FOCUS SUR LES FORMES GALÉNIQUES ORALES - Ma revue n° 010 du 01/07/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 010 du 01/07/2021

 

JE ME FORME

PHARMACO

Amélie Dufaÿ Wojcicki*   Balthazar Toussaint**  


*Département Recherche et développement pharmaceutique, Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
**pharmacien et Dr en biopharmacie, responsable de l’unité Recherche et développement galénique de l’Ageps
***Département Recherche et développement pharmaceutique, Ageps, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Université de Paris, CNRS, Inserm, UTCBS, Chemical and Biological Technologies for Health Group (utcbs.cnrs.fr), faculté de pharmacie, 4 avenue de l’Observatoire, 75006 Paris
****pharmacien assistant hospitalier universitaire

Une bonne connaissance des formes galéniques destinées à la voie orale permet à l’infirmière, en cas de difficultés avec un patient pour l’administration, d’échanger avec le médecin et participer à une meilleure prise en charge.

Les différentes formes solides et liquides existantes présentent des avantages et des inconvénients pouvant satisfaire une situation clinique ou, à l’inverse, mener à une mauvaise observance du traitement. Certaines difficultés d’administration rencontrées par les infirmières, telles que les troubles de la déglutition ou le refus de prise, peuvent être surmontées par la prescription de médicaments présentés sous une autre forme. Ainsi, la soignante pourra pleinement participer à l’amélioration des soins en échangeant avec le médecin et/ou le pharmacien et en recherchant des solutions, qu’elle aura le plus souvent elle-même identifiées, tout en évitant des pièges ou mésusages.

INTRODUCTION

La forme galénique d’un médicament permet d’administrer une substance active thérapeutique à un patient. Les différentes formes disponibles sont étudiées dans le but d’optimiser l’efficacité du traitement et de diminuer les effets secondaires afin de répondre à la fois au besoin du patient et au contexte de soins. Ainsi, la forme galénique retenue est adaptée à :

→ la situation clinique (prise en urgence ou régulière, paramètres « patient » impactant tels que l’âge, le mode de vie, les pathologies associées, les excipients contre-indiqués comme le sucre) ;

→ la voie d’administration ;

→ la bonne activité pharmacologique de la substance active (propriétés physicochimiques et pharmacocinétiques).

La galénique tient compte des différentes barrières à franchir pour réussir l’absorption de la substance active dans l’organisme après administration. Les formes dites « orales », administrables par la bouche (en per os), sont les plus couramment utilisées. Selon le Vidal, elles représentent 80 % des formes commercialisées. Elles assurent un confort et une praticité d’administration inégalables par les formes injectables, bien qu’il y ait un délai de passage dans la circulation sanguine dans la mesure où elles vont devoir passer l’étape d’absorption via le tractus gastro-intestinal. Une substance active administrée par voie orale traverse plusieurs phases entre l’administration et le passage dans la circulation sanguine générale. En effet, en prenant l’exemple d’un comprimé simple et d’une substance active stable, après la prise :

→ le comprimé se désagrège ;

→ la substance va généralement être solubilisée dans le liquide gastrique ;

→ la substance solubilisée passe de l’estomac à l’intestin lors de la vidange gastrique ;

→ la substance passe ensuite de l’intestin au foie, via la veine porte, par un mécanisme d’absorption où elle peut potentiellement être métabolisée au niveau hépatique (= effet de premier passage hépatique) ;

→ elle est libérée dans la circulation sanguine générale et distribuée aux organes ;

→ elle est éliminée par voie urinaire ou biliaire (sous forme inchangée ou de métabolite).

En pharmacocinétique, discipline qui traite du devenir des médicaments, ce circuit est repris par l’acronyme « ADME », qui signifie Absorption-Distribution-Métabolisation-Élimination. Le choix de la forme galénique pour une administration orale permet notamment d’influer sur l’absorption(1), également de pallier les instabilités d’une molécule active (en milieu acide au niveau de l’estomac, par exemple) ou des propriétés pharmacocinétiques défavorables (effet de premier passage hépatique important, demi-vie d’élimination très courte de la substance active). Ainsi, l’utilisation de formes liquides ou solides effervescentes réduit les délais liés à la désagrégation et à la solubilisation de la substance active, accélérant par conséquent son absorption. Le recours aux formes galéniques solides à libération contrôlée permet de modifier le lieu d’absorption intestinale (forme retard, dite LR) ou de contrôler la vitesse de libération de la substance active contenue dans un comprimé (forme à libération immédiate ; forme à libération prolongée, ou LP).

Il existe deux grandes catégories de formes orales : les formes liquides et les formes solides, dites sèches.

LES FORMES LIQUIDES

Les sirops, solutions ou suspensions buvables sont, d’après le Vidal, les mieux adaptés pour les enfants car ils sont plus faciles à avaler et peuvent permettre une adaptation des doses en fonction du poids du patient. Ils peuvent être aromatisés et édulcorés pour être mieux acceptés. De plus, des dispositifs de prélèvement et d’ajustement posologique (type cuillère ou seringue doseuse) limitent le risque d’imprécision. Toutefois, certains paramètres sont à prendre en compte :

→ ils peuvent provoquer un effet satiétogène gênant pour les personnes dénutries ou à risque de l’être ;

→ l’apport en sucre doit être considéré en fonction du contexte clinique ;

→ les arômes, dans le cas de maladies chroniques notamment, peuvent être un frein à l’observance du patient en lien avec un goût trop particulier ou prononcé, désagréable sur le long terme.

Les formes liquides conditionnées en stick, si elles ne permettent pas d’ajustement de dose, offrent néanmoins une praticité en termes de prise car elles ne nécessitent pas d’eau. Dans le cas des patients dysphagiques, des formes liquides à la viscosité augmentée sont une alternative à privilégier en cas de risque de fausse route.

Les formes liquides multidoses comportent le plus souvent un conservateur pour limiter la contamination et le développement microbien à l’ouverture. De plus, la suspension buvable, qui comporte des particules de substance active non solubilisée, doit impérativement être agitée avant administration afin d’éviter tout risque de sous- ou surdosage tout au long de la consommation du flacon.

Ainsi, si les formes liquides sont avantageuses dans certaines situations cliniques lorsqu’elles sont manipulées correctement (attention au prélèvement de volume et au protocole de reconstitution notamment), elles ne permettent pas de modifier les cinétiques d’absorption, contrairement aux formes solides, ni de séparer des substances actives incompatibles.

LES FORMES SOLIDES DITES SÈCHES

Les formes unitaires (gélules ou comprimés) permettent une précision de dosage. Elles sont de bons véhicules pour l’administration conjointe de plusieurs substances actives (possibilité de comprimés en bicouche ou avec noyau en cas d’incompatibilité). Ces formes sèches ne contenant pas d’eau, ou à des niveaux résiduels, présentent, au cours du temps, une meilleure stabilité physicochimique et microbiologique que les formes liquides, permettant ainsi d’éviter l’ajout de conservateurs.

Les comprimés et les gélules doivent être avalés avec de l’eau afin de ne pas coller à l’œsophage et favoriser la désintégration de la forme ainsi que la solubilisation de la substance active. À noter que ces formes ne sont pas administrables chez l’enfant âgé de moins de 6 ans (Vidal).

Les formes effervescentes ou dispersibles dans un demi-verre d’eau sont une alternative, ainsi que les formes dites « microgranules » comme le paracétamol en granulés conditionné en sachet.

Les comprimés orodispersibles ou lyophilisats, eux, se désintègrent sur la langue avant d’être avalés et de poursuivre leur trajet dans le tube digestif.

Les comprimés sublinguaux, qui se désintègrent sous la langue, sont un cas à part de la voie orale. En passant par la voie sublinguale, la substance active évite le foie avant la distribution. Cela empêche sa dégradation précoce et permet une « mise à disposition » rapide dans la circulation sanguine générale. Ce passage sublingual influence fortement la biodisponibilité de certaines substances actives pour lesquelles le passage par voie orale serait trop délétère et/ou plus lent. Cette forme peut présenter un intérêt en cas de dysphagie.

Les formes orales sèches peuvent, via un enrobage ou pelliculage (ou enveloppe de la gélule), protéger et/ou masquer le goût de la substance active afin de favoriser l’observance, préserver la substance active de l’acidité du milieu stomacal (formes gastrorésistantes, pour les inhibiteurs de la pompe à proton, par exemple) et permettre de contrôler la libération de la substance active. D’autres formes, appelées matricielles, offrent également la possibilité de moduler la libération grâce à différents mécanismes possibles (érosion progressive, gonflement permettant la diffusion de la substance active, etc.) qui dépendent des excipients. Contrairement aux formes pelliculées, pour lesquelles les excipients à l’origine d’une libération modifiée sont en surface de la matrice, dans le cas d’une forme matricielle, ces excipients font partie de la matrice (les différents modes de libération et leur impact sur la concentration sanguine en actif sont illustrés dans la figure 1 A et B ci-contre).

En permettant une libération progressive dans le temps, ces formes pharmaceutiques (formes à libération prolongée, LP) rendent possible une diminution du nombre de prises journalières, une maîtrise des concentrations en substance active dans le sang et une amélioration de l’observance (voir la figure 2 A p. 51).

→ Vigilance : les formes orales sèches comportent des risques usuels (fausse route, particulièrement chez le patient dysphagique) ou liés aux pratiques (broyage). En effet, modifier la forme galénique avant administration, comme écraser un comprimé à libération modifiée, expose potentiellement le patient à un sous-dosage thérapeutique par dégradation de la molécule qui n’est plus protégée du milieu stomacal (voir la figure 2 B p. 51). Dans le cas des formes à libération prolongée, un écrasement peut causer un surdosage car l’ensemble de la dose devient « disponible » et donc absorbable au même moment, ou induire un sous-dosage dans le cas d’une substance active ayant une demi-vie d’élimination courte. Des atteintes du patient par contact direct avec le produit ou des effets secondaires peuvent également survenir : les gélules de dabigatran (Pradaxa), par exemple, ne doivent pas être ouvertes au risque d’irriter la muqueuse œsophagienne et provoquer une œsophagite médicamenteuse.

ADMINISTRATION ET CONSERVATION

Une répartition en pilulier, bien que souvent nécessaire chez les patients polymédiqués, est à réaliser avec une grande vigilance, le moins à l’avance possible, sauf validation, tout en privilégiant le maintien du blister unitaire, car le médicament peut souffrir de l’humidité de l’air ou réagir avec les autres médicaments mis à son contact. À défaut, des évolutions d’aspect (couleur, forme, etc.) dans le temps doivent être systématiquement recherchées. De même, lorsque les mentions ne sont pas notées de façon individuelle sur chaque comprimé d’un même blister, il faut faire attention à ne pas découper ce dernier afin de ne pas perdre d’informations (nom du produit, lot et date de péremption).

En cas de difficultés face à la situation du patient, il faut s’assurer avec le prescripteur ou la pharmacie qu’aucune autre forme n’est disponible sous une présentation plus adaptée.

Modifier la forme galénique avant administration n’est possible que si le Résumé des caractéristiques du produit (RCP) l’autorise. En effet, une gélule ne peut être ouverte ou un comprimé écrasé que si la galénique le permet puisqu’il y a des risques de sous- ou surdosage ou encore des effets néfastes lorsque figurent les mentions LR ou LP, ou orodispersible, ou lyophilisat. Et lorsque le Résumé des caractéristiques du produit le permet, il faut privilégier un vecteur neutre en pH (éviter la compote) avec le minimum de composants (eau gélifiée, par exemple).

Toute modification de la forme pharmaceutique initiale, non prévue par le laboratoire et sans alternative disponible, doit faire l’objet d’une analyse pharmaceutique qui dépend de la forme galénique et de ses propriétés (ex : libération modifiée), mais aussi des données disponibles dans la littérature et du patient traité. Des publications par les Observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (Omedit) régionaux existent pour informer et aider dans les pratiques.

CONCLUSION

Les formes galéniques liquides et solides présentent chacune des avantages et des inconvénients selon les propriétés de la molécule active à administrer (physicochimie, pharmacocinétique), la population à traiter (différentes tranches d’âge de la pédiatrie, adulte, sujet âgé) et les pathologies associées et comorbidités (dysphagie, dénutrition, etc.).

Avec les formes liquides, il n’est pas possible de modifier la cinétique d’absorption et, à moins d’être disponibles sous forme unidose, elles sont également moins nomades et peuvent plus facilement faire l’objet d’erreur de dosage.

Les formes solides, plus précises et polyvalentes, permettent, quant à elles, de moduler la biodisponibilité de la substance active. Cependant, elles ne sont pas équivalentes et il est par conséquent indispensable de s’intéresser au type de libération pour éviter toute erreur pouvant entraîner un sous- ou surdosage.

Ainsi, que la forme galénique soit liquide ou solide, une connaissance de ces différentes formes est nécessaire pour une bonne prise en charge du patient et pour limiter les erreurs évitables tout en favorisant l’observance du traitement.

RÉFÉRENCES

Note

1. Dans la réflexion « ADME » (Absorption-Distribution-Métabolisation-Élimination), des formes galéniques innovantes peuvent permettre le contrôle de la distribution du médicament ou même de limiter son élimination, mais elles ne seront pas abordées ici en raison de leur administration parentérale (ex : liposomes Pégylés encapsulant la doxorubicine).

Pour aller plus loin

• Omedit Pays de la Loire, boîte à outils « Administration et conservation ». En ligne sur : bit.ly/3yEFuL1

• Omedit Normandie, « Liste des médicaments écrasables », 2019. En ligne sur : bit.ly/3vga37w

• Base nationale « Voie orale » des médicaments en gériatrie produite par la Société française de pharmacie clinique (SFPC). En ligne sur : http://geriatrie.sfpc.eu/application

• Hôpitaux universitaires de Genève, « Comprimés : couper ou écraser ? Sécabilité, possibilité de broyage des comprimés et d’ouverture des capsules », 2020. En ligne sur : bit.ly/34mtpff

• Haute Autorité de santé (HAS), « Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments », mai 2013. En ligne sur : bit.ly/3fjOmOp

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt

Vigilance

SÉCABLE NE VEUT PAS DIRE BROYABLE !

L’écrasement d’une forme orale sèche désigne :

• le broyage d’un comprimé (y compris le fait de le mâcher) ;

• la division d’un comprimé pelliculé non sécable ou à libération prolongée (LP) ;

• l’ouverture de gélules gastrorésistantes (sauf gélule contenant des microgranules LP) ;

• l’écrasement des microgranules LP d’une gélule (y compris le fait de les mâcher).

Le médecin doit prescrire le broyage et indiquer l’état physiologique et clinique du patient.

Source : Omedit Centre, module « Couper, écraser un comprimé ? Ouvrir une gélule ? Comment administrer en toute sécurité ? », décembre 2013, actualisé en juin 2014. En ligne sur : bit.ly/3f6fJLG