L'infirmière n° 009 du 01/06/2021

 

ÉDITO

Hélène Trappo  

Rédactrice en chef de L’INFIRMIÈR.E

Au moment où j’écris ces lignes, 19 mai exactement, je suis frappée par le débordement médiatique que suscite le déconfinement. Suivi en direct, heure par heure depuis les quatre coins de l’Hexagone. Comme s’il s’agissait d’une fête nationale, d’une commémoration historique ou que sais-je. La queue devant le zinc dès 7 h 30 du matin, retrouvailles avec son magasin préféré, son cinéma de quartier… Chacun y va de son couplet pour dire effectivement ce qui nous a manqué. L’euphorie est sans doute à la hauteur des frustrations engendrées par les longs mois de privations. Mais sans jouer les rabat-joie, elle ne peut pas faire oublier ceux pour qui la crise sanitaire a engendré les effets les plus délétères et/ou pour lesquels le déconfinement reste très relatif, voire anxiogène. Trop en faire friserait l’indécence, même. On pense bien sûr aux soignants toujours sur le pont et sur le qui-vive, aux malades non Covid qui subissent les retards de prise en charge, aux victimes économiques de la pandémie. On pense aussi beaucoup aux personnes âgées, en particulier celles qui vivent leurs vieux jours en Ehpad. Rappelons que Claire Hédon, la Défenseure des droits, n’a eu de cesse d’alerter sur les conséquences des mesures prises dans le cadre de la pandémie sur leurs droits fondamentaux. Le rapport de l’autorité administrative sorti début mai vient confirmer, chiffres à l’appui, l’« augmentation de viola tions de la liberté d’aller et venir des résidents ainsi que leur droit au maintien de liens familiaux ». Il fait état de nombreux exemples où le déconfinement est un leurre. Premières vaccinées, les personnes âgées ne sont pas, loin s’en faut, les premières bénéficiaires d’un progressif « retour à la normale ». Des collectifs de familles dénonçant les « Ehpadprisons » se sont d’ailleurs créés pour alerter sur ce que l’on peut qualifier d’abus de pouvoir. Pour autant, on aurait tort de généraliser, et il ne s’agit surtout pas de verser dans “l’Ehpad bashing”. Au sein de ces établissements, ce qui manque bien souvent ce ne sont pas les valeurs et le sens éthique(1) – bien-traitance, individualisation de la prise en charge… – mais les moyens. La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les défauts d’un système qui, par ses dysfonctionnements, oblige de manière impérieuse à une remise en question. Pas seulement des établissements mais également de la société civile. Elle questionne sur la manière dont on considère nos « vieux », le crédit que l’on accorde à leur parole et leurs souhaits, la place que nous leur accordons dans la cité et qu’ils veulent occuper.

Puisse cette pandémie donner un coup d’accélérateur à la mise en œuvre d’une politique attendue en faveur du grand âge, orientée notamment vers le maintien à domicile le plus longtemps possible, et à la recherche d’alternatives au modèle actuel. Comme cette proposition de transformer les Ehpad en maisons gériatriques de proximité, qui figurait déjà dans le rapport Libault, ou de les faire évoluer en « plateformes de ressources ». Les idées sont là, y a plus qu’à…

1. Lire l’interview de Fabrice Gzil, membre du Comité consultatif d’éthique sur espaceinfimier.fr, 19/05