JE RECHERCHE
REVUE DE LA LITTÉRATURE
À l’heure où la médecine hospitalière priorise le retour précoce au domicile, le maintien de l’autonomie et les soins ambulatoires, quelle place accorde-t-on aux soins dans la phase d’alitement du malade hospitalisé ? En 2019, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) a déclaré 12,4 millions de patients hospitalisés en service de médecine, chirurgie, obstétrique et 1 million en soins de suite et de réadaptation. Autant de patients susceptibles d’être alités sur une durée variable et pour des causes diverses. En 2020, avec la crise sanitaire, les hospitalisations ont augmenté, obligeant parfois les établissements de santé à installer les patients dans des tentes médicalisées, ou à aménager les salles de surveillance postinterventionnelles en réanimation. L’accueil et l’installation d’un malade nécessitent donc des qualités d’adaptation de la part des soignants, comme l’a démontré cette situation sans précédent.
Le temps d’alitement varie en fonction des patients et de leur pathologie. L’alitement strict est soumis à une prescription médicale pour des raisons thérapeutiques. Il est prescrit à des patients atteints de pathologies très diverses (fractures dorsales, troubles thromboemboliques…). La durée dépend de l’état de santé de la personne, de sa maladie ou de sa blessure. Mais l’alitement a des conséquences physiologiques et psychologiques qualifiées, il y a quelques années, de « complications de décubitus ». Il induit des risques métaboliques, digestifs, respiratoires, cardiovasculaires, urinaires, musculaires, osseux, et une altération de l’état cutané. Ces périodes d’immobilité peuvent devenir inconfortables et douloureuses malgré les progrès technologiques et la médicalisation des lits hospitaliers. Au-delà des conséquences physiologiques, on ne peut ignorer les complications psychosociales qui peuvent parfois conduire à des réponses émotionnelles et comportementales, des altérations sensorielles et des mécanismes de défense propres à chaque patient : isolement social, anxiété, dépression, agressivité, colère. Dans un tel contexte, la prise en soin par l’équipe soignante améliore-t-elle ce vécu ?
Au regard des répercussions sur l’état de santé et le bien-être, le rôle du soignant semble essentiel. L’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier atteste des compétences professionnelles pour exercer les activités du métier d’infirmier selon les référentiels d’activités et de compétences(1). Le référentiel d’activités spécifie que l’infirmier doit réaliser « l’installation de la personne dans une position en rapport avec sa dépendance » et « l’installation de la personne pour le repos et le sommeil ». L’alitement nécessite d’accorder du temps au patient et d’adapter les soins en fonction de ses besoins. Or, on observe une disparité de prise en soin lors de l’installation du malade alité selon les soignants et les spécificités des services. Dès lors, l’installation du patient alité est-elle un soin ou est-ce de l’ordre du « prendre soin » ?
Pour répondre à cette question une revue de la littérature a été réalisée.
Tout d’abord, en utilisant la méthode PICO (Patient/Intervention/Compare to/Outcomes), nous avons procédé à l’identification de mots-clés utiles pour interroger les différentes bases de données bibliographiques. L’outil HeTOP (Health Terminology/Ontology Portal) a permis ensuite de les traduire en termes MeSH (Medical Subject Headings), thésaurus de référence dans le domaine biomédical. Ainsi, nous avons obtenu :
PubMed, principal moteur de recherche de données bibliographiques de l’ensemble des domaines en biologie et médecine, a été utilisé pour cette première étape de recensement de la littérature. De plus, cet outil propose un constructeur automatique d’équations qui simplifie la recherche à partir des termes MeSH.
Un premier essai d’équation, (« inpatients » [MeSH]) AND « Bed rest/nursing » [MeSH] AND « Patient Comfort » [Mesh], s’est avéré infructueux car les articles retrouvés contenaient des informations spécifiques à certaines spécialités mais n’évoquaient pas réellement l’installation du patient alité.
Afin de trouver des articles concernant l’installation, le terme « comfort » a été retiré. Ainsi, une deuxième équation de recherche a été testée : ((« inpatients » [MeSH] OR « Bedridden persons » [MeSH] AND (« Bed rest/Nursings » [MeSH])). Si celle-ci a fait ressortir quelques articles, ces derniers ne concernaient pas le sujet traité.
Des moteurs de recherche comme Cairn et EM-Premium, davantage axés sur les revues professionnelles et les revues en sciences humaines et sociales, ont été interrogés en utilisant les équations de recherche « confort du patient » et « alitement et confort du patient ».
La sélection s’est faite selon plusieurs critères :
→ l’année de parution : un filtre de date a été appliqué afin de ne sélectionner que les articles parus depuis quinze ans ;
→ la présence des mots-clés « alitement » et « confort du patient » dans le titre, les mots-clés et/ou le résumé des articles ;
→ les articles concernant les traitements médicamenteux liés aux conséquences de l’alitement ont été exclus, ainsi que les études traitant des soins spécifiques à la fin de vie et à la réanimation ;
→ seuls les articles sur les soins infirmiers dans l’installation du patient alité et abordant le confort ont été inclus.
À l’issue de cette étape, 14 articles ont été retenus (voir le diagramme de flux de la recherche ci-contre).
Au total, 239 articles ont été identifiés grâce au moteur de recherche EM-Premium en utilisant l’équation de recherche « Alitement et confort du patient », et 112 avec la base de données Cairn. Ensuite, 24 articles ont été sélectionnés à partir de la lecture des titres, et 16 après lecture des résumés. À l’issue de la lecture intégrale, 14 articles ont été retenus pour la synthèse des résultats.
Cette revue de la littérature a mis en évidence l’importance des techniques de soin à mettre en place pour prévenir les risques liés à l’immobilisation. Elle évoque aussi celle de l’attitude des soignants comme l’empathie, « prendre soin » qui favorise le confort du patient.
Plusieurs textes abordent précisément les complications liées à l’alitement (2, 3, 4). Et certains évoquent la prévention de la douleur induite par l’immobilisation (5, 6). Les techniques d’installation et le rôle du soignant sont largement retrouvés et décrits(7). Si l’importance du confort est soulignée, cela est peu détaillé et jugé difficile à évaluer. Les ouvrages font apparaître une probable importance de l’attitude empathique du soignant. Il serait indispensable de « prendre soin » du patient lors de son installation pour assurer son confort et son bien-être. Les théories de soin de Jean Watson et de Carl Rogers nourrissent cette hypothèse.
Les articles ont mis en lumière l’importance de « prendre soin » lors de l’installation, sans pour autant le détailler et l’approfondir. Cette synthèse nous pousse à explorer ce concept avec des ouvrages d’auteurs théoriciens en sciences infirmières.
Cette recherche bibliographique a été complétée par la lecture d’ouvrages de théoriciens en soins incontournables sur ce sujet (8 à 12). Pour appréhender le concept du « prendre soin », quelques écrits de Walter Hesbeen (13, 14) ont apporté un enrichissement du savoir sur ce thème et sur la relation soignant-soigné. D’autres textes sont venus enrichir ce thème : dans les années 1980, Marie-Françoise Collière a défini deux soins complémentaires : Cure et Care (soin et prendre soin)(15) ; plus récemment, Lise Michaux(16) a précisé ces notions. L’empathie du soignant et le « prendre soin » influeraient sur l’amélioration du confort et du bien-être du patient immobilisé dans un lit. Mais cela reste une hypothèse à vérifier en pratique puisqu’à notre connaissance, aucune étude n’a démontré son influence.
Cette recherche a permis de comprendre que l’installation du patient alité s’inscrit dans le cœur de métier de l’infirmier mais également l’importance du relationnel lors des soins. L’installation semble donc être à la fois un soin et du « prendre soin ».
Cette revue de la littérature permet de constater que les techniques d’installation ont été travaillées et doivent être enseignées dans les formations initiales. Elles sont intimement liées au risque de complications dues à l’immobilisation et viennent compléter les technologies des lits médicalisés. Les recommandations en lien avec cette thématique sont explicites. D’autres recommandations sont en lien indirect, comme les études sur le sommeil du patient hospitalisé. La Haute Autorité de santé évoque les facteurs environnementaux pouvant influencer la qualité de sommeil (luminosité, bruit, température de la chambre, etc.)(17).
Au regard de ces recherches bibliographiques, une installation confortable du patient alité pour la nuit semble essentielle au maintien de l’état de santé et du bien-être lors d’une hospitalisation. Ce soin semble multidimensionnel, nécessitant de réunir des facteurs favorisant le maintien de l’état de santé, le confort et le bien-être : environnement, techniques de soin et qualité relationnelle. Toutefois, il y a un manque de références littéraires sur le confort et le « prendre soin » au moment de l’installation. Les soignants prennent-ils en compte le confort et le bien-être du malade lors de ce soin ? Que font-ils ? Nous n’avons retrouvé aucune étude sur ce sujet, de même qu’aucune recommandation en lien avec l’installation du patient alité, pour la population générale, ni avec l’attitude soignante favorisant le confort et le bien-être du patient. Ce travail légitime donc notre questionnement. Quelles sont les représentations des soignants concernant l’installation du patient alité ? En pratique, quelles techniques de soin appliquent-ils et que mettent-ils en place pour améliorer le vécu du patient ?
L’installation du patient alité est une thématique peu étudiée. Des recommandations sont disponibles pour des populations spécifiques, notamment la personne âgée. Pourtant, cela fait partie des soins hospitaliers réguliers. Existe-t-il une disparité de prise en soin lors de l’installation selon les services, les professionnels de santé et leur spécialité ? Il paraît intéressant de mener une étude pilote pour objectiver les pratiques en s’intéressant au contexte spécifique de la nuit, compte tenu du temps d’alitement prolongé durant la période de sommeil. Au CHU de Reims, une étude pilote devrait être menée prochainement pour comprendre les représentations des soignants concernant le patient immobilisé dans un lit, ainsi que l’identification des pratiques lors de l’installation des personnes alitées.
ARTICLE RÉALISÉ PAR :
ANGELINA BRIFFOTEAUX
Infirmière, service de médecine polyvalente, Pôle Autonomie et Santé, CHU de Reims
AVEC LA COLLABORATION DE :
CAROLINE SERNICLAY
Coordinatrice de la recherche paramédicale, cadre de santé du CRIC INF, CHU de Reims
L’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt
COORDINATION :
VALÉRIE BERGER
IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux
valerie.berger@chu-bordeaux.fr
EMMANUELLE CARTRON
IDE, Ph. D., coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Nantes, membre de la CNCPR
EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE