EXERCICE
JE DÉCRYPTE
PROFESSION
À l’automne devrait s’ouvrir la révision du décret infirmier, lequel doit octroyer de nouveaux actes à la profession. Si ce chantier semble faire consensus dans le métier, il suscite aussi certaines interrogations. La preuve par deux.
Marie Petrus-Krupsky : Avant de répondre à cette question, il convient de s’interroger sur le moment où intervient cette révision. Aujourd’hui, les soignants vont mal, et cela date de bien avant la crise sanitaire. De plus, nous allons entrer dans une phase électorale, ce qui n’est pas le meilleur contexte pour une révision sereine. Par ailleurs, j’observe que ceux qui seront autour de la table (Ordre infirmier, ministère de la Santé, représentants des médecins, des employeurs, etc.) ne sont pas forcément les plus proches du terrain. Je me demande donc qui portera la parole des infirmières. Tout cela me fait craindre une révision à la va-vite.
M. P.-K. : Il faut d’abord penser que si l’on revoit les rôles, missions et tâches des infirmières, cela aura des implications sur les autres professions. Si le diagnostic infirmier et la possibilité de prescrire sont renforcés, par exemple, il faudra repenser le couple médecin-infirmière, réinterroger le rôle propre et le rôle prescrit… D’autres modifications pourraient avoir des implications sur le binôme infirmière-aide-soignante. Il faut donc déterminer les contours des nouvelles responsabilités sans que personne ne se trouve lésé.
M. P.-K. : Je pense qu’il faut notamment mener une vraie réflexion sur les sciences infirmières, trop souvent réduites à une sous-branche de la recherche médicale. Je pense également que la révision du décret peut permettre d’aider à résoudre une certaine cacophonie que l’on observe dans le groupe professionnel infirmier. Celui-ci est très hétérogène en termes de pratiques, de modes et de lieux d’exercice, de rémunération… La révision du décret pourrait nous aider à trouver des dénominateurs communs. Il y a aussi une réflexion à mener sur les raisons qui poussent tant d’infirmières à vouloir quitter la profession : il faut réfléchir aux évolutions de carrière, aux passerelles vers d’autres métiers paramédicaux, prendre en compte les nouveaux modes d’exercice comme les MSP et les CPTS…
M. P.-K. : Exactement. L’acte, pour moi, c’est ce qui arrive à la fin, une fois que tout le reste a été résolu, que l’on s’est penché sur l’identité infirmière, sur les structures dans lesquelles nous évoluons, sur l’adéquation de nos missions avec les besoins de santé… Une fois qu’on aura effectué tout ce travail, alors on pourra parler de diagnostic et de prescription.
M. P.-K. : J’entends effectivement très souvent faire référence au leadership infirmier tel qu’il s’est notamment développé au Québec. C’est un exemple certes intéressant, mais les pays que l’on cite n’ont ni notre histoire ni notre culture, et ils ont développé le leadership infirmier depuis vingt-cinq ans. Pour les rattraper, il nous faudrait développer les sciences infirmières, un domaine dans lequel nous avons un grand déficit.
M. P.-K. : Tout à fait. Le travail sur le décret permettra certaines avancées, réaffirmera certaines compétences en termes de prescription, et entérinera certaines choses qui se font déjà sur le terrain. Mais il en faudra plus pour répondre aux problèmes profonds de la profession.
Annick Picard : Je tiens à préciser qu’à ma connaissance, nous n’avons pas encore été convoqués par le ministère à ce sujet, et n’avons pour l’instant pas d’informations sur les intentions des autorités. Ce qu’on peut toutefois dire, c’est qu’une révision de ce décret, qui date de 2004, semble nécessaire parce que le texte a vieilli. Il faut bien comprendre que le décret est un garant juridique : si l’on nous demande de réaliser un acte qui n’y figure pas, on peut refuser et juridiquement opposer ce texte. Or, aujourd’hui, nous sommes en insécurité.
Le problème, c’est que le ministère de la Santé agit toujours avec 24 mois de retard. Par exemple, nous ne pouvons pas prescrire d’antiseptique dans le traitement des plaies. Or, nous le faisons déjà, quitte à régulariser avec un médecin après coup. Mais en cas de problème, nous sommes en danger, et non couverts par nos directions. De plus, ce genre de pratique nécessite d’avoir des équipes très stables, ce qui, bien souvent, est loin d’être le cas.
A. P. : On peut aussi imaginer de transposer dans la pratique certains protocoles de coopération, même si cela nécessite d’être étudié de près. On va sûrement nous proposer aussi d’élargir nos compétences en termes de vaccination. Mais gare aux comportements électoralistes : le droit de vacciner, par exemple, ne doit pas être l’équivalent du passage au grade licence en 2009, qui n’était qu’un argument de campagne pour Nicolas Sarkozy.
A. P. : Libérer du temps médical, c’est ce que le ministère cherche à faire faire aux infirmières depuis des années avec les protocoles de coopération, la pratique avancée… C’est vrai que c’est valorisant pour la profession, mais il faudrait que cette valorisation se traduise aussi au niveau de la rémunération. Or, ce qui a été octroyé par le Ségur est insuffisant et largement inférieur au minimum de 300 euros d’augmentation que nous revendiquions. Sans compter que les primes ne se sont pas appliquées à tout le monde. C’est pourquoi nous militons non pas pour des actes en plus, mais pour une véritable ouverture du numerus clausus médical. Mais il n’y a pas que les médecins : il faut aussi augmenter le nombre d’infirmières. Il en manque 400 à l’AP-HP, par exemple, et tant que nous serons exsangues, tant qu’on nous demandera de revenir sur nos repos, je pense que les discussions sur les actes supplémentaires seront un peu stériles.
A. P. : Plus d’actes, pourquoi pas, mais il faut des personnels suffisamment nombreux et suffisamment formés pour les exécuter. Et il faut se souvenir que l’infirmière n’est pas une faiseuse d’actes. Sa mission est de prendre en charge la personne dans sa globalité. Tenir pendant six heures la main de quelqu’un qui va mourir, ce n’est pas un acte, ce n’est pas coté dans la T2A (tarification à l’activité, NDLR), mais cela fait partie de notre rôle propre. Nous voulons donc bien effectuer plus d’actes, mais nous voulons avoir le temps de les réaliser correctement, et avoir le temps de les expliquer. Ce qui implique des recrutements.
Fondement de l’exercice de la profession, la révision du décret infirmier, qui date de 2004, est vue comme indispensable par de nombreuses voix - à commencer par celle de l’Ordre national des infirmiers (ONI) - qui demandent un accroissement des compétences et responsabilités des infirmières. Or, le Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP), instance placée auprès du ministère de la Santé pour réfléchir à l’exercice des métiers paramédicaux, a confirmé fin avril dernier que des travaux allaient être entamés sur le sujet. Dans notre dernier numéro, Patrick Chamboredon, président de l’ONI, annonçait un début de chantier pour septembre, et espérait aboutir à un texte modernisé avant l’été 2022. Dans sa ligne de mire : de nouvelles prérogatives et de nouveaux actes pour la profession, notamment en matière de consultation, de vaccination ou encore d’adaptation des posologies.