“L’INSTALLATION DANS LA DURÉE DE LA PANDÉMIE INTERROGE LE SENS DES POLITIQUES DE SANTÉ PUBLIQUE” - Ma revue n° 012 du 01/09/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 012 du 01/09/2021

 

ÉDITO

Hélène Trappo  

Rédactrice en chef de L’INFIRMIÈR.E

Avec l’arrivée d’un nouveau train de mesures durant l’été, la pandémie a pris un nouveau tour. De règles de vie contraignantes, on est passé à une gestion bien plus liberticide et autoritaire de la crise qui n’est pas sans conséquences. Du côté des soignants, assortir l’obligation vaccinale contre la Covid-19 d’une sanction économique, alors même qu’ils n’y sont majoritairement pas opposés et déjà astreints à d’autres vaccinations, est difficilement acceptable. Et renvoie un message négatif à la profession toute entière. Des représailles, et pas n’importe lesquelles, comme la suspension du salaire, ni plus ni moins ? Du jamais-vu… La mesure est d’autant plus indigeste que ces mêmes soignants ont fait front contre la pandémie, dans des conditions extrêmes, parfois sans équipements au début de la crise et dans un système de santé en tension. Et rappelons au passage que les fermetures de lits sont toujours d’actualité, que le Ségur laisse les soignants sur leur faim.

Du côté de la population, le déploiement du pass sanitaire, forme d’obligation qui ne dit pas son nom, cristallise les mécontentements et alimente le rejet de la vaccination, lui donnant un tour plus politique. Il est vrai que le dispositif instaure un système de contrôle inédit, à grande échelle, opéré de surcroît par des concitoyens (restaurateurs, directeurs d’établissement) dont ce n’est pas la vocation originelle. À cela s’ajoute la décision de rendre les tests PCR payants, donc un accès au dépistage plus difficile.

Des observateurs et acteurs de terrain s’interrogent sur les effets d’une politique coercitive qui divise et risque de fragiliser encore plus les plus précaires, les plus isolés, dans l’accès aux soins et aux lieux publics. Ainsi, Médecins du Monde, constatant des difficultés d’accès majeures à la vaccination, demandait « une politique volontariste en France qui tienne compte des difficultés d’accès aux soins […] avec des moyens humains pour aller vers les populations à risque ou éloignées du soin », sans quoi elles subiront « de plein fouet les mesures discriminatoires ». Évoquons encore la position d’un collectif de psychiatres qui a signé, le 4 août dernier, une tribune dans Le Monde relatant la situation des « patients psychiatriques, qui peuvent être démunis pour accéder à la vaccination ou présenter un pass sanitaire, que ce soit sous format papier ou numérique ». Et que dire encore des enfants dont les parents décideraient pour eux de ne pas les vacciner et se verraient de fait exclus des sorties et activités extrascolaires ?

L’installation dans la durée de la pandémie, on le voit, interroge le sens et la pertinence des politiques de santé publique. Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) s’est d’ailleurs saisi de la question dans son avis « Éthique et santé publique », car la confrontation à la pandémie fait émerger la nécessité que soient posées « des repères éthiques ». Pour le CCNE, la santé publique ne peut se limiter « au seul champ sanitaire. […] Ainsi, aux réponses curatives et préventives, apportées de manière “générale” à la population, doivent s’ajouter des réponses spécifiques qui prennent en compte la vulnérabilité de différents groupes d’individus, la précarité, la solitude, le grand âge ». À suivre…