SANTÉ UNIVERSITAIRE
J’EXPLORE
PRATIQUE INNOVANTE
Le centre de santé du campus de Bordeaux appuie ses actions de promotion de la santé sur une collaboration avec des étudiants-ressources. Une façon de garder le contact avec une communauté en perpétuelle évolution.
Dans les locaux du Hub Covid de l’université de Bordeaux, Éléonore Pinto passe une série de coups de fil aux étudiants dont le test du matin est positif. Il s’agit de prévenir toute apparition de cluster. L’étudiante, qui a obtenu une licence en mathématiques appliquées et suit un master d’ergonomie, s’assure que les dix jours d’isolement qui attendent l’étudiant se fassent dans les meilleures conditions. A-t-il un médecin traitant ? A-t-il des personnes autour de lui pour lui faire des courses ? Comment se sent-il physiquement et moralement ?
Outre la maîtrise de l’épidémie, la question de la santé mentale est omniprésente. « Cela a été une grande question cette année, souligne l’étudiante. La plupart des personnes que j’ai au téléphone sont dans de bonnes conditions, certaines sont même reparties dans leur famille pour la période de quarantaine. Mais quelques-unes vont mal. J’essaie alors de comprendre ce qui se passe pour elles et de les rediriger au mieux. Au besoin, je demande à l’une des infirmières présente avec moi si elle peut rappeler la personne. » Éléonore fait partie des étudiants qui travaillent pour l’université depuis le début de l’épidémie. Avec la crise de la Covid, les demandes de consultation en santé mentale ont augmenté de 30 % sur le campus bordelais. Les étudiants s’adressent pour cela aux infirmières de l’Espace santé étudiants (ESE), qui assurent en première ligne un accueil-écoute. Elles analysent finement les besoins des étudiants et les orientent dans les délais les plus courts vers le professionnel adéquat du centre ou du centre hospitalier psychiatrique partenaire qui assure des consultations à l’ESE. Pour Florence Touchard, l’une des douze infirmières du centre de santé, « dans l’ensemble, les étudiants vont bien. Mais nous ne devons pas passer à côté de ceux qui décompensent. Nous portons une attention particulière aux décohabitants, qui quittent leur famille, primo arrivants qui découvrent le campus. Une vulnérabilité d’autant plus accrue quand ils viennent d’un autre pays. »
La santé mentale est l’un des axes prioritaires du projet de santé de l’ESE, avec la santé sexuelle, l’accès aux soins et la prévention des addictions. Les professionnels y travaillent en partenariat avec des étudiants relais santé (ERS) et ceux en contrat avec l’université. « Le fait d’avoir des étudiants comme premier contact permet de fluidifier les échanges, car on se livre plus facilement à un pair. Cela permet un maillage plus serré, plus efficace », témoigne la soignante. Ce principe de communication privilégiée est également mis en avant sur le campus avec la mise en place de secouristes en santé mentale (lire l’encadré « Formés aux troubles psychiques » page ci-contre) depuis l’an dernier. Les infirmières sont, quant à elles, formées aux thérapies comportementales et cognitives ainsi qu’à l’entretien motivationnel.
Le service de santé universitaire de Bordeaux, qui regroupe une cinquantaine de salariés et a signé des partenariats avec les grands établissements d’enseignement supérieur voisins, est l’un des plus importants de France puisqu’il couvre un bassin de 65 000 étudiants. En contact régulier avec les associations étudiantes du campus, les infirmières détectent les nouveaux besoins de la population. Une chargée de mission répond aux appels à projets permettant à l’ESE d’étoffer ses missions et de s’adapter aux demandes des étudiants. Ainsi, depuis deux ans, des ateliers de gestion du stress leur sont proposés. Edwige Jarnac, infirmière spécialisée en santé mentale au sein de l’ESE, anime ces rencontres hebdomadaires. Elle mêle aux exercices psychocorporels, comme la relaxation ou la méditation de pleine conscience, des apports théoriques. « Ces outils permettent de libérer la parole, explique-t-elle. L’idée, c’est de prendre conscience que l’on a en soi des ressources, et d’inciter les autres à faire de même, en empruntant les voies qui conviennent le mieux. Nous sommes là pour délivrer des informations et proposer des exercices. »
La dynamique et le soutien du groupe sont fondamentaux. En progressant dans leur recherche, les étudiants découvrent des outils pour améliorer leur bien-être. Il peut s’agir de retrouver le goût de la danse, écouter de la musique ou faire du sport (lire le témoignage p. 68). Le fonctionnement en groupe, fondé sur la bienveillance, permet à chaque participant de comprendre qu’il n’est pas le seul à accorder une part trop importante au stress dans sa vie. Ceux qui le souhaitent peuvent prolonger les rencontres collectives par des entretiens individuels.
Autre champ d’action de l’ESE, la promotion de la santé mentale des étudiants, réalisée en lien avec les étudiants relais santé du campus. Bordeaux fait partie des premières universités françaises à avoir eu recours à des pairs pour la promotion de la santé et la réduction des comportements à risque. Un dispositif qui figure dans le plan Mildeca 2013-2017 (lire l’encadré ci-dessous). Intermédiaires précieux, la vingtaine d’ERS se répartissent en trois pôles : Soirées, Sexualités et Bien-être. Recrutés pour un travail annuel de 110 heures, ils reçoivent une formation de deux jours en fonction de leur spécialisation. L’axe bien-être relève de la santé mentale, présentée de manière positive et élargie. « La santé ce n’est pas que l’hôpital, que la santé physique. Il y a le mental, le social, on doit inclure pas mal de choses », souligne Diana Arshakyan, membre de l’équipe Sexualités.
L’enjeu est de trouver les messages adaptés à la population ciblée. Pour Edwige Jarnac, qui travaille également avec les étudiants relais pour la promotion de la santé mentale, savoir remettre en question ses représentations de soignante est fondamental : « Si l’on va vers quelqu’un qui a des habitudes et des croyances très ancrées et qu’on lui plaque un savoir, une injonction, cela n’a pas d’effet. Cela fonctionne en se fondant sur l’entretien motivationnel, en partant de l’étudiant pour arriver à modifier ses habitudes de vie, ses croyances. Un travail qui nécessite déjà un repositionnement du professionnel. »
La manière de diffuser des messages et de solliciter les étudiants pour les impliquer dans leur santé s’élabore avec leur concours. Créativité et esprit léger sont de rigueur pour aborder des sujets difficiles. « Ils nous apportent de la matière pour communiquer sur la santé, sans que cela soit trop théorique. Nous transmettons des choses que les étudiants peuvent vivre de façon un peu ludique. Nous, IDE, nous avons tendance à faire plus cours magistral, à plomber un peu les choses », s’amuse Florence Touchard.
Encadrés par une coordinatrice et par les professionnelles de l’ESE, les ERS diffusent des informations scientifiques, mettent en ligne des tutos et des podcasts, et organisent des événements. Les groupes de travail de l’ESE utilisent les réseaux sociaux, selon l’usage qu’en font les 18-25 ans. Réservé aux annonces officielles et aux échanges de cours, Facebook fait figure de classique tandis que les échanges plus personnels se tissent sur Instagram. Le compte de l’ESE affiche 2 500 abonnés. Les ERS y lancent des appels à témoignage pour leurs podcasts, y testent leurs slogans. Véritables tables rondes, les podcasts de l’ESE sont enregistrés dans des conditions professionnelles, en partenariat avec la radio du campus. Ils abordent des thèmes comme l’estime de soi, la dépression et les relations toxiques. Les étudiants animent l’émission qu’ils ont construite avec les professionnelles de l’espace sage-femme, infirmière ou psychologue. « Le travail préparatoire permet d’éviter de dire des choses inadaptées, décrit Edwige Jarnac. J’ai été étonnée de constater qu’ils en connaissaient déjà beaucoup sur le sujet. » Des étudiants invités pendant les enregistrements témoignent de leur expérience personnelle.
Autre forme d’action : chaque année l’ESE organise la semaine de la santé mentale, en partenariat avec le centre hospitalier Charles Perrens. Depuis trois ans, un humoriste monte sur les planches d’un théâtre bordelais pour improviser autour de la santé mentale. L’occasion d’échanger avec des professionnels de santé et les étudiants relais santé présents lors de la soirée.
Les ERS sont aussi sollicités pour faire remonter aux soignantes ce que vivent les étudiants. Selon Florence Touchard, « ils nous rapportent des pratiques, des habitudes qu’on ne peut pas connaître. Ils nous permettent de décoder ce que les étudiants nous confient en entretien. Par exemple, pour la consommation de substances en soirée. En ce moment le protoxyde d’azote, ces petites capsules de gaz qui ont un effet éphémère, est très en vogue. Avec les informations que me donnent les ERS, cela permet de contextualiser, de mieux cerner s’il s’agit d’une pratique exagérée ou si ce que rapporte l’étudiant est biaisé. » Cet apport est d’autant plus important que les habitudes changent rapidement. Environ tous les cinq ans, une nouvelle génération, avec de nouveaux codes, arrive à l’université.
Ce regard étudiant est aussi fondamental pour aborder la vie sexuelle des jeunes du campus. Chaque année, un festival, Sex On The Campus, est organisé. Les thèmes sont choisis en fonction des besoins exprimés par les étudiants. Pour Diana Arshakyan, « les plus adultes que nous sommes ne se rendent pas forcément compte de ce que l’on vit, sur un sujet aussi délicat que la sexualité. Ça peut être difficile d’aller vers des professionnels de santé, ou même vers les parents. Ce qui est important en ce moment pour les étudiants, c’est le consentement, l’inceste, les agressions ou les violences sexuelles, des sujets qui font mal. Plus on informe, plus la parole se libérera. » La promotion de la santé passe par une approche légère, pour parler de sujets profonds.
Depuis novembre 2020, 220 étudiants du campus bordelais ont été formés aux premiers secours en santé mentale. Cette initiative est pilotée depuis 2019 par le ministère de la Santé, qui a choisi quatre sites pour implanter ce programme(1). Florence Touchard fait partie des professionnelles de l’ESE assurant cette formation, calquée sur celle des premiers secours physiques et qui se déroule sur deux jours. Chaque demi-journée est consacrée à une catégorie de troubles : dépressifs, anxieux, psychotiques et liés à l’utilisation de substances. Il s’agit d’apprendre à les repérer, à en comprendre les mécanismes et à adopter les attitudes adaptées. Les étudiants qui ont suivi ces formations assurent pour 80 % une fonction auprès de leurs pairs. Il peut s’agir de tuteurs, de chargés de TD, de délégués de promotion, d’ERS ou d’étudiants travaillant pour l’université, pour les guichets d’accueil ou pour le Hub Covid. Les 20 % restants sont des étudiants en filière classique ayant entendu parler du secourisme en santé mentale et désireux de s’y former. Un premier bilan a permis d’établir que cette formation a été utile aux étudiants pour faire face aux situations d’anxiété et de dépression, avec d’éventuelles crises suicidaires auxquelles ils sont confrontés. Pour l’année prochaine, l’ESE envisage de former cinq fois plus d’étudiants.
1. D’origine australienne et dont l’association Premiers secours en santé mentale (PSSM) France est la gestionnaire officielle. https://pssmfrance.fr
Le dispositif des étudiants relais santé à l’université repose sur le principe de l’éducation par les pairs, comme une alternative aux stratégies traditionnelles d’éducation à la santé. Le glossaire des termes techniques en santé publique de la Commission européenne donne cette définition : « Cette approche éducationnelle fait appel à des pairs (personnes du même âge, de même contexte social, fonction, éducation ou expérience) pour donner de l’information et mettre en avant des types de comportement et de valeur. » En l’occurrence, on mise sur le fait « que les messages de prévention sont mieux écoutés et réceptionnés par les étudiants s’ils sont émis par des étudiants, et ce pour plusieurs raisons : la proximité peut susciter un regain d’intérêt, éviter le sentiment d’injonction, l’asymétrie et le regard moralisateur (projeté ou ressenti) entre le personnel médical et l’étudiant, et une efficacité plus grande en termes de communication (les étudiants sachant mieux que quiconque quel langage et quels instruments peuvent avoir le plus d’impact sur leurs pairs) », résume un document d’évaluation pour la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.
Tatiana, étudiante en master 1 d’économie internationale à Bordeaux, a eu recours à l’atelier de gestion du stress proposé par l’Espace santé étudiant.
« Au début de ma L3, je ressentais beaucoup de stress. Le médecin qui me suit à l’ESE m’a conseillé les ateliers de gestion du stress. Lors de la première séance, j’ai failli faire une crise de panique. J’ai eu une prise de conscience soudaine de mon corps et j’ai eu peur de la réaction des autres. J’ai bénéficié de séances individuelles et une fois prête, j’ai pu retrouver le groupe. Grâce à cet atelier, j’ai installé la méditation dans ma vie quotidienne. Quand on est pris par les études, on oublie que notre corps est là. Je ne faisais que réviser, aller à la bibliothèque et dormir. On s’isole, on oublie ce qu’on aimait faire avant. C’est important de se ménager une heure par semaine pour se reconnecter à son corps. Avec des personnes partageant la même expérience, on se sent protégé. C’est plus facile de trouver des solutions et de changer son mode de vie. Grâce aux ateliers, j’ai compris qu’il était important de me sentir bien moi-même avant de me mettre à étudier. Il faut prendre le temps de sortir. J’ai pris l’habitude de marcher. En entretenant ma vie personnelle, je me donne toutes les chances pour réussir mes études. Et je retourne régulièrement aux ateliers, notamment en période d’examens. »