Le président sortant de l’Ordre national des infirmiers (ONI), Patrick Chamboredon, a été réélu au mois d’avril pour un deuxième mandat. Tour d’horizon des dossiers chauds à venir, entre réécriture du décret infirmier et inscription de la profession au tableau.
Patrick Chamboredon : Nous avons plusieurs échéances à court et moyen termes. Mais le principal sujet, à très court terme, sera le début des travaux sur la réécriture du décret infirmier. Nous devrions avoir une première réunion avant l’été, mais les choses démarreront probablement vraiment en septembre, pour un aboutissement que l’on espère avant l’été 2022. C’est un travail d’ampleur, qui implique beaucoup de parties prenantes, mais j’espère qu’au vu de la crise, toutes auront bien compris qu’il faut arrêter les demimesures.
P. C. : Je pense qu’il faut qu’on adapte enfin le décret à ce qu’il se passe dans la réalité, pour que les infirmiers soient enfin sécurisés dans leur exercice. S’ils font des consultations, il faut arrêter de faire de circonvolutions oratoires et d’appeler cela des « examens cliniques » ou autre. Il faut dire qu’ils font des consultations, tout simplement. De même, on parle de vaccination depuis des années ; on sait que les infirmiers peuvent vacciner pour la quasitotalité des vaccins, et il faut que cela soit reconnu. C’est comme pour l’adaptation des posologies : nous avons obtenu une plus grande latitude en matière de prescription, et il faut qu’on parvienne à étoffer ces articles-là du décret.
P. C. : Oui, tout le monde dit que la prévention doit être au cœur du système de santé, mais il faut un acteur qui prenne le leadership sur cette problématique. Je pense que la réécriture du décret peut être un catalyseur en la matière, et qu’il doit nous permettre d’affirmer notre rôle sur des thématiques qui peuvent aller de l’hygiène des mains pour la prévention des infections saisonnières à la lutte contre l’obésité, par exemple.
P. C. : Je ne suis ni le maître des horloges ni des invitations. Ce que je sais, c’est que cela ne sert à rien de faire des textes si les gens ne se les approprient pas. Il faut donc que les travaux permettent de faire intervenir un grand nombre d’acteurs. De notre côté, nous allons repartir de notre livre blanc, des travaux que nous avons effectués dans le cadre du Ségur, et nous allons faire de nouvelles consultations, notamment via nos nouveaux élus qui ont été renouvelés par moitié. Je tiens à souligner que le dernier décret, qui date de 2002, est par certains aspects devenu illisible. Si l’on fait un décret pour vingt ans, il faudra savoir être à la fois ambitieux et souple pour pouvoir prévoir l’évolution dans le temps des pratiques et des techniques.
P. C. : Oui, ces 300 000 infirmiers qui ne sont pas inscrits, et qui sont indispensables, représentent un enjeu extrêmement important. Il s’agit pour nous de mettre en œuvre les recommandations du dernier rapport de la Cour des comptes. De nombreux sujets d’actualité nous démontrent l’intérêt qu’il y a pour la profession de s’inscrire dans le cadre du RPPS (Répertoire partagé des professionnels de santé, ndlr). Or, pour cela, nous avons besoin d’identifier qui fait quoi : pour la traçabilité des vaccins Covid, sur le passeport vaccinal, sur l’ensemble des sujets de prévention, l’inscription à l’Ordre, et donc au RPPS, permet d’améliorer la visibilité de ce que font les infirmiers.
P. C. : Nous avons obtenu l’assurance que des courriers étaient partis depuis le plus haut niveau gouvernemental afin de rappeler aux établissements les termes du décret de juillet 2018 (ce décret précise les modalités de régularisation de la situation des infirmiers non encore inscrits à l’Ordre, ndlr). Nous continuons par ailleurs nos efforts en direction des étudiants. C’est vrai que je ne peux pas décider de tout, mais je rappelle que nous sommes avant tout là pour les usagers : en cas de problème, ces derniers n’ont pas de recours possible vis-à-vis d’un infirmier qui ne serait pas inscrit à l’Ordre.
P. C. : Je pense tout d’abord que nous pouvons être fiers du travail mené avec l’ancien Conseil national. L’Ordre n’a jamais été aussi visible, et il n’y a jamais eu autant de textes : que l’on pense au décret de juillet 2018, au texte sur les infirmiers en pratique avancée, à la loi OTSS (Organisation et transformation du système de santé, votée en 2019, ndlr)… Nous avons maintenant renouvelé le Conseil par moitié, le bureau est lui aussi renouvelé à presque 50 % et nous sommes à parité. Je pense que cela va nous donner encore plus d’énergie, et donnera un Conseil national au moins aussi combatif qu’au cours des quatre dernières années.
L’élection du bureau du Conseil national de l’Ordre, qui a eu lieu le 9 avril dernier, est l’aboutissement d’un long processus électoral. D’abord, la profession dans son ensemble a été appelée à l’automne à renouveler ses conseillers départementaux. Ceux-ci ont à leur tour élu, fin janvier, des conseillers régionaux, et ce sont ces derniers qui étaient appelés entre fin mars et début avril à élire les conseillers nationaux. Enfin, lors de sa première réunion, le nouveau Conseil national a élu son nouveau bureau.
Depuis la publication en décembre 2006 de la loi portant création d’un Ordre national des infirmiers, ce dernier n’a pas cessé de susciter des débats passionnés au sein de la profession en général, et au sein des syndicats en particulier. Opposante historique à l’institution ordinale, la CGT n’a rien perdu de son mordant. « Renouvellement du bureau ou pas, l’Ordre n’apporte rien, estime Annick Picard, infirmière à Paris et conseillère fédérale à la Fédération Santé et action sociale du syndicat. D’ailleurs, il n’y a que 52 % de la profession qui y est inscrite, et il s’agit principalement de nouveaux diplômés obligés, pour ainsi dire, de le faire, ou de libéraux qui n’ont pas le choix s’ils veulent que leurs patients soient remboursés. » Et il ne faut pas parler à la cégétiste de l’élargissement du rôle infirmier que l’Ordre espère obtenir via la réécriture du décret infirmier. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas modifier ce décret, mais il faut se rappeler que ce texte est avant tout un garant juridique de ce que l’infirmier doit faire ou ne pas faire, prévient-elle. L’ouvrir n’importe comment, c’est prendre le risque d’engager la responsabilité individuelle du professionnel, et c’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer avec la pratique avancée. Ce qui nous manque pour prendre en charge les patients, ce n’est pas de réaliser des actes médicaux, mais des effectifs pour assurer la sécurité de soins. »
RASOIR À DOUBLE LAME
Mais l’Ordre est loin de n’avoir que des adversaires dans le monde syndical. Thierry Amouroux, par exemple, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), et par ailleurs président du conseil départemental de l’Ordre à Paris, semble aligné avec la vision de Patrick Chamboredon. « L’enjeu principal du travail de l’Ordre pour ces prochaines années se fera autour de la réécriture du décret infirmier, analyse-t-il. Il faut le réactualiser pour faire reconnaître nos compétences autonomes. » Pour lui, l’Ordre et les syndicats doivent donc travailler ensemble. « C’est un rasoir à double lame, sourit-il. L’Ordre fait avancer les choses de son côté et les syndicats font avancer les choses du leur, mais nous allons tous dans la même direction, à savoir que nous voulons tous que l’infirmier ait la place qu’il mérite en France, et qu’on rattrape des pays où la profession a davantage su étendre ses compétences propres. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le paysage syndical infirmier est riche… de la pluralité des opinions qu’on y trouve !