JE ME FORME
SCIENCES HUMAINES
cadre supérieur de santé d’anesthésie réanimation,
Le consentement aux soins est un lieu de débat sur la dignité humaine loin d’être clos malgré l’existence d’un cadre normatif défini et assigné à sa mise en œuvre. Il est régulièrement questionné dans son fondement, son contexte, son sens, ses modalités d’expression, sa validité… Voici quelques repères juridico-éthiques.
Que signifie consentir ? L’étymologie latine consentire : de cum (avec) et sentire (sentir, penser), « sentir ou penser ensemble, avec » ne suffit pas à définir et à attester la plénitude et la qualité de l’acte dans notre approche pratique contemporaine. Il n’est pas aisé de s’accorder sur le sens objectif et fonctionnel du terme : dire son accord, laisser supposer, se taire, ne pas s’opposer, se soumettre, se résigner, céder… On peut échapper à la foultitude, à la confusion et à l’égarement dans les interprétations du consentement, en se fixant sur deux de ses attributs essentiels : le désir et la volonté, comme l’envisagent certains philosophes et l’histoire du mot(1,2).
Aujourd’hui, une partie de l’opinion et la plupart de nos instances normatives, depuis quelques décennies, tendent à définir et à évaluer le consentement à l’aune de la volonté individuelle, dans son expression libre et éclairée. Le consentement s’adosse à la théorie de l’autonomie de la volonté, dimension de la dignité humaine, supposant que tout être humain est libre naturellement, et, par conséquent, apte à s’obliger ou non qu’en raison de sa seule volonté. Le consentement serait un acte de désir et de volition, libre de contraintes et instruit des connaissances utiles.
Le législateur relie le consentement au principe de l’autonomie de la volonté et l’envisage, notamment dans le droit des obligations, comme un engagement de la personne et/ou de ses biens. Le consentement s’entend comme une démarche expresse, c’est-à-dire apparente (écrite, verbalisée) ou tacite (implicite, présumée), donc déductible d’éléments non équivoques (geste, poignée de mains, etc.)(3) en cohérence avec le comportement de la personne, le contexte, les liens existants entre les protagonistes. Si le « qui ne dit mot, consent » ne vaut pas acceptation en droit(4), la loi prévoit des dérogations où, par exemple, le « consentement présumé » vaut pour accord. C’est notamment le cas dans le cadre du prélèvement d’organes chez les personnes décédées.
En droit, la question du consentement est au cœur de la réalisation des contrats. Il s’agit là de manifestations de volonté, de relation fondée sur la confiance, de respect mutuel, d’accords de conscience, d’engagement. Elle est également relative aux droits des citoyens dans leur relation avec les administrations. Rappelons que la relation de soin est une relation contractuelle, laquelle est nécessairement fondée sur le consentement et exempte de vices.
Le consentement pour une personne mineure ou un majeur sous mesure de protection légale est réglé par la loi : elle exige l’accord du représentant légal. Mais le refus du mineur ou du majeur protégé en état d’exprimer ses volontés doit être considéré et peut, dès lors, l’emporter sur tout autre avis. Notons au passage l’adoption récente d’une loi contre les violences sexuelles qui fixe un seuil de non-consentement à moins de 15 ans, et à 18 ans en cas d’inceste. Autrement dit, la loi reconnaît le mineur apte à consentir, de façon libre et éclairée, à partir de l’âge de 15 ans.
Le principe de sauvegarde de la dignité humaine enraciné dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, réaffirmé et renforcé dans le Code de Nuremberg(5) fonde véritablement l’impératif du consentement aux soins. Si, comme préoccupation morale, il est érigé en devoir dans les codes de déontologie médicale et des infirmiers(6, 7), ce sont les lois relatives à la bioéthique de 1994(8), les législations successives et la jurisprudence qui l’ont rendu opérant et codifié dans les pratiques biomédicales. De l’examen clinique jusqu’aux décisions complexes de fin de vie, hormis quelques exceptions, le respect de la volonté du malade (consentement ou refus) en médecine est un prérequis, lequel s’impose à tous.
Tout l’arsenal, notamment juridique et déontologique, qui gouverne l’acte de consentement aux soins ne peut être abordé ici. Le propos se focalisera sur des assignations, situations, conditions et critères que prévoient les textes, mais nous noterons aussi des limites et des angles morts qu’il y a dans ces acquiescements aux soins.
Le consentement total et parfait n’existe probablement pas.
L’introduction du consentement et du refus du patient dans les relations soignant/soigné s’inscrit dans une longue et difficile bataille contre la culture paternaliste, parfois hégémonique, de la pratique médicale. Jugée non qualifiée et incompétente, la personne malade ne pouvait intervenir naturellement dans les décisions de soins la concernant. Il a fallu légiférer pour infléchir les mentalités et les pratiques.
Le respect de l’intégrité du corps, son inviolabilité comme son indisponibilité sont des principes intangibles. Sauf exception et sous conditions, seul le malade, par sa volonté, permet ou non au médecin, au soignant, d’y déroger.
Fort de ces principes, affirmés dans les lois relatives à la bioéthique, la loi Kouchner(9) va profondément réorganiser le droit des usagers du soin, rééquilibrer la relation soignant/soigné, jusque-là très asymétrique, et renforcer le patient dans sa dignité de sujet de soins. Elle affirme qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
La décision d’un projet de soins, au sens de la loi, ne peut être unilatérale mais relever d’un dialogue et d’une codécision entre deux volontés : celle du patient et celle du soignant. Par conséquent, « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. […] Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix »(10).
Les caractères libre et éclairé du consentement font sa valeur et sa validité. Il ne peut être obtenu sous pression, contrainte ou chantage, mais doit ressortir du libre arbitre, d’une totale autodétermination. La liberté du malade s’apprécie sur ses aptitudes psychiques mais également cognitives. Quant à la qualité et au niveau d’information pour permettre un consentement éclairé, c’est un droit que la loi reconnaît au patient. Il est de la responsabilité et du devoir du soignant d’y pourvoir et de vérifier la juste et complète compréhension des tenants et aboutissants par le malade. La qualité du dialogue, la pédagogie déployée, le temps consacré et le degré de confiance installée facilitent ou non le consentement, et plus précisément sa validité. Et ce qui vaut pour les soins médicaux s’applique aux soins infirmiers.
Lorsque le patient n’est pas apte à exprimer ses volontés, s’il s’agit d’un mineur ou d’incapable majeur, la loi fixe la conduite à tenir : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance […], ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. »(10)
Pour le mineur, ce sont habituellement les titulaires de l’autorité parentale qui reçoivent les informations et autorisent les soins. Mais le consentement du mineur est toujours recherché et considéré s’il est apte à le donner. Celui-ci peut s’opposer à l’intervention des titulaires de l’autorité parentale et refuser qu’ils soient informés sur son état de santé. Le médecin se passe alors de leur consentement et met en œuvre les soins, à condition que le mineur soit accompagné d’un majeur de son choix. Le médecin peut faire appel au juge en cas de litige où la santé du mineur est menacée.
Le consentement du majeur protégé est requis, quel que soit son statut juridique, même sous tutelle, dès lors que son état le permet. Dans ce dernier cas, celui du tuteur est aussi recherché. Si le refus d’un traitement par le tuteur peut être délétère pour la santé du majeur protégé, le médecin dispense les soins nécessaires.
La présomption de volonté est principalement observée pour le prélèvement d’organes chez la personne décédée. Selon les lois relatives à la bioéthique de 1994, qui ne s’est opposé au don de ses organes est présumé y consentir.
Ce consentement hypothétique permissif fondé sur le silence est aussi tolérable que problématique. En effet, s’il entend faciliter les prélèvements d’organes, dont la finalité est vitale et vertueuse, il entache l’éthique et la socialité du don. Mis en œuvre sans précaution, au mieux il laisse dans la mémoire des familles un doute sur les volontés réelles du défunt, au pire le consentement au don tourne au refus.
En théorie, le malade dispose du choix d’accepter, de refuser ou d’aménager toute proposition de soin le concernant. Mais en pratique, les effets de la maladie, de la souffrance, des peurs, de l’urgence de son état, etc., le placent souvent dans un non-choix. L’ascendance du médecin, la complexité du verbiage, la temporalité de la consultation, etc., laissent peu de place à une réelle codécision. Le consentement est alors vicié ou bascule en refus de soins.
Notons que la confiance du patient en son médecin est une dimension opérante dans le consentement et libère la décision de soins de ses formalismes. Dès lors, la confiance ne serait-elle pas alors le déterminant du consentement ?
En conclusion, désir, besoin et volonté amènent au consentement. Ce consentement doit être à la fois libre et pleinement éclairé par les tenants et aboutissants de ce à quoi on consent. C’est un impératif juridique, éthique et déontologique de subordonner (sauf exception) tout acte de soin au consentement du malade. Le négliger est une négation de sa dignité. Qu’il soit écrit, verbalisé ou tacite, le consentement du malade recèle souvent une part d’incertitude que les enjeux de santé rendent irréductible.
« Qui tacet consentire videtur » : qui se tait semble consentir. Cette maxime attribuée au pape Boniface VIII (1235-1303) a traversé le temps, imprégné les cultures, connue de nombreuses formulations dont le « qui ne dit mot consent », pour devenir en ces temps nouveaux et troublés une expression problématique et un enjeu de société. Elle ne peut plus être considérée comme une règle qui fait du silence l’aveu d’un assentiment. Quoique !
Il n’est pas aisé de définir ce qu’est consentir à quelque chose ou à quelqu’un, tant les contextes, les critères d’appréciation et les perceptions complexifient l’exacte réalité. Le droit se préoccupe de sa validité, précise les critères et les conditions de son expression. Mais cela suffit-il ? Il en fait une obligation expresse, orale ou écrite, préalable à tout acte de soin, sous la condition d’une information suffisante et d’une pleine liberté du patient. Est-ce possible ?