JE ME FORME
PRISE EN CHARGE
Thierry Pennable* Dr Jeremy Lupu** Marie-Laure Allouis***
*chef de clinique du service d’onco-dermatologie de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne)
**infirmière en bio-esthétique au pôle cancérologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou de Paris
Les toxicités cutanées induites par les chimiothérapies anticancéreuses peuvent limiter la poursuite du traitement et ont souvent un retentissement important sur la vie du patient. Elles doivent donc être repérées et traitées le plus préco cement possible, soit par des soins de support socio-esthétiques, soit médicalement. En donnant elle-même des conseils ou en incitant le patient à signaler toute gêne ressentie au service d’oncologie, l’infirmière joue un rôle important dans l’acceptabilité du traitement par la personne malade.
« Quand on parle de toxicités cutanées liées aux chimiothérapies, on parle à la fois de toxicités au niveau de la peau, mais également au niveau des phanères incluant les poils et les ongles, ainsi qu’au niveau des muqueuses », explique le Dr Jeremy Lupu, chef de clinique du service d’onco-dermatologie de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif. L’ensemble de ces tissus kératinisés faisant partie du revêtement cutanéo-muqueux, les expressions « toxicités cutanéo-muqueuses » ou « toxicités dermatologiques » sont donc aussi employées (les atteintes des muqueuses ne seront pas abordées ici).
Les atteintes cutanées induites par les traitements médicamenteux du cancer peuvent :
→ affecter gravement la qualité de vie du patient ;
→ entraîner une non-adhésion au traitement anticancéreux ;
→ nécessiter une réduction de la dose, voire une interruption de traitement.
La prise en charge des toxicités cutanées dépend de leur intensité et de l’impact sur la qualité de vie du patient. À l’instar de la douleur, cette gêne ne se juge pas, elle s’entend.
Le retentissement psychologique dépend de chaque individu et peut être évalué par une échelle visuelle analogique (EVA), la note 0 correspondant à « aucune gêne », la note 10 à la « gêne maximale imaginable ».
Les soins prodigués en socio-esthétique répondent à un besoin de restauration de l’image de soi pour pallier les atteintes à l’intégrité corporelle induites par la pathologie et/ou les traitements. Ils favorisent le processus de guérison par la communication, le mieux-être et le confort du patient pour une meilleure qualité de vie.
Dans le cadre du cancer, l’intervention des socioesthéticiennes fait partie des soins oncologiques de support définis comme l’ensemble des soins et soutien nécessaires aux personnes tout au long de leur maladie.
Certaines toxicités cutanées, peu sévères, peuvent être traitées par application d’un topique local. Un traitement par voie orale est possible dans le cas de toxicités plus sévères.
Le recours à l’avis d’un dermatologue est justifié pour les toxicités les plus sévères, pour lesquelles les oncologues d’organes et les soins de support ne peuvent apporter de solution. « En pratique, le choix de la prise en charge repose sur la gêne ou la douleur ressentie par le patient, d’une part, et l’intensité objective de l’atteinte cutanée que l’on exprime en pourcentage de la surface corporelle touchée, d’autre part. Par exemple, quand des lésions de folliculite touchent plus de 50 % de la surface corporelle ou quand un syndrome main-pied empêche la marche », précise le Dr Jeremy Lupu.
Plus généralement, l’intervention du dermatologue est indiquée lorsque l’effet secondaire atteint le grade 3 ou 4 dans la classification CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events), échelle de sévérité des événements indésirables induits par les traitements du cancer (voir le tableau 1 p. 20).
L’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) propose des critères pour aider les soignants à orienter les patients prioritaires vers des soins de socio-esthétique. Comme l’ensemble des soins de support, l’orientation vers une socio-esthéticienne peut être proposée au début de la prise en charge, pendant et après les traitements, et jusqu’à la prise en charge d’une fin de vie.
Critères de base (relevant de l’impact du traitement du cancer sur l’image corporelle) :
→ acte invasif ou mutilant ;
→ toxicités cutanées, muqueuses et phanériennes.
Critères de priorisation :
→ sévérité des effets secondaires (prévisionnels ou avérés) ;
→ précarité sociale et/ou familiale : patient isolé, financièrement vulnérable… ;
→ influence de la situation de vie : retour ou maintien d’une activité professionnelle, hospitalisation longue durée… ;
→ importance de l’apparence physique. Une folliculite limitée chez une personne jeune qui se soucie beaucoup de son apparence aura un retentissement psychologique plus important que chez une personne moins préoccupée par la même atteinte dermatologique affichante.
Les folliculites sont des inflammations du follicule pileux. Les éruptions cutanées ressemblent à celles de l’acné juvénile sans les lésions rétentionnelles de type microkystes ou comédons. Elles s’observent essentiellement avec les thérapies ciblées et sont parfois associées à un prurit ou des douleurs. Les lésions, qui sont principalement localisées au niveau des zones dites « séborrhéiques » du visage (nez, front, menton), peuvent atteindre le tronc (torse et épaules) mais aussi les membres.
Molécules en cause : anti-EGFR, anti-MEK, anti-mTOR, corticoïdes.
Mesures préventives :
→ éviter les expositions au soleil ou utiliser une crème solaire avec un indice 30 à 50 ;
→ appliquer des émollients ou crèmes hydratantes à base de cuivre et de zinc pour diminuer l’inconfort et limiter la réaction inflammatoire ;
→ utiliser un syndet (savon sans savon), plus doux et plus respectueux de l’épiderme que les savons classiques ;
→ se maquiller avec des produits cosmétiques dont la substance n’obstrue pas les pores (non-comédogènes) ;
→ éviter les produits parfumés et les facteurs agressifs locaux ;
→ prescription d’antibiotiques (doxycycline ou tétracycline) dans certains cas.
Mesures curatives :
→ en cas d’atteinte peu sévère, peu étendue et n’ayant pas un retentissement trop important sur la vie quotidienne du patient, les soins locaux peuvent être suffisants. Crèmes, laits ou baumes à base de cuivre et de zinc peuvent être utilisés sur de longues périodes. En cas de lésions très inflammatoires, le recours aux dermocorticoïdes et antibiotiques est limité à quelques jours ou semaines ;
→ en présence de lésions étendues ou ayant un retentissement important sur le quotidien du patient, le recours à une antibiothérapie systémique peut être justifié, mais avec précaution car elle est photosensibilisante et susceptible de majorer des diarrhées déjà favorisées par les thérapies ciblées ;
→ en cas d’effets secondaires cutanés très sévères ou réfractaires aux traitements cités précédemment, la toxicité cutanée étant dose-dépendante, la diminution des doses, voire l’arrêt du traitement, peut être envisagée.
→ Remarques :
→ la folliculite induite par les traitements ne doit pas être confondue avec de l’acné ni être traitée comme tel. Les anti-acnéiques et les excipients alcooliques contenus dans certaines lotions sont contre-indiqués (ex : Eryfluid) dans la mesure où ils risquent d’assécher la peau, déjà sèche, à la différence de la peau grasse sous-jacente dans l’acné juvénile, mais également d’aggraver le prurit et les lésions.
→ les folliculites ont des manifestations différentes en fonction des molécules utilisées. Elles concernent près de 100 % des patients traités par anti-EGFR.
Une xérose correspond à une sécheresse cutanée excessive caractérisée par une peau rugueuse qui manque de souplesse.
Des complications sont possibles :
→ survenue de fissures cutanées qui affectent surtout la pulpe des doigts, les zones autour des ongles, les articulations entre les phalanges et les talons. Ces fissures peuvent devenir douloureuses, occasionner une gêne fonctionnelle pour la préhension des objets ou la marche, avec un retentissement important sur la qualité de vie ;
→ un prurit invalidant ou une évolution vers un eczéma malgré les soins locaux.
Molécules en cause : chimiothérapies cytotoxiques, thérapies ciblées et immunothérapies.
Mesures préventives :
→ appliquer des laits, des crèmes ou des baumes émollients surgras ;
→ éviter les savons astringents, préférer les syndets liquides ou en pain ;
→ éviter les douches trop chaudes, privilégier les douches tièdes ;
→ prendre des bains d’amidon (ex : amidon de blé Cooper, poudre émolliente pour le bain) ;
→ porter des sous-vêtements en coton pour éviter les irritations ;
→ poursuivre la photoprotection avec une crème solaire indice 50+ pendant une année après la fin du traitement.
Mesures curatives :
→ appliquer des émollients simples ;
→ des émollients contenant de l’urée ou de l’acide salicylique en cas de squames importantes ;
→ du cérat (mélange de cire et d’huile), crème barrière ou crème fissure, film protecteur, qui permettent de prévenir les fissures mais aussi de favoriser leur guérison ;
→ antihistaminiques en présence de prurit ;
→ dermocorticoïdes en cas d’eczématisation.
Le syndrome main-pied (SMP) se caractérise par :
→ un érythème palmaire et/ou plantaire symétrique ;
→ une desquamation avec douleur ;
→ une paresthésie ;
→ une intolérance à la chaleur.
Le syndrome main-pied peut affecter gravement la qualité de vie du patient et entraîner une nonadhésion au traitement anticancéreux.
Ce syndrome est un effet indésirable en lien avec deux classes de traitements anti cancéreux, les chimiothérapies cytotoxiques et les thérapies ciblées, sous des formes un peu différentes :
→ avec les chimiothérapies classiques, les mains et les pieds sont très inflammatoires, très érythémateux et très douloureux sur toute la surface de la paume des mains et de la plante des pieds ;
→ avec les thérapies ciblées, notamment anti-VEGF, le syndrome main-pied se manifeste plutôt par de la corne très douloureuse au niveau des points d’appui de la plante des pieds ou des zones traumatisées des mains, sur des zones d’hyperkératose.
Molécules en cause : chimiothérapies cytotoxiques et thérapies ciblées.
Mesures préventives :
→ la Haute Autorité de santé recommande « une visite chez un pédicure-podologue avant la mise sous traitement, et un suivi régulier pendant toute la durée du traitement et dans le cas de zones d’hyperkératose préexistantes » ;
→ traitement podologique des zones d’hyperkératose préexistantes. En cas d’inflammation, les crèmes kératolytiques à base d’urée sont à préférer aux soins par action mécanique à l’aide d’un bistouri, d’une turbine ou encore d’un micro moteur ;
→ appliquer une crème émolliente de type émulsion après ablation des hyper kératoses ;
→ si besoin, porter des orthèses plantaires afin de limiter la formation des hyperkératoses par la mise en décharge des zones douloureuses et/ ou d’hyperappuis ;
→ éviter les chaussures trop serrées, préférer des chaussures adaptées, absorbantes et larges ainsi que des chaussettes ou chaussons en coton ;
→ porter des gants épais en coton pour les activités quotidiennes (jardinage, cuisine…) et des gants en latex pour la vaisselle ;
→ ne pas couper les ongles trop courts ;
→ porter des gants et/ou des chaussettes réfrigérées lors des traitements par voie intraveineuse de courte durée.
Mesures curatives :
→ utilisation locale d’émollients cicatrisants ou kératolytiques en fonction de l’aspect clinique ;
→ dermocorticoïdes si inflammation importante ;
→ la douleur, principal symptôme, doit être traitée par des soins de podologie, des antalgiques, voire des anti-inflammatoires locaux, des anesthésiques locaux comme des patchs de lidocaïne dosés à 4 ou 5 % ;
→ en cas de retentissement important sur la vie quotidienne, l’adaptation des doses ou l’arrêt du traitement en cause doit être envisagé.
En dermatologie, les dyschromies désignent les modifications pigmentaires de la peau, des muqueuses ou des phanères (poils, cheveux, ongles), fréquentes avec les traitements anticancéreux. Ces troubles pigmentaires peuvent être à type d’hypo ou d’hyperpigmentations. Ces dernières se traduisent par des taches brunâtres ou violacées, plus fréquentes chez les patients de phototype élevé (peau foncée), l’exposition aux ultraviolets étant un facteur aggravant. Les modifications pigmentaires peuvent se manifester localement ou de manière diffuse.
Le plus souvent, les chimiothérapies cytotoxiques provo quent des hyperpigmentations tandis que les thérapies ciblées vont plutôt entraîner des dépigmentations.
Molécules en cause :
→ essentiellement les thérapies ciblées et les immu nothérapies de type anti-CTLA-4 (ipilimumab) ou anti-PD-1 et anti-PD-L1 (nivolumab, pembrolizumab et atézolizumab) pour les dépigmentations ;
→ chimiothérapies classiques et thérapies ciblées pour les hyperpigmentations.
Mesures préventives :
→ éviter les expositions au soleil sans protection pendant toute la durée du traitement et l’année qui suit la fin du traitement (s’allonger au soleil, mais aussi promenades, jardinage…) ;
→ se protéger à l’ombre à cause de la réverbération (neige, sable, bitume, eau), derrière une vitre, à l’ombre d’un parasol ou par temps semi-couvert avec des nuages ne filtrant pas les UV… ;
→ appliquer une crème solaire avec un indice 50+ sur les zones apparentes en cas d’exposition, toutes les 2 heures ou toutes les heures en cas de forte exposition ;
→ porter des vêtements en coton épais, en lin ou en bambou de couleur foncée, ainsi qu’une casquette ou un chapeau à larges bords.
Mesures curatives : les dyschromies ne bénéficient généralement pas de traitement spécifique Pour autant, elles ne justifient pas de modification du traitement en cause.
→ Remarques :
→ les hyperpigmentations peuvent faire suite à une phase inflammatoire érythémateuse. Le traitement précoce de la réaction inflammatoire peut donc limiter ou éviter la survenue de ce type de toxicité ;
→ certaines colorations au niveau des ongles, appelées chromonychies, qui sont fréquentes avec les chimiothérapies cytotoxiques, disparaissent lentement mais peuvent aussi être définitives ;
→ certaines dyschromies présentent des aspects spécifiques comme les taches bleues provoquées par le vandétanib, préférentiellement sur les zones photo-exposées comme le visage et le tronc ;
→ une décoloration rapide des cheveux est possible avec des traitements par sunitinib et pazopanib. Cet effet indésirable est réversible à l’arrêt de la chimiothérapie.
L’onycholyse fait partie des atteintes des ongles, regroupées sous le terme d’onychopathies, observées lors des traitements par chimiothérapie. Elle se manifeste par le décollement d’un ou de plusieurs ongles séparés, sur une portion plus ou moins importante, de leur étendue de la pulpe unguéale, structure épidermique rosée sur laquelle repose l’ongle. Le décollement progressif de l’ongle est très souvent douloureux et s’accompagne d’un écoulement de pus sous-unguéal. Les douleurs sont causées par :
→ la mobilisation de la racine de l’ongle (matrice) lors des manipulations ;
→ les surinfections favorisées par le décollement de l’ongle.
Molécules en cause : taxanes, capécitabine, 5-fluorouracile (5-FU), anthracyclines.
Mesures préventives :
→ porter des gants pour protéger les ongles contre les chocs et les détergents ;
→ couper les ongles au plus court pour éviter qu’ils ne se soulèvent ou se fissurent ;
→ appliquer un vernis enrichi en silicium et en urée, anti-UV. Très souvent préconisée, cette pratique qui vise à prévenir l’onycholyse et à maintenir un niveau d’hydratation de l’ongle n’a à ce jour pas prouvé son efficacité ;
→ porter des gants et/ou des chaussettes réfrigérées lors des traitements par voie intraveineuse de courte durée (méthode inconfortable).
Mesures curatives :
→ découper les ongles décollés pour un soulagement immédiat du patient et éviter tout risque d’infection ;
→ pratiquer des soins d’hygiène avec brossage doux ;
→ utiliser des antiseptiques à la fois non irritants et dilués.
→ Remarques : d’autres onychopathies peuvent être induites par les chimiothérapies, telles que des dyschromies unguéales, modifications de la couleur des ongles, des hémorragies sous-unguéales, ou encore un arrêt brutal de la croissance de l’ongle avec apparition de lignes parallèles et horizontales lors de la repousse appelées « lignes de Beau ».
La paronychie, ou périonyxis, est une inflammation de la peau du pourtour de l’ongle avec formation d’un bourgeon charnu pouvant faire penser à un « ongle incarné ». Elle se manifeste par une rougeur, une chaleur et une douleur sur la bordure de l’ongle. Les lésions, qui sont très douloureuses :
→ surviennent après plusieurs semaines de traitement, souvent au niveau des orteils ;
→ ont un retentissement important sur la vie du patient : marche, chaussage, préhension des objets lorsqu’il y a une atteinte des doigts…
Molécules en cause : taxanes, capécitabine, 5-FU, anthracyclines, anti-EGFR, anti-MEK, anti-mTOR.
Mesures préventives :
→ couper les ongles droit ;
→ réaliser des soins d’hygiène et utiliser des émollients ;
→ protéger des chocs et des détergents.
Mesures curatives : la prise en charge des paronychies est difficile du fait du caractère souvent récidivant des lésions et de leur évolution chronique sous forme de poussées-rémissions. On optera pour :
→ des traitements locaux par dermocorticoïdes, nitrate d’argent, voire acide trichloroacétique, qui peuvent suffire lorsque l’inflammation est limitée ;
→ une exérèse chirurgicale du bourgeon charnu et de la bande d’ongle sous-jacente avec sa matrice, qui est indispensable en cas d’inflammation importante ou récidivante.
En fonction des cas, les chimiothérapies cyto toxiques ainsi que certaines thérapies ciblées peuvent provo quer une perte légère, partielle ou totale des cheveux, mais également une perte totale ou partielle des poils sur toutes les régions du corps.
En règle générale, la perte des cheveux est plus fréquente car la pousse des poils au niveau du visage et du reste du corps est moins active. Poils et cheveux peuvent progressivement devenir plus fins ou tomber par paquets. La chute peut être spontanée ou consécutive au lavage ou au brossage. La chute des cheveux n’est pas douloureuse et sans gravité du point de vue médical. Mais elle n’en reste pas moins l’une des toxicités les plus redoutées par les patients, surtout par les femmes, car elle est à l’origine d’une réelle souffrance psychologique. Poils et cheveux repoussent le plus souvent après la fin des traitements à des durées variables selon les personnes.
Molécules en cause :
→ chimiothérapies cytotoxiques et certaines thérapies ciblées ;
→ l’immunothérapie par interféron alpha et interleukine 2 peut provoquer une légère perte des cheveux. La masse capillaire s’éclaircit mais sans aller jusqu’à une véritable alopécie.
Mesures préventives : dans certains cas, notamment en présence de tumeurs solides, le refroidissement du cuir chevelu avant, pendant et après l’administration d’une chimiothérapie par voie intraveineuse peut réduire la perte de cheveux. En resserrant les vaisseaux sanguins du cuir chevelu, le froid va réduire le débit sanguin et donc la quantité d’agent chimiothérapeutique qui atteint les folli cules pileux. Cela permet de limiter cet effet secondaire du traitement jusqu’à éviter parfois le recours à une prothèse capillaire ou autre couvre-chef. Toutefois, l’efficacité du refroidis sement dépend du type de chimiothérapie et de la dose administrée.
Mesures curatives : hormis les épilations suspensives ou l’interruption des traitements, il n’existe pas de traitement curatif pour cette toxicité.
→ Remarques :
→ Les cils, qui peuvent tomber provisoirement, ont une fonction de protection des yeux contre la poussière, et leur chute peut favoriser une irritation oculaire. Le port de lunettes protège de la poussière et la prescription d’un collyre peut soulager le patient ;
→ les anti-EGFR, la ciclosporine et les corticoïdes peuvent provoquer une hypertrichose. Cette augmentation de la pilosité n’importe où sur le corps est un effet indésirable plus mal vécu par les patients que la chute des poils ;
→ les anti-EGFR peuvent également entraîner une repousse anarchique des sourcils et des cils, et, par conséquent, modifier l’expression du regard du patient. Les sourcils prennent alors un aspect broussailleux et les cils se recourbent. Couper les cils et épiler les sourcils permet de leur redonner un aspect plus naturel au moment de la repousse ;
→ l’utilisation de produits de maquillage de type mascara ou crayon à sourcils est possible, à condition qu’ils soient bien tolérés
• Haute Autorité de santé (HAS), Collège national de pédicuriepodologie (CNPP), « Les effets secondaires des traitements anti-cancéreux : syndrome main-pied, onycholyse, paronychie », novembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3eSlprB
• Les soins oncologiques de support proposent une approche globale visant à assurer la meilleure qualité de vie possible au patient. Quels sont les différents types de soins de support ? Comment sont-ils mis en œuvre ? Comment y accéder ? L’Institut national du cancer (INCa) apporte des réponses sur son site : bit.ly/3aSrJxP
• L’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) permet d’accéder aux différents soins de support en effectuant une recherche par mot, par thème ou par symptôme, sur son site : bit.ly/3xDMcjI
• Les soins de support ont transformé le paysage de l’oncologie en modifiant les modes de fonctionnement des professionnels et les organisations de soins. Activité physique adaptée, place des pratiques complémentaires, image corporelle, lutte contre la fatigue, repérage dans les aides sociales… L’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) présente dans les rubriques de son site l’ensemble des soins de support disponibles en oncologie et met à disposition des « fiches référentiels » pour la prise en charge des effets secondaires des traitements, notamment sur les toxicités. L’association propose également des formations en ligne. À découvrir sur son site Internet : www.afsos.org
• La socio-esthétique est aujourd’hui une discipline au cœur de la prise en charge des patients. L’accompagnement corporel de la souffrance et de la douleur participe à la reconstruction de l’image de soi, et donc de l’estime de soi et de la dignité. La confiance retrouvée pour aller vers les autres est une aide à la resocialisation. Découvrez la socio-esthétique sur le site du Codes (Cours d’esthétique à option humanitaire et sociale) : www.socio-esthetique.fr
Ouvrages
• Allouis M.-L., Prendre soin de son corps pendant un cancer, éditions Jouvence, collection « Santé », 2019. Écrit dans un style accessible, cet ouvrage d’une infirmière en bio-esthétique s’adresse directement aux patients qui s’interrogent sur la toxicité des traitements sur leur apparence ou à ceux qui souffrent déjà d’une altération de leur image corporelle. Il aidera aussi les infirmières à mieux accompagner les patients.
• Étienne R., Henry A., Soins de support en oncologie adulte, en 18 notions, éditions Dunod, collection « Aide-mémoire », 2019. Le livre de Rémi Étienne et Aline Henry, respectivement infirmier en soins palliatifs et référente plaies et cicatrisation et médecin responsable de l’Équipe mobile de soins palliatifs à l’Institut de cancérologie de Lorraine, présentent, au travers de fiches pratiques, le savoir-faire et l’expertise développés dans les soins de support en cancérologie.
“Les toxicités évoluent avec les traitements”
Dr Jeremy Lupu, chef de clinique du service d’onco-dermatologie de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), et assistant universitaire des hôpitaux de Paris
« L’avènement des thérapies ciblées et de l’immunothérapie a entraîné l’apparition de nouveaux effets secondaires cutanés, différents de ceux observés avec les chimiothérapies classiques. Alors que la chimiothérapie classique, ou cytotoxique, entraîne une alopécie universelle avec perte systématique des cheveux et des poils en phase de pousse, les thérapies ciblées peuvent induire une modification de la texture des cheveux, et l’immunothérapie peut provoquer, beaucoup plus rarement, des pertes de cheveux circonscrites à quelques plaques. Ces trois grandes familles de médicaments agissent selon des mécanismes très différents qui génèrent donc des effets indésirables spécifiques. La folliculite, qui est une forme d’acné sans lésions rétentionnelles, microkystes ou comédons, connaît une recrudescence. Elle est observée chez plus de 70 % des patients sous traitement dit anti-EGFR, comme le cétuximab, car dirigé vers le récepteur EGFR qui joue un rôle déterminant dans la carcinogenèse des cancers ORL, alors qu’elle concerne aujourd’hui peu de patients traités avec les chimiothérapies classiques. Autre exemple, le syndrome main-pied, sous forme de réaction inflammatoire de la microcirculation distale des mains et des pieds, déjà connu avec les cytotoxiques, s’observe aujourd’hui sous la forme d’hyperkératose des points d’appui avec les thérapies ciblées anti-VEGF, comme le bevacizumab. »
Dr Jeremy Lupu, chef de clinique du service d’oncodermatologie de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), et assistant universitaire des hôpitaux de Paris
« La folliculite observée avec certaines thérapies ciblées ressemble à de l’acné sans présenter les points noirs, les comédons, et les points blancs, les microkystes, observés dans l’acné rétentionnelle de l’adolescent ou de l’adulte jeune. C’est une toxicité cutanée bien connue des oncologues et des dermatologues qui peut être traitée avec des antibiotiques utilisés pour leur activité anti-inflammatoire, soit par voie locale avec l’érythromycine, soit par voie générale avec la doxycycline, car il ne s’agit pas d’une infection. Ces traitements permettent de résoudre ou de diminuer fortement la gêne occasionnée par ces symptômes. Ces folliculites peuvent aussi être traitées par des dermocorticoïdes, ce qui n’est pas un traitement de l’acné. »
Dr Jeremy Lupu, chef de clinique du service d’onco-dermatologie de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), et assistant universitaire des hôpitaux de Paris
« Le principe des immunothérapies est de stimuler le système immunitaire pour combattre la maladie. Mais le système immunitaire est tellement stimulé qu’il va aussi créer de l’inflammation au niveau de certains organes, comme le foie, les poumons ou la peau. Lorsque l’inflammation est généralisée à l’ensemble de la peau, cela peut provoquer des éruptions cutanées qui ressemblent à de l’eczéma, du psoriasis ou à d’autres maladies inflammatoires dermatologiques. Dans d’autres cas, elle peut déclencher des vitiligos, des dermatoses se présentant sous l’aspect d’une dépigmentation de la peau lorsque le système immunitaire s’attaque aux mélanocytes. Dans le traitement du mélanome, le système immunitaire, stimulé par l’immunothérapie, attaque le mélanome et les mélanocytes sains, provoquant ces dépigmentations. »
EST-CE QUE MA PEAU VA RETROUVER SA COULEUR NORMALE ?
Oui, la plupart du temps les troubles pigmentaires disparaissent avec l’arrêt du traitement en cause, mais cela peut prendre un certain temps, parfois des mois, voire des années dans certains cas.
La prise en charge infirmière des toxicités cutanées induites par les chimiothérapies du cancer repose surtout sur le conseil. Toutefois, de façon générale il y a un besoin d’hydratation de la peau qui peut concerner des patients qui ne peuvent pas le faire ou qui n’ont plus la motivation de le faire.
AMI 1,25 de la Nomenclature générale des actes professionnels infirmiers pour « Pulvérisation de produit (s) médicamenteux », chapitre I « Soins de pratique courante », article 8 « Test et soins portant sur l’enveloppe cutanée ».
Marie-Laure Allouis, infirmière en bio-esthétique et conseillère en image au pôle cancérologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), fondatrice de l’association Apprivoiser son image dans la maladie (Apima), et auteure de Prendre soin de son corps pendant un cancer
Qu’est-ce qui vous a amenée à la bio-esthétique ?
Lorsque j’ai débuté en cancérologie, il n’y avait guère que les catalogues de perruques à proposer aux patients, lesquels soulevaient pourtant nombre de questions sur les effets des traitements sur leur peau, leurs ongles ou leurs muqueuses. Questions auxquelles personne ne pouvait répondre. Compte tenu de la souffrance ressentie, je me suis intéressée aux effets indésirables des chimiothérapies anticancéreuses et plus particulièrement à leurs toxicités dermo-esthétiques. J’ai ensuite souhaité leur proposer une prise en charge dédiée à ces symptômes.
Quels conseils donneriez-vous à une infirmière confrontée à des toxicités cutanées chez un patient ?
Les infirmières, à domicile ou en service, ont de plus en plus souvent en charge des patients sous chimiothérapies. Certaines donnent déjà de très bons conseils pour gérer les toxicités cutanées. L’infirmière qui observe des symptômes concomitants à un traitement anticancéreux ne doit pas hésiter à aborder le sujet avec un patient qui semble mal informé. Elle peut rappeler qu’en la matière, il n’y a pas de question bête ni de sujet tabou. Si la soignante n’a pas elle-même de réponse à donner, elle peut inciter le patient à interroger son infirmière de liaison ou son oncologue. Il arrive aussi que les patients soient fatigués ou n’aient plus le courage de faire certains soins. Dans ce cas, l’infirmière peut penser à hydrater la peau après une aide à la toilette le cas échéant. Elle peut aussi impliquer les proches, notamment pour traiter les zones difficilement accessibles comme le dos.
Y a-t-il des sujets tabous ?
Ça arrive. C’est le cas par exemple des sécheresses vaginales qui ne sont pas suffisamment abordées par les oncologues alors que ça concerne toutes les patientes atteintes d’un cancer des ovaires ou du sein. J’ai travaillé avec une oncologue qui abordait d’emblée le sujet en précisant que le vagin étant aussi une muqueuse, les traitements pouvaient avoir des effets à ce niveau, comme une sécheresse vaginale. Aborder les questions intimes aide les patients à exprimer les difficultés rencontrées. Après plusieurs rechutes de son cancer, une patiente m’a dit en consultation qu’elle n’allait « pas bien du tout ». J’ai tout de suite pensé à une nouvelle rechute alors qu’en fait, elle souffrait d’une mycose vaginale dont elle n’avait parlé à personne. Je l’ai rassurée en lui expliquant qu’il existait des traitements, qu’on allait voir ça avec le médecin et qu’à la prochaine consultation cet effet secondaire serait guéri. Le plus étonnant, c’était les répercussions de ce symptôme qui la préoccupait constamment au point de parfois l’empêcher de dormir.
La prévention est-elle importante en la matière ?
Oui, car si les effets indésirables ne sont pas suffisamment pris en charge dès le départ, l’oncologue peut être amené à diminuer ou arrêter le traitement, ce qui diminue les chances de guérison. Certains patients vont supporter le plus possible ces effets pour ne pas interrompre le traitement. Dans d’autres cas, le patient, qui n’a pas été averti du risque d’effets secondaires et de leur possible résolution, estime qu’il doit les supporter car le traitement peut lui sauver la vie, et consulte quand les atteintes sont très avancées et difficiles à traiter. Ce type de malentendu doit être repéré et corrigé le plus tôt possible.
Vous avez écrit un ouvrage sur ces toxicités. Ne sont-elles pas suffisamment prises en charge ?
Comme l’ensemble des soins de support, les soins dits « esthétiques » sont de plus en plus intégrés à la prise en charge globale du patient. D’autant que les toxicités cutanées peuvent contrecarrer la tolérance à un traitement. Il y a encore des lacunes et j’ai voulu transmettre les connaissances acquises par mon expérience aux patients, mais aussi aux collègues qui veulent prodiguer des conseils. J’ai aussi conscience des limites financières de certains patients que je tenais à déculpabiliser en leur rappelant que le plus important est d’hydrater la peau, quitte à utiliser leurs produits habituels s’ils les supportent bien. En leur conseillant tout de même d’utiliser le produit le plus hydratant de la gamme.
L’Institut national du cancer (INCa) a établi une charte des obligations du vendeur de perruques afin de garantir un service de qualité aux patients. Sur son site Internet, l’Institut propose une carte interactive des perruquiers conventionnés par l’Assurance maladie (Cnam). Cette carte, non exhaustive, permet de faire une recherche par région puis par département. À consulter sur : www.e-cancer.fr (rubrique « Patients et proches » – « Qualité de vie » – « Magasins de perruques »).
Le port d’une perruque
Choisir une perruque avant le début de la chimiothérapie permet de l’harmoniser à la couleur et au type de cheveux naturels, de faire cette démarche quand la personne est encore « en forme » et de porter une perruque ajustée dès que le besoin s’en fait sentir. Plusieurs termes sont utilisés pour désigner une perruque tels que prothèse capillaire, chevelure de remplacement, chevelure d’appoint ou encore coiffure. Les perruques et accessoires sont pris en charge par l’Assurance maladie (voir le tableau 2 ci-contre).
Soin des cheveux
Agir délicatement sur les cheveux pendant le traitement en utilisant un shampooing doux et en massant doucement le cuir chevelu sans frotter. Limiter les lavages à deux par semaine. Tapoter les cheveux pour les sécher ou les laisser sécher à l’air libre. Utiliser une brosse à poils souples ou un peigne à grosses dents. Éviter les traitements agressifs (fer à friser ou plat, teintures, décolorants et autres produits chimiques). Une coupe courte rend la perte de cheveux moins visible et fait paraître les cheveux plus volumineux et plus épais. En cas de perte de cheveux importante, il est possible de se raser la tête avec un rasoir électrique plutôt qu’un rasoir à main.
Soin du cuir chevelu
Protéger le cuir chevelu du soleil avec un chapeau ou un foulard ou appliquer une crème solaire sur le crâne. En cas de cuir chevelu sensible, masser légèrement ou appliquer une lotion, utiliser une taie d’oreiller en satin qui réduit la friction entre la tête et l’oreiller, et améliore le confort durant le sommeil. Un shampooing antipelliculaire peut en outre atténuer les démangeaisons.
Source : Société canadienne du cancer, « Gérer les symptômes et les effets secondaires ». En ligne sur : bit.ly/3eFvGa7