Droit disciplinaire, surveillance d’un patient suicidaire, qualité des soins, voici trois décisions de justice dans différents domaines, intéressant les infirmières*.
Des négligences professionnelles et le non-respect de l’organisation du service constituent des fautes disciplinaires pouvant être sanctionnées par une lourde suspension d’exercice (Cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 23 avril 2021, n° 19NT04363).
Faits et procédure. Une infirmière a été recrutée en 2011 par un centre hospitalier au sein duquel elle a exercé dans diverses affectations. Le 3 février 2016, à la suite d’une procédure disciplinaire statutaire, le directeur du centre hospitalier a infligé une sanction d’exclusion temporaire de fonctions pendant un an.
Analyse. Les témoignages de collègues de la soignante peuvent être retenus à titre d’éléments d’information alors même qu’ils ont été recueillis dans le cadre de l’enquête administrative préalable et non pas de la procédure disciplinaire, dès lors qu’ils émanent de personnes qui ont travaillé avec l’infirmière dans ses différentes affectations. Cette dernière a, de manière répétée, commis des négligences dans la préparation des médicaments destinés aux résidents de l’Ehpad, certaines étant susceptibles, selon le témoignage d’un médecin de cet établissement, d’avoir des conséquences graves pour la santé de ces derniers. Il est également établi par les pièces du dossier, en particulier par des comptes-rendus d’entretiens circonstanciés et par plusieurs témoignages de collègues de travail, que la professionnelle de santé avait l’habitude, lorsqu’elle était de service le week-end à l’Ehpad, et donc la seule infirmière présente, de quitter son poste avant l’arrivée de sa remplaçante, laissant ainsi à des aides-soignantes la responsabilité de prodiguer des soins relevant de la responsabilité d’une infirmière. En 2014 et 2015, elle a, à plusieurs reprises, manqué à son devoir de surveillance et d’assistance des résidents et des patients qui lui étaient confiés, négligeant, par exemple, de se rendre au chevet d’une résidente qui souffrait de vomissements, oubliant de retirer à une patiente une sonde urinaire ou augmentant le débit d’une perfusion alors même que celle-ci n’était plus en place et se déversait dans le lit du résident. De même, la mise en cause a, de manière répétée et consciente, méconnu l’organisation des soins en vigueur au sein de l’Ehpad en écoutant, par exemple, de la musique à plein volume pendant qu’elle préparait les piluliers hebdomadaires, ce qui peut expliquer les nombreuses erreurs commises à cette occasion, ou en étant inattentive lors des transmissions d’informations par ses collègues au moment des relèves. Les modalités d’organisation en vigueur au sein de l’Ehpad, même critiquables, ne sauraient expliquer ces différents manquements, s’agissant en particulier de la préparation des piluliers hebdomadaires. Ainsi, les fautes étant établies, la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pendant un an n’est pas disproportionnée.
Le suicide d’un patient, par pendaison dans la chambre d’isolement, alors que le risque suicidaire était connu, n’engage pas la responsabilité dès lors que la surveillance était vigilante, un contrôle constant ne pouvant être exigé (Cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 13 avril 2021, n° 19LY02495).
Faits. Un jeune homme âgé de 26 ans a été admis en hospitalisation complète sous contrainte dans un centre hospitalier spécialisé, où il était suivi régulièrement depuis 2008 en raison d’une schizophrénie de type paranoïde associée à des conduites addictives. Le 27 juillet 2014, entre 11 h 30 et 13 h, il a mis fin à ses jours par pendaison aux charnières de la porte de sa chambre d’isolement et au moyen de ses draps.
Analyse. Le patient était suivi depuis une dizaine d’années par le centre hospitalier spécialisé pour une schizophrénie de type paranoïde avec comorbidité addictive. Sa prise en charge était particulièrement complexe du fait du déni complet de ses troubles, de ses fugues répétées, de son agitation, voire de son agressivité à l’égard des soignants et des autres patients. Ses troubles délirants ont d’ailleurs donné lieu à son placement en chambre d’isolement à plusieurs reprises et à une surveillance rapprochée de son comportement, et ont justifié son transfert à l’unité de soins intensifs en psychiatrie (Usip) de La Roche-sur-Foron à compter du 2 juillet 2014. Toutefois, le 10 juillet 2014, le patient a été réintégré au centre hospitalier spécialisé, date à laquelle il a exprimé pour la première fois des pensées suicidaires. Le 19 juillet, il a essayé de fuguer, tentative renouvelée le 24 juillet, et notamment justifiées par son opposition à son nouveau transfert à l’Usip prévu le 29 juillet suivant. Le 25 juillet, son état d’angoisse s’est accentué avec un chantage au suicide suivi d’une tentative d’autolyse par phlébotomie devant un infirmier. Face à l’expression de ses idées suicidaires, une adaptation du traitement médicamenteux a été mise en place, qui a semblé donner de bons résultats. Entre le 19 juillet et le 24 juillet, il n’a pas été défini de véritable plan thérapeutique, mais le patient a bénéficié de visites régulières de l’équipe médicale dans sa chambre d’isolement. Le 27 juillet, une surveillance a été effectuée toutes les deux à trois heures, soit à 0 h 34, à 5 h 34, à 9 h et à 11 h 30 avant que le jeune patient soit découvert pendu dans sa chambre lors d’une nouvelle ronde à 13 h. Selon l’expert, même si aucun programme spécifique à la crise suicidaire n’a été formalisé, un tel rythme de surveillance ainsi que la pose d’entraves lors des périodes d’agitation correspondent aux bonnes pratiques professionnelles à l’égard des patients hospitalisés en milieu fermé qui recommandent une visite toutes les deux heures dans le cas général. Or, le patient présentait une attitude calme et coopérante la veille et le matin de son passage à l’acte qui pouvait être attribuée à l’efficacité de son nouveau dosage médicamenteux. Aucune urgence suicidaire ne justifiait que des mesures de surveillance plus strictes soient mises en œuvre par l’équipe hospitalière. Il suit de là qu’aucune faute dans l’organisation du service de nature à engager la responsabilité n’a été commise.
Une perfusion par voie veineuse périphérique est un acte de soin courant, et une extravasation révèle une faute infirmière qui engage la responsabilité (Cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 12 mars 2021, n° 19NT02755).
Faits. Une patiente âgée de 64 ans s’est vue implanter, le 8 juin 2011, un dispositif veineux pour recevoir un traitement par chimiothérapie après la découverte d’une lésion métastatique du foie. Au cours de la première séance de chimiothérapie, mise en œuvre le même jour à la polyclinique de Pontivy, une extravasation au niveau axillaire droit s’est produite, qui a conduit au retrait du dispositif implantable. En raison d’une détérioration de son état général, la patiente a été hospitalisée le 30 août. Une hypokaliémie a été diagnostiquée et a été traitée par perfusion de potassium par voie veineuse périphérique. Au cours de la perfusion, une nouvelle extravasation s’est produite, responsable d’une nécrose du poignet droit. Des interventions ont été réalisées le 8 septembre et le 13 octobre pour exciser la zone nécrosée, mais la patiente conserve une limitation fonctionnelle de la main droite.
Analyse. La faute technique. Selon l’article L 1142-1 du Code de la santé publique, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Selon la jurisprudence, la circonstance qu’un acte de soin courant a entraîné une incapacité permanente sans lien avec la pathologie initiale révèle en principe une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier. La nécrose de la main droite présentée par la patiente, qui est à l’origine de son handicap, a été provoquée par l’extravasation du potassium qui lui a été administré par voie veineuse périphérique pour traiter l’hypokaliémie dont elle souffrait. Cette perfusion constitue un acte de soin courant. Les troubles qui en résultent, qui sont sans lien avec la pathologie pour laquelle elle était soignée, révèlent donc une faute dans l’organisation et le fonctionnement du centre hospitalier de nature à engager la responsabilité. En revanche, le choix de perfuser la patiente par voie veineuse périphérique plutôt que par voie veineuse centrale n’est pas fautif, alors même qu’il entraînait un risque plus élevé d’extravasation.
L’information. Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Toutefois, cette information ne porte pas sur les conséquences éventuelles des actes de soins courants, tels qu’une perfusion, mais seulement sur celles des traitements administrés au cours de ces actes. La patiente n’est donc pas fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier pour méconnaissance de son obligation d’information.
* Source : Objectif Soins & Management, n° 281, juin-juillet 2021