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JURIDIQUE
Droit disciplinaire, organisation du travail, modification de fonction, voici trois décisions de justice dans différents domaines, intéressant les infirmières*.
La durée quotidienne de travail continu dans les établissements hospitaliers ne peut, par dérogation, atteindre 12 heures que si les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence (Cour administrative d’appel de Douai, 2e chambre, 2 février 2021, n° 19DA01270).
Faits. Par une décision du 14 mars 2016, le directeur d’établissement a fixé à 12 heures la durée quotidienne de travail au sein du service infirmier des cinq unités de réanimation, de l’unité d’accueil et de déchocage et de l’unité de surveillance continue toxicologique du pôle réanimation, après avoir recueilli un avis favorable du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le 8 octobre 2015, et un avis défavorable du comité technique d’établissement, le 11 janvier 2016. Les syndicats ont contesté cette décision.
Droit applicable. En application de l’article 7 du décret n° 2002-09 du 4 janvier 2002, la durée quotidienne de travail continu dans les établissements hospitaliers ne peut, par dérogation, atteindre 12 heures que si les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence.
Analyse. Le directeur a dérogé à la durée quotidienne du travail en la portant à 12 heures pour les infirmières de réanimation, de l’unité d’accueil et de déchocage, et de l’unité de surveillance continue toxicologique du pôle réanimation pour prendre en compte les contraintes de continuité propres à ces services. Cette réorganisation des cycles de travail doit permettre d’assurer un meilleur suivi des patients en impliquant des interventions plus longues à leur chevet, une meilleure collaboration entre infirmières et médecins, et une limitation de la fréquence des transmissions. Cette nouvelle organisation minimisera les risques d’infection en limitant le nombre de personnes intervenant chaque jour auprès de patients ayant subi des opérations chirurgicales. Indépendamment de l’adhésion majoritaire des personnels en cause évoquée par le centre hospitalier régional universitaire de Lille, ces justifications suffisent à regarder la décision attaquée comme ayant été prise en raison des contraintes de continuité de service public exigeant en permanence une durée quotidienne de travail atteignant le maximum légal dérogatoire.
Une infirmière recrutée comme cadre de santé peut, après un arrêt pour maladie simple, être affectée à un poste d’infirmière si l’établissement justifie cette évolution par l’intérêt du service (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2e chambre, 23 février 2021, n° 19BX02251).
Faits. Une infirmière a été recrutée le 23 juin 2014 par un Ehpad en qualité de cadre de santé. Placée en congé de maladie ordinaire du 17 décembre 2015 au 22 mars 2016, elle a été réaffectée, par une décision du 24 mars 2016, à un poste d’infirmière dans les services de soins. Elle a à nouveau été en congé de maladie ordinaire du 25 mars 2016 au 12 février 2017 puis autorisée, par une décision du 13 février 2017, à exercer ses fonctions à temps partiel pour raison thérapeutique pour une durée de trois mois. Elle conteste ces deux décisions.
Décision du 24 mars 2016. Elle soutient que cette décision mettant un terme à ses fonctions de cadre de santé pour l’affecter à un poste d’infirmière est illégale, dès lors qu’un tel changement n’était pas justifié par l’intérêt du service. Mais de nombreuses pièces (comptes-rendus de séances du CHSCT, du comité technique d’établissement et de différentes réunions du personnel) établissent que l’intéressée rencontrait d’importantes difficultés dans l’exercice de ses fonctions de cadre de santé. Des problèmes de management et des difficultés récurrentes dans l’organisation du planning des agents nuisaient au bon fonctionnement du service, l’intéressée ne parvenant pas à les corriger. Dans ces conditions, la décision du 24 mars 2016 était justifiée par l’intérêt du service.
Décision du 13 février 2017. Le médecin du travail, consulté pour apprécier l’aptitude de la soignante à l’issue de son congé maladie, a évalué, après un entretien qui a duré près d’une heure et demie, l’aptitude à reprendre les fonctions d’infirmière en soins. La décision du 13 février 2017 autorisant la soignante à exercer à temps partiel pour raison thérapeutique est donc justifiée.
Des faits de harcèlement sexuel constituent une faute disciplinaire, mais pour apprécier la gravité de la sanction, le directeur doit tenir compte du contexte et de mauvaises habitudes du service (Cour administrative d’appel de Nancy, 1re chambre, 4 février 2021, n° 18NC01983).
Faits. Un infirmier, depuis 1986, a été recruté à compter du 1er octobre 2016 par un centre hospitalier spécialisé en tant que cadre de santé dans un service psychiatrique. Après avoir été suspendu de ses fonctions le 25 novembre 2016 par une décision du directeur, le 11 avril 2017, l’agent a été exclu de ses fonctions pour deux ans, au motif qu’il avait eu des propos et des attitudes constitutifs d’un harcèlement sexuel : d’une part, il a tenu, à l’égard de certaines collègues féminines et de deux étudiantes, des propos « à caractère sexuel déplacés, répétés, corroborés et systématiques » et ce, « en dépit des demandes réitérées de les voir cesser » ; d’autre part, il a eu « des attitudes menaçantes et des paroles, dont la teneur était parfaitement étrangère au service, à l’égard de personnels féminins lors de la fixation de leur planning, dans le seul but d’exercer une pression morale à leur endroit ».
Droit applicable. En application de l’article 6ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et selon la jurisprudence, sont constitutifs de harcèlement sexuel les propos, ou comportements, à connotation sexuelle répétés ou même, lorsqu’ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l’occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu’ils sont le fait d’un supérieur hiérarchique ou d’une personne qu’elle pense susceptible d’avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer une situation intimidante, hostile ou offensante. Il incombe à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’apporter la preuve de l’exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public.
Analyse. Existence de la faute. Il ressort des entretiens effectués dans le cadre de l’enquête administrative que plusieurs membres du personnel féminin ont reconnu ne pas avoir été les témoins directs des faits reprochés et s’être contentés de rapporter les rumeurs à propos du mis en cause. Toutefois, ont été réunis des témoignages concordants d’agents féminins ayant fait l’objet ou ayant été témoins directs des propos et attitudes du cadre de santé. Celui-ci s’exprimait fréquemment de façon vulgaire, faisait preuve d’un humour systématiquement salace, avait des gestes déplacés et employait des termes à connotation sexuelle ou exprimant sa misogynie. Par exemple, il a appelé de ses vœux le retour au « droit de cuissage », et a touché les cheveux d’une étudiante, lui reprochant de s’être lissé les cheveux sans lui demander sa permission, évoquant à cette occasion ses poils pubiens. Dès lors, la matérialité des faits reprochés à l’égard du personnel féminin du service doit être regardée comme établie. Les propos et attitudes dénoncés, à connotation sexuelle, présentaient un caractère répétitif et correspondaient à une manière habituelle de s’exprimer à l’égard du personnel féminin et tout spécialement à l’égard d’une aide médico-administrative, de deux adjointes administratives et d’une infirmière. Ces comportements, non désirés par les agents qui en étaient les destinataires, comme en témoigne le malaise qu’ils ont généré dans le service, étaient de nature à porter atteinte à la dignité des personnels concernés ou à créer une situation intimidante ou offensante. Il est indifférent que ces propos aient été tenus dans un contexte de laisser-aller généralisé au sein du service, où les attitudes à caractère sexuel étaient fréquents. De telle sorte, ces faits sont constitutifs de harcèlement sexuel, au sens des dispositions de l’article 6ter de la loi du 13 juillet 1983.
Gravité de la sanction. Le statut de l’agent, cadre de santé, aurait dû lui commander de faire preuve d’un comportement irréprochable, en particulier à l’égard du personnel féminin du service. Toutefois, l’habitude avait été prise de tenir des propos à connotation sexuelle dans le service, antérieurement à son arrivée. En outre, son comportement n’avait jamais posé de problème avant son arrivée récente dans le service. De plus, la hiérarchie ne l’avait pas mis en garde officiellement et par écrit avant d’engager à son encontre une procédure disciplinaire, et n’avait pas tenté de remédier aux pratiques délétères qui avaient déjà cours avant l’arrivée de cet agent dans le service. Par suite, la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux années présente un caractère disproportionné.
* Source : Objectif Soins & Management , n° 280, avril-mai 2021