L'infirmière n° 010 du 01/07/2021

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Laurent Soyer  

infirmier, M.Sc, cadre de santé, formateur consultant, chercheur indépendant en formation

La téléconsultation fait aujourd’hui partie intégrante des outils de télésanté qui permettent d’optimiser la prise en soin des patients porteurs de plaies dans un continuum ville-hôpital. Dans ce nouveau contexte, l’infirmière est donc un maillon essentiel de la chaîne du soin. Dans le présent article, nous nous référerons au soin des plaies, notamment chroniques, exemple de pratique infirmière présente de manière récurrente, aussi bien en milieu hospitalier qu’à domicile, et pouvant bénéficier de la téléconsultation.

Mais avant toute chose, il convient de définir la plaie chronique et la téléconsulation.

Plaie chronique : la Haute Autorité de santé (HAS) décrit ce type de plaie comme « une plaie dont le délai de cicatrisation est allongé. Une plaie est considérée comme chronique après quatre à six semaines d’évolution selon son étiologie. Les causes de plaie chronique incluent notamment les ulcères de jambe, les escarres, les plaies du diabétique et les moignons d’amputation(1). »

Téléconsultation : selon la même autorité publique, la téléconsultation constitue l’une des nombreuses branches de la télésanté et est actuellement comprise comme une activité médicale. Elle « a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation(2) ».

Un certain nombre de recommandations ont été formulées pour les bonnes pratiques médicales de téléconsultation(1) mais également dans le cadre de la mise en œuvre des actes de télémédecine dans la prise en charge des plaies chroniques et/ou complexes(3). Toutefois, ces recommandations ne prennent pas en compte le potentiel, le panel d’indications relatives au champ d’activités et de compétences infirmières.

Nous proposons donc ici un éventail d’indications élargi (voir la figure sur les indications de la téléconsultation d’un point de vue infirmier page ci-contre).

DU DIAGNOSTIC AU SUIVI

ÉTABLIR UN DIAGNOSTIC

Le diagnostic médical peut être alimenté par un certain nombre de diagnostics infirmiers permettant au tandem médecin-infirmière d’avoir une perspective holistique de la prise en soin. Bien entendu, il faut évoquer le diagnostic IDE « atteinte à l’intégrité de la peau », mais nous pouvons également retrouver : « atteinte à l’intégrité des tissus », « risque d’atteinte à l’intégrité de la peau », « altération des mécanismes de protection », « risque de syndrome d’immobilité », « risque d’infection », « déficit nutritionnel », etc. La notion de diagnostic est donc reliée à la connaissance biopsychosociale que la soignante a du patient.

CONVOQUER UNE EXPERTISE

Que ce soit en milieu hospitalier, en maison de santé (MDS) ou en centre de santé (CDS), en équipe de soins primaires (ESP) ou en Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) et au niveau d’un centre de coordination national plaies et cicatrisation, il est déjà possible de mettre en œuvre une téléexpertise où peuvent être associés, par exemple, un dermatologue et une infirmière experte en plaies et cicatrisations (Diplôme universitaire) ou une infirmière en pratique avancée (IPA) spécialisée dans les pathologies chroniques (ex : plaies du pied diabétique), cette dernière pouvant bénéficier d’une délégation de prescription. Le principe consiste à passer, via un centre d’appel, par un case manager (gestionnaire de cas) qui va orienter la professionnelle de santé demandeuse d’une expertise vers des spécialistes et faire le lien avec le médecin traitant.

CONSULTER DES DONNÉES PROBANTES

Encore embryonnaire en France, l’Evidence based nursing (EBN), qui peut se traduire par la pratique infirmière fondée sur des résultats de recherches scientifiques, consiste, pour la soignante, à avoir accès au quotidien, via des bases de données nationales et internationales, à « des informations validées par des études scientifiques sur la pathologie, le pronostic, le traitement, l’éducation, la prévention, l’accompagnement(4) ». En regard des pansements, par exemple, les données probantes permettent de se référer aux produits pharmaceutiques ayant bénéficié d’études relatives à leur efficacité constatée cliniquement.

ÉVALUER, RÉALISER UN SUIVI

Dans le cadre des plaies chroniques, la prise en soin s’inscrit dans la durée. Lors de la visiotransmission, l’IDE joue un rôle dans l’évaluation de la plaie : aspect du lit de la plaie, présence d’exsudats, odeur, signes d’inflammation (rougeur, sensibilité ou gonflement des bords de la plaie) ou d’infection(5)… Elle recueille également des données cliniques comme des signes de démangeaisons ou d’irritations (ulcères) ou encore une fièvre. Un élément fondamental de la consultation est le recours à la photo ou à la vidéo. La comparaison avec des images antérieures permet aux soignants d’évaluer l’efficacité des traitements, ainsi que la prise en compte par le patient-partenaire des conseils prodigués et sa montée en compétences (d’autosoins ou d’adaptation) liée à l’éducation thérapeutique. Les données sous forme de clichés ou de films constituent des éléments de suivi à commenter et à inclure dans le dossier de soins partagé (DSP).

TRAITEMENT DES DONNÉES

SÉCURISER LES DONNÉES

La téléconsultation comporte deux aspects : la communication interpersonnelle et l’échange de données (rapports d’analyses biologiques, imagerie médicale, photos de plaies, prescriptions, etc.), nécessitant le respect de certaines règles. « La communication interpersonnelle (c’est-à-dire notamment l’échange verbal) entre un professionnel de santé et un patient, qu’elle soit vidéo ou uniquement voix, utilise des services de communication sur Internet ou des services d’opérateurs de télécommunication. Ces services sont encadrés, en termes de confidentialité, par des réglementations : RGPD, la directive européenne 2018/1972(6). »

Les échanges de données doivent en outre être conformes à la Politique générale de sécurité des systèmes d’information de santé (PGSSI-S).

Si les infirmières sont rompues aux règles de confidentialité et de secret professionnel, leur pratique en téléconsultation peut néanmoins faire l’objet d’une cyberattaque. La HAS rappelle dans ses recommandations(2) la nécessité, entre autres, d’utiliser un hébergeur de données de santé agréé ou certifié et de sécuriser le poste informatique.

ASSURER LA TRAÇABILITÉ (DSP)

La téléconsultation est indissociable d’une retranscription fidèle des données établies au niveau du dossier de soins partagé. Cette traçabilité est réalisée informatiquement, à l’aide de tablettes ou d’ordinateurs portables, voire de smartphones professionnels, et en temps réel afin d’éviter toute perte d’information. Selon les recommandations, la rédaction et la transmission d’un compte-rendu de la consultation et des prescriptions(6) doivent être systématiques.

DÉVELOPPER UNE BASE DE DONNÉES

De par les innovations thérapeutiques régulières et les recherches, dont celles menées dans le champ des sciences infirmières, surtout au niveau international, la pratique infirmière autour de la prise en soin des plaies évolue vite. Par ailleurs, chaque IDE a sa propre pratique. « La plaie est quotidienne et chacun a ses habitudes (parfois secrètes), ses recettes, ses certitudes(7). » Il est donc intéressant, si l’on vise le passage d’un exercice individuel à collectif et coordonné, de développer une base de données qui peut s’élaborer à partir de cas cliniques.

TRAVAIL EN PARTENARIAT

TRAVAILLER EN RÉSEAU

Lorsque nous évoquons la notion de réseau, nous parlons d’un maillage entre professionnels de santé reposant sur une gradation topographique : réseau territorial via, notamment, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et les CPTS, puis réseau national via un « centre de référence » qui vient en soutien aux professionnels de terrain, assure la diffusion de recommandations, collige des données pour améliorer la pratique collective à partir d’une analyse des soins et de leurs résultats(8). Le réseautage repose sur une volonté de partage des informations. Les technologies de l’information et de la communication (Tic) ouvrent des possibilités de partage d’informations que les professionnels de santé n’ont jamais connues(9). Le grand changement consiste à passer d’une pratique monoprofessionnelle à pluriprofessionnelle, ce qui ne constitue pas un allant de soi, surtout en libéral. Il ne s’agit pas non plus d’une juxtaposition de compétences, mais d’une coordination de la réponse soignante. Cette nouvelle culture nécessite de découvrir plus avant les contraintes de chacun et surtout d’apprendre à travailler ensemble. De plus, un réseau requiert une coordination. Aujourd’hui, l’infirmière, de par sa vision globale des soins, apparaît comme une personne-ressource pour occuper les fonctions de coordinateur d’un réseau. Avec, par exemple, la formation validante de 40 heures ETP ou le master de pratique avancée lié aux pathologies chroniques, le poste de coordination est alors légitimé par des compétences d’expert.

OPTIMISER LA COMMUNICATION, LE PARTENARIAT AVEC LES PATIENTS

La communication, qui constitue la base du soin autant que celle de la téléconsultation, se joue à plusieurs niveaux. D’un point de vue informatique, elle va concerner la nécessaire montée en compétences numériques des différents acteurs. Cet apprentissage comporte plusieurs volets dont la compréhension des enjeux du virage numérique en termes de santé publique, l’appropriation d’une nouvelle sémantique et des techniques de mise en œuvre des outils de téléconsultation.

Pour les infirmières libérales, dont la moyenne d’âge était de 44,8 ans en 2017, 44,9 ans en 2018, et 45,1 ans en 2019, un vieillissement continu peut rendre plus difficile l’apprentissage de la communication numérique. Cependant, il est constaté un transfert important des professionnels infirmiers hospitaliers vers le libéral, dont les jeunes générations, ce qui pourrait être facilitant.

Pour autant, cette vision sociologique est mise en défaut par certains constats établis dans les Ifsi, où il est remarqué que beaucoup d’étudiantes en soins infirmiers (ESI) ont des difficultés avec les fonctionnalités bureautiques(10) pourtant indispensables pour la gestion d’un DSP.

Au regard de la communication soignant-soigné, la téléconsultation va nécessiter un accompagnement par l’infirmière. En effet, outre l’obligation d’informer le patient sur les modalités pratiques de la téléconsultation et d’obtenir son consentement éclairé, de nombreux obstacles peuvent compliquer la réalisation d’une téléconsultation de plaie chronique efficiente. L’installation, d’abord, nécessite que la plaie soit bien visible, que le patient soit confortable, et qu’il puisse interagir avec les soignants en tant que patient-partenaire(11), donc en reconnaissant ses savoirs expérientiels et ses compétences. Un problème récurrent est la qualité sonore des échanges, majoré lorsque le patient est atteint de surdité. Dans ce cas, l’IDE devient la médiateure des échanges verbaux. Par ailleurs, il peut y avoir des résistances de la part des professionnels, des patients, des aidants, en regard d’un éventuel ressenti de déshumanisation des soins. La présence d’une infirmière auprès du patient lors de la téléconsultation permet aux protagonistes d’exprimer leurs réticences et d’être accompagnés pour dépasser ces freins.

DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

RÉALISER DES APP

L’analyse des pratiques professionnelles (APP) s’inscrit dans une démarche de développement professionnel continu (DPC), dont les objectifs sont le maintien et l’actualisation des connaissances et des compétences ainsi que l’amélioration des pratiques(12). L’APP correspond à une action d’évaluation et d’amélioration des pratiques. La téléconsultation en général, et dans le cadre de la prise en soin des plaies, doit s’inscrire dans la pratique régulière de l’APP. Cette activité, guidée par l’HAS, peut prendre plusieurs formes : pour les équipes de soins primaires (MDS, CDS et bientôt les CPTS), ce peut être un « exercice coordonné et protocolé d’une équipe de soins en ambulatoire »(13) ; au niveau hospitalier (mais pas seulement), « un audit clinique »(14), des « staffs d’une équipe médico-soignante, groupes d’analyse de pratiques »(15) qui nécessitent une base de données de cas cliniques et l’apprentissage d’une démarche réflexive, ou une « réunion de concertation pluridisciplinaire »(16).

Globalement, la recommandation à retenir est de rentrer rapidement dans cette dynamique d’analyse des pratiques professionnelles, avec la nécessité d’être formé et qu’une personne anime les séances, diffuse les comptes-rendus… Là encore, une IDE coordinatrice peut être LA personne-ressource.

GUIDER, ACCOMPAGNER LES APPRENTISSAGES

Le processus de professionnalisation s’amorce en formation initiale et s’appuie sur la formation continue, dont le DPC (et le FIF PL pour les libéraux). La téléconsultation offre tous les éléments d’un apprentissage motivant pour un ESI. D’abord, elle se situe dans un espace clinique. Même à distance, elle se réalise au « lit du patient », avec le patient. Elle place donc l’apprenant en prise directe avec la pratique. Par ailleurs, la téléconsultation, de par la pluriprofessionnalité des acteurs, contribue à développer le travail d’équipe, le raisonnement clinique et la pratique réflexive, notamment par le conflit sociocognitif généré lors des échanges de points de vue. L’aspect technique place aussi l’apprenant dans un contexte numérique où il peut se sentir à l’aise, participatif. Le visionnage de séances de téléconsultation enregistrées peut être utilisé comme support pédagogique pour s’exercer sur des situations emblématiques, ou sous forme ludique à l’instar d’une chambre des erreurs. Les possibilités sont nombreuses et sont à développer dans le cadre d’une posture d’infirmière tutrice de stage.

MENER DES RECHERCHES SCIENTIFIQUES

Évoquons maintenant de manière propédeutique ce qui est appelé à se développer en France : la recherche en sciences infirmières. Un premier pas a été enclenché avec la naissance d’une section de qualification du Conseil national des universités en sciences infirmières (CNU 92) et la perspective de création de départements universitaires en sciences infirmières comportant des cursus du premier au troisième cycle universitaire (doctorat). La téléconsultation et la prise en soin des plaies constituent sans aucun doute des sujets de recherche, d’autant qu’il est mis en évidence une nécessaire amélioration des pratiques. Une bonne pratique, que ce soit en hospitalier ou au sein d’une structure de coordination des soins à domicile consistera donc à créer un groupe de recherche en partenariat avec une université dotée d’une composante en sciences infirmières.

En conclusion, la téléconsultation procure un réel gain de temps dans la prise en soin des plaies. Elle permet de mettre en présence différents acteurs (patients, professionnels de santé, etc.) éloignés géographiquement. Dans ce néodispositif, l’infirmière va occuper une place centrale, dont cet article contribue à prendre la mesure.

Savoir +

LA PRISE EN CHARGE PAR TÉLÉSOIN ACTÉE POUR LES INFIRMIÈRES

Le télésoin avait été autorisé à titre dérogatoire durant la crise sanitaire. Il est désormais pérennisé par un décret complété par un arrêté paru le 4 juin au Journal officiel. Le texte détaille les conditions de mise en œuvre et de prise en charge du télésoin, applicables aux activités à distance, réalisées par les pharmaciens et les auxiliaires médicaux, soit 18 corps de métiers parmi lesquels les infirmières. Sont notamment exclus « des soins nécessitant un contact direct en présentiel entre le professionnel et le patient » ou lorsqu’un équipement spécifique n’est pas disponible auprès de la personne soignée. Il est également précisé que le recours au télésoin « relève d’une décision partagée du patient et du professionnel ».

RÉFÉRENCES

  • 1. Haute Autorité de santé (HAS), Bon usage des technologies médicales « Les pansements. Indications et utilisations recommandées », avril 2011. En ligne sur : bit.ly/2TzevjD
  • 2. HAS, Fiche mémo « Téléconsultation et téléexpertise. Mise en œuvre », mai 2019. En ligne sur : bit.ly/35jzYQx
  • 3. Collectif e-santé Plaies et Cicatrisations, « Pour une organisation “modèle” de la prise en charge des plaies par télémédecine », 2019. En ligne sur : bit.ly/3vuOP58
  • 4. Soyer L., Tanda N., Initiation à la démarche de recherche et traitement des données, éditions Vuibert, collection « Référence IFSI », mars 2015, p. 23.
  • 5. Assurance maladie, Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC), « Plaies chroniques. Prise en charge en ville », octobre 2015. En ligne sur : bit.ly/2SDoEM9
  • 6. Agence française de la santé numérique (Asip santé), « Étude pour l’accompagnement au déploiement de la télémédecine », juillet 2019, p. 20 et 14. En ligne sur : bit.ly/3wtUBoV
  • 7. Téot L., « Bienvenue sur le nouveau site de la SFFPC ». En ligne sur : https://www.sffpc.org/
  • 8. Assurance maladie, « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : propositions de l’Assurance maladie pour 2014 », rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au parlement sur l’évolution des charges et produits de l’Assurance maladie au titre de 2014 (loi du 13 août 2004), 11 juillet 2013, p. 136. En ligne sur : bit.ly/3xmKa6B
  • 9. Dumez H., Minvielle É., Marrauld L., « État des lieux de l’innovation en santé numérique. Fondation de l’avenir », novembre 2015. En ligne sur : bit.ly/35ozloA
  • 10. Delon B., « Un nouveau profil pour accompagner la mutation numérique de la formation infirmière : le Digital Learning Manager », Objectif Soins & Management, n° 281, juin-juillet 2021, p. 37-41.
  • 11. Revillot J.-M., « Du patient expert au patient partenaire : où en sommes-nous ? », hors-série Objectif Soins & Management, avril 2019, p. 15-18.
  • 12. Haute Autorité de santé, « Démarche et méthodes de DPC », juin 2019. En ligne sur : bit.ly/3gPN4dJ
  • 13. Haute Autorité de santé, « Exercice coordonné et protocolé d’une équipe de soins en ambulatoire », juin 2018. En ligne sur : bit.ly/35oNNgl
  • 14. Haute Autorité de santé, « Audit clinique », juin 2018. En ligne sur : bit.ly/35kuy7V
  • 15. Haute Autorité de santé, « Staffs d’une équipe médico-soignante, groupes d’analyse de pratiques », juillet 2017. En ligne sur : bit.ly/3cEynss
  • 16. Haute Autorité de santé, « Réunion de concertation pluridisciplinaire », novembre 2017. En ligne sur : bit.ly/3gqdaVk