L'infirmière n° 010 du 01/07/2021

 

RECONVERSION PROFESSIONNELLE

VIE PRO

CARRIÈRE

Éléonore de Vaumas  

Avec la crise sanitaire, nombre d’infirmières souhaitent changer de métier. Quelles orientations sont possibles ? Comment s’y prendre sans se méprendre ? Tour d’horizon des étapes incontournables pour se reconvertir en douceur.

C’est la Covid qui a été déterminante dans ma décision de quitter la profession. J’ai réalisé que je n’arrivais plus à être celle que les autres voulaient que je sois, et ça a été la goutte de trop », retrace Violette Legrand, 32 ans. Comme pour cette Idel francilienne, la pandémie a joué un rôle de catalyseur de reconversion professionnelle pour nombre d’infirmières usées par les conditions d’exercice de ces derniers mois. « Depuis le début de l’année, elles arrivent par vagues pour solliciter mes conseils ou se faire accompagner vers une sortie de leur métier. Et c’est d’autant plus frappant qu’elles sont de plus en plus jeunes ; certaines ont à peine travaillé deux ou trois ans », note Charlotte Kerbrat, spécialiste de la reconversion professionnelle. Même son de cloche du côté de sa consœur, Anne-Sophie Minkiewicz, qui assiste dernièrement à une augmentation du nombre de candidates au changement : « Avant la Covid, j’accompagnais essentiellement des soignantes qui avaient dix-quinze ans de carrière, mais depuis, leur profil s’est radicalement rajeuni. Outre leur âge, le plus étonnant est qu’elles sont dans le même état physique et psychologique qu’une personne qui aurait vingt ans d’exercice à son actif ! »

LE BON MOMENT

Non seulement le nombre de soignantes qui ont envie de raccrocher leur blouse depuis la crise de la Covid-19 est en hausse, comme le confirme une consultation de l’Ordre national des infirmiers parue en octobre dernier(1), mais, de plus, d’une génération à l’autre, toutes partagent une extrême lassitude due au manque de reconnaissance, de la culpabilité, voire un sentiment d’humiliation de la part de l’institution. Autant de signes évocateurs d’un profond mal-être au travail dont Maud Renault, 42 ans, IDE au centre hospitalier de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, n’a pris la mesure que lorsque sa vie personnelle en a été affectée : « À la maison, je m’emportais pour un rien, je n’avais plus envie de rien. Physiquement, je me sentais en permanence oppressée, avec la désagréable sensation d’être pieds et poings liés. Il a fallu que mes enfants me le fassent remarquer et que mon fils fasse des crises d’angoisse parce qu’il avait peur pour ma vie pour que j’ose enfin m’avouer que je n’aimais plus mon travail. » Changer de métier : une question de survie pour cette infirmière bretonne. Mais faut-il pour autant attendre le point de non-retour pour envisager de changer de voie ? Y a-t-il un moment idéal pour s’interroger sur sa profession ? « Quand on sent qu’on a fait le tour de son travail, il n’est pas trop tôt pour songer à une reconversion. Plus on anticipe, moins on risque de perdre confiance en soi, et plus le changement pourra être serein et positif. À l’inverse, aux personnes qui viennent me voir alors qu’elles sont épuisées, en larmes, je leur conseille de reprendre des forces avant de se projeter. Au besoin, je les oriente vers un accompagnement thérapeutique », explique Charlotte Kerbrat.

DES ÉTAPES INCONTOURNABLES

Autre conseil pour limiter les sorties de route prématurées : s’armer de patience. Car de la maturation à la mise en œuvre du projet, la reconversion est un processus qui prend généralement du temps. En avoir conscience permet d’éviter les désillusions. « Certaines personnes ont tendance à brûler les étapes et veulent tout de suite des solutions et des résultats, rapporte Anne-Sophie Minkiewicz. Or, ce n’est pas anodin de renoncer à sa profession, surtout lorsque celle-ci est vocationnelle, à l’instar de nombreuses IDE. À vouloir faire trop vite, on risque de créer des blocages qui peuvent mettre des années à se déconstruire. » Comme dans un deuil, certaines étapes s’avèrent incontournables pour accepter que le métier exercé depuis des années n’est plus le sien. Et pour cela, la coach spécialisée recommande vivement de commencer par un travail d’introspection, seule ou avec un professionnel, qui consiste à se poser les questions suivantes : pourquoi je veux changer ? Qu’est-ce qui me plaît ou ne me plaît plus actuellement ? Qu’est-ce que je veux absolument dans mon futur métier ? De quoi, avec les réponses consignées noir sur blanc, obtenir une bonne base de réflexion. En parallèle, certaines personnes pourront avoir besoin de travailler sur le regard de leur entourage. « Même à 40 ans, cette étape est quasi-systématique pour se libérer des projections familiales. Très souvent, les proches ne comprennent pas pourquoi on n’est pas heureuse alors qu’en tant qu’infirmière, nous avons la chance d’avoir la sécurité de l’emploi. Quitter une profession où l’activité ne manque pas pour une autre qui a du sens mais est moins porteuse, ça questionne forcément », décrit Charlotte Kerbrat. Un regard dont Violette Legrand n’a réussi à s’affranchir que très récemment : « C’est mon père qui a insisté pour que je devienne infirmière alors que, depuis mon plus jeune âge, mon rêve était de travailler avec les chevaux. Rien ne m’obligeait à lui annoncer mon souhait de quitter le monde soignant pour devenir dentiste pour chevaux, mais j’ai quand même ressenti le besoin de le faire. Symboliquement, ça m’a permis de me détacher définitivement de mon rôle d’IDE. Quant à mon père, il était plutôt rassuré de voir que ma passion n’avait pas faibli avec les années, et qu’en plus, elle allait me permettre de gagner ma vie. »

UN ACCOMPAGNEMENT RASSURANT

Concilier aspirations profondes et réalité économique ne va toutefois pas toujours de soi. Cette étape représente pourtant un passage obligé pour que la reconversion soit aboutie. « Si c’est pour ressortir avec un projet qui rend certes plus heureux, mais qui ne va pas permettre à la personne de vivre correctement, ce n’est pas possible. Mon rôle est donc, entre autres, de l’aiguiller pour qu’elle adapte son projet aux opportunités du marché de l’emploi », détaille Anne-Sophie Minkiewicz. Parce qu’il est individualisé, l’accompagnement par un spécialiste de la reconversion professionnelle peut de fait s’avérer précieux pour se frayer un chemin à travers l’étendue des possibilités, l’idéal étant de choisir des accompagnements éligibles au Compte personnel de formation (CPF). À noter que si les frais peuvent s’élever à plus de 1 000 euros, certains coachs s’adaptent aux bourses modestes en proposant des forfaits 100 % numériques. Maud Renault, elle, a opté pour un suivi renforcé sur huit semaines. Un choix dont elle se félicite même si elle a dû piocher dans ses économies : « Mon projet était déjà bien avancé, mais j’avais besoin d’être rassurée sur ma démarche. Seule, je serais sans doute passée à côté de plein d’astuces, notamment concernant les aides auxquelles j’avais droit, ce qui m’aurait sans doute fait perdre du temps. Mais la vraie plus-value, reconnaît la soignante, c’est que je me suis fait accompagner par une ancienne infirmière. Avec elle, je n’ai pas eu besoin de me justifier car nous parlions le même langage. Toutes les phases émotionnelles que je traversais, elle les avait elle-même traversées. »

LE SOIN AUTREMENT

Pour être menés à terme, certains projets de réorientation professionnelle nécessitent de passer par la case reprise d’études. La démarche n’étant pas toujours aisée, il peut s’avérer utile, dans un premier temps, d’explorer toutes les possibilités d’orientations professionnelles qu’offre le diplôme d’État en soins infirmiers. « Beaucoup d’infirmières ne veulent pas abandonner le métier mais, face aux conditions de travail, se résignent. En réalité, peu savent que leur diplôme peut leur permettre de se tourner vers une carrière différente, sans avoir à quitter les soins infirmiers. Infirmière scolaire, commerciale ou conseil, dans une structure médicosociale… Faire le tour de ces différentes options a l’avantage d’éviter de repartir de zéro », rappelle Charlotte Kerbrat qui estime à environ un tiers des professionnelles de santé qu’elle a accompagnées celles qui continuent d’exercer en tant que tel, en se spécialisant ou en changeant de secteur. Bien souvent, néanmoins, la transition vers un nouveau métier entraîne l’abandon de la pratique des soins infirmiers(2). Tel est le cas de ces soignantes reconverties en ostéopathe, sophrologue, kinésithérapeute, sage-femme ou même médecin, qui embrassent une profession leur permettant de conserver la dimension du prendre soin, mais sous une autre forme. « Depuis l’intégration du diplôme d’État au cycle LMD [licence, master, doctorat, ndlr], il est possible d’obtenir, grâce au jeu des admissions parallèles, des équivalences et, de ce fait, de gagner de précieuses années en suivant une formation raccourcie », pointe Anne-Sophie Minkiewicz, elle-même titulaire d’un master en ressources humaines intégré qu’elle a passé après son diplôme d’État.

VIVRE DE SA PASSION

Langues, design, immobilier, artisanat… Lorsqu’il s’agit de raccrocher la blouse, ces passerelles peuvent aussi être l’occasion de renouer avec une passion longtemps mise en sourdine. « Quand j’étais petite, j’étais fascinée par la construction des maisons, mais je n’avais jamais imaginé pouvoir en faire un métier. Jusqu’à ce que mon fils, en âge de faire son stage d’observation de 3e, me dise qu’il voulait être architecte. C’est là que tous mes souvenirs sont remontés en bloc et que j’ai décidé de m’inscrire à une formation de dessinateur en architecture », illustre Maud Renault, qui attend la confirmation de sa direction pour savourer pleinement cette perspective. À la veille de déménager pour entamer des études en Belgique, Violette Legrand, de son côté, doit faire face à une avalanche d’émotions contradictoires, oscillant entre enthousiasme et appréhension. « Pour financer mes études, je vais devoir faire des remplacements en libéral. Ça me fait un peu peur de cumuler, mais ce n’est pas une peur qui m’empêche. Je m’estime chanceuse d’avoir trouvé le truc qui me fait vibrer et encore plus d’avoir opté en premier pour le métier d’infirmière qui va me permettre de réaliser mon rêve d’enfant. »

RÉFÉRENCES

  • 1. Ordre national des infirmiers, « Covid-19 : l’Ordre national des infirmiers alerte sur la situation des 700 000 infirmiers de France alors que l’épidémie s’accélère à nouveau », 11 octobre 2020. En ligne sur : bit.ly/2TpYwo1
  • 2. Environ deux tiers des infirmières reconverties ou en réorientation selon les estimations des deux coachs.

Se réorienter : la solution à tous les maux ?

Irritabilité, pleurs, crises d’angoisse, troubles du sommeil, démotivation, erreurs professionnelles… sont autant de signaux évocateurs d’une grande souffrance psychique au travail à ne pas prendre à la légère, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent conduire au burn out. Et lorsque l’anxiété s’apparente à un stress post-traumatique et que la professionnelle de santé se voit dans l’incapacité de rebondir, comment ne pas envisager sérieusement de se reconvertir ? Mais « attention aux conclusions hâtives !, prévient Pauline Dubar, responsable projets santé publique de l’Association SPS [Soins aux professionnels de la santé, ndlr](1). Face au burn out, il est d’abord indispensable de décortiquer la situation pour comprendre ce qui a poussé la personne dans ses derniers retranchements. Le plus souvent, d’ailleurs, c’est un management toxique qui est en cause, et pas forcément un rejet du métier, comme beaucoup peuvent le penser d’emblée. Avec une bonne prise en charge psychologique, voire juridique, la personne peut être capable de retrouver son cadre professionnel d’avant. Il sera toujours temps, plus tard, de penser à changer de service, voire d’orientation professionnelle. »

1. Cette association vient en aide aux professionnels de santé en souffrance au travail ainsi qu’aux étudiants, et agit en prévention pour leur mieux-être. www.asso-sps.fr

Aller plus loin

BEAUCOUP D’AIDES SOUS-SOLLICITÉES

Un projet de reconversion professionnelle à financer ? Les aides ne manquent pas, mais encore faut-il les connaître ! Entre les noms qui changent régulièrement, les aides qui évoluent dans le temps, les employeurs qui ne les mettent pas forcément en avant, il n’est pas évident de s’y retrouver. Une constante, toutefois : chaque infirmière, qu’elle soit salariée de la fonction publique, du privé, libérale ou demandeuse d’emploi, a droit à une cagnotte CPF [compte personnel de formation, ndlr], calculée sur la base du travail effectué, et consultable via le site www.mon-compte-formation.fr. « C’est le financement le plus répandu parmi les IDE que j’accompagne, puisque 85 % d’entre elles sont prises en charge à 100 %. Mais c’est loin d’être le seul », indique Charlotte Kerbrat, spécialiste de la reconversion professionnelle. Moins connu que le CPF, le CFP [congé de formation professionnelle, ndlr] permet aux agents publics, titulaires ou non, d’accéder à des formations à titre professionnel ou personnel. Autres aides mobilisables dans ce cadre : celle de l’association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) qui couvre les frais de formation et le manque à gagner sur la rémunération.

Côté salariés du privé, le projet de transition professionnelle (PTP), qui remplace le Congé individuel de formation (CIF), et le Pro-A (reconversion ou promotion par alternance) peuvent également mettre la main à la poche. Enfin, outre le CPF, certaines formations sont financées par l’Agence nationale du développement professionnel continu, dans la limite de deux jours par an.