accord qui, dans les établissements de santé, reposent sur la bonne prise en charge du patient. Il s’agit ensuite de s’accorder sur les manières d’atteindre l’objectif commun.
Mais dans certains cas, la médiation n’aboutit pas. À l’Institut Curie, lorsque cela arrive, les ressources humaines peuvent reprendre la main.
Pour remplir correctement sa mission, le médiateur est tenu de respecter une éthique et une déontologie. Il est indépendant de toute autorité et n’est en aucun cas un « passeur de message institutionnel ou hiérarchique », certifie Brigitte Eckert. « Il se doit d’être impartial, ce qui implique une posture de distanciation vis-à-vis des parties, précise Agnès Tavel, formatrice à l’EPMN. Il se doit également d’être neutre, ce qui repose sur une posture de distanciation par rapport à la solution que les différentes parties envisagent. »
De même, le médiateur est soumis à une obligation et un engagement de confidentialité à l’égard de la DRH, des managers et de la direction, obligation qui peut être levée, d’après le législateur, dans les cas suivants : en présence de situations impérieuses d’ordre public, d’un motif lié à un intérêt supérieur de l’enfant, et en cas de mise en cause de l’intégrité physique ou psychologique d’une personne.
Mais pour atteindre un tel niveau de neutralité et d’impartialité, la formation est indispensable « afin d’obtenir le statut de médiateur professionnel, soutient Agnès Tavel. On ne s’improvise pas médiateur. Sinon, on est plutôt dans la posture de l’ami facilitateur. » « Ce n’est pas un terrain de jeu, complète Louise Massing, formée, comme Brigitte Eckert, à l’EPMN, et titulaire d’un master de l’Ifomene. Les personnes qui font appel à une médiation arrivent en confiance. Le médiateur se doit donc d’adopter une posture idoine. » Pour Brigitte Eckert également, « un travail est nécessaire à faire avant de devenir médiateur, ce qui nous demande de nous départir de nos formations initiales pour nous construire une identité de médiateur. Il faut mener un travail personnel approfondi pour apprendre à s’intéresser à l’autre exclusivement, ce qui peut bouleverser. » À l’AP-HP, en signant une charte de déontologie du médiateur interne, les médiateurs s’engagent à des séances d’analyse de pratique et de supervision, « une démarche essentielle, garante du professionnalisme, soutient Brigitte Eckert. Notre service offre une médiation certifiée, homogène, accessible et lisible de tous. » À l’Institut Curie, pour anticiper les conflits éventuels et empêcher les effets cumulatifs des irritants, le choix a été fait de travailler sur la prévention. « Parfois, un conflit repose sur un mauvais accueil fait à nouveau collaborateur à son arrivée dans l’établissement, et il garde une rancœur, cite en exemple Louise Massing. Pour éviter que de telles situations se produisent, nous organisons des ateliers de prévention sur l’accueil et l’intégration d’un nouvel arrivant, ainsi que sur l’écoute et la communication en équipe, car nombre de conflits résultent d’un malentendu né d’une mauvaise écoute. »
Pour mener leur travail à bien, les médiateurs disposent de plusieurs outils. Tout d’abord, l’altérocentrage, qui consiste à être centré sur l’autre. « Ce qui intéresse le médiateur n’est pas ce qu’il va écouter mais ce que l’autre va lui dire, pour ensuite le reformuler », explique Agnès Tavel. Il doit amener la personne à parler sans lui poser de question, avec une méthode douce, pour ainsi donner du sens à ce qu’il dit. « Mon travail consiste à me mettre à la disposition de la personne en l’aidant à reformuler ses émotions, poursuit Louise Massing. Je travaille sur l’introspection pour permettre l’extrospection. Je suis donc disposée à écouter la personne, à la comprendre, sans la juger. » Si par exemple une personne est en colère, le médiateur va lui demander la raison, ses besoins, ses attentes. « Bien souvent, après ce travail, elle va dire qu’elle se sent comprise et entendue », indique la médiateure. Autre outil : le FCR pour faits, conséquences, ressenti, qui vise à exprimer un vécu de façon factuelle et non dans l’interprétation. Le médiateur doit donc reformuler avec l’altérité tout en identifiant le registre de l’adversité. « Dans tous les cas, le médiateur est transparent et doit donner du sens à ce que l’autre dit, indique Agnès Tavel. Il est un miroir, il ne doit jamais parler de lui, mais s’effacer avec le langage attributif. »
Kankoun Konté , aide-soignante et médiateure à l’AP-HP
« J’ai découvert la médiation en 2018. Je pensais à une reconversion professionnelle mais je ne souhaitais pas nécessairement m’orienter vers le métier d’infirmière, qui est la voie classique lorsqu’on est aide-soignante. À la suite d’un bilan de compétences, il est ressorti que j’avais des qualités relationnelles et des aptitudes à la négociation déjà bien intégrées. J’ai alors entamé les démarches pour connaître les écoles de médiation et, en septembre 2018, je me suis inscrite au cursus de 14 modules sur un an et demi de l’Ifomene tout en poursuivant mon métier d’aidesoignante. En avril 2019, j’ai assisté à un colloque sur la médiation et l’hôpital au cours duquel j’ai fait la connaissance de Brigitte Eckert, cheffe du service de médiation interne des professionnels de l’AP-HP, qui m’a encouragée à la contacter après l’obtention de mon diplôme, ce que j’ai fait. Depuis février 2021, je suis intégrée à ce service. J’y consacre 20 % de mon temps de travail. Je suis vraiment très satisfaite de cette orientation, car je constate que c’est quelque chose que je portais en moi sans le savoir. Par ailleurs, en étant soignante à l’AP-HP, je sais d’expérience que nous pouvons être amenés à avoir des difficultés relationnelles entre agents. Jusqu’à présent, nous ne savions pas vers qui nous tourner pour régler nos différends. Le service de médiation interne est aujourd’hui une bonne porte pour régler les conflits à l’amiable sans aller vers une procédure disciplinaire ou juridique. »
À l’AP-HP, les étudiants en détresse peuvent trouver une oreille à qui parler via un programme d’écoute gratuit : « Les médiateurs professionnels au soutien des étudiants ». Inscriptions sur : https://cpmn. simplybook.it/v2/