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Pas toujours facile de conserver de bonnes habitudes quand le rythme est constamment chamboulé ! Pourtant, pour les infirmières en horaires postés, il est encore plus important d’adopter de bons réflexes. Mais les conseils sont valables pour toutes les soignantes…
Préserver son hygiène de vie est un défi, pour ne pas dire un vœu pieux, pour les infirmières. Ne serait-ce que pour le sommeil, les personnels soignants sont moins bien lotis que la population générale, ainsi que l’a mis en évidence une étude menée par le réseau Morphée, en 2017 : 60 % des quelque 1 000 professionnels de soins interrogés rapportaient dormir moins de six heures par nuit en semaine, contre 45 % du reste des sondés. Sans surprise, les difficultés à maintenir une bonne alimentation, un sommeil de qualité et un niveau de stress acceptable – ou du moins gérable – sont encore accrues pour les infirmières qui travaillent en horaires postés et qui changent régulièrement de rythme. Pourtant, en suivant quelques conseils, il est possible de prendre soin de sa santé même en ayant des horaires atypiques et changeants. Voici un petit guide pour trouver de l’inspiration et adopter de bons réflexes.
Fermer les yeux et filer dans les bras de Morphée… Les vertus d’un bon sommeil ne sont plus à démontrer : meilleure humeur, capacité d’attention augmentée, réflexes plus rapides, meilleure mémoire comptent parmi les bénéfices immédiats. À long terme, bien dormir préserve aussi la santé cardiaque, limite les risques de prise de poids et aide à prévenir les maladies neurodégénératives et certains cancers. « Il faut essayer de respecter, autant que possible, un temps de sommeil de sept heures, préconise Nathalie Petit, formatrice spécialisée dans la gestion du stress et la prévention du burn-out des soignants. Si la nuit a été trop courte, on peut compenser en partie par une sieste. » Pour autant, rien ne sert de paniquer quand on constate que l’on ne parvient pas à s’endormir ou que l’on se réveille au milieu de la nuit. Les problèmes d’endormissement ou d’insomnie sont plus fréquents quand on ne peut pas maintenir un rythme régulier de coucher et de lever. « Le corps a besoin de temps pour se caler sur un nouveau rythme. On estime qu’il lui faut en moyenne un jour pour absorber un décalage d’une heure, donc, mathématiquement, huit jours pour un décalage de huit heures », explique le Dr Vincent Attalin, généraliste spécialisé dans les troubles du sommeil et de l’alimentation. Pour les postes organisés en roulements, l’idéal serait donc d’avoir des périodes assez longues avec les mêmes horaires pour laisser le temps à l’organisme de s’adapter.
« Deux systèmes régulent notre sommeil, poursuit le médecin. Le premier correspond à l’alternance jour/nuit, et explique qu’on a tendance à s’endormir le soir et à être actif le matin. Le deuxième est comparable à un sac à dos vide le matin qui se remplit en besoin de sommeil tout au long de la journée. C’est pour cela qu’on est fatigué en fin de journée. » Il est donc plus facile de s’endormir quand les deux rythmes coïncident. Mais lorsque ce n’est pas le cas, on peut essayer quelques astuces, pour “leurrer” le corps. « Par exemple, une infirmière qui rentre chez elle le matin alors que le soleil brille déjà peut porter des lunettes noires pour éviter que son organisme ne se mette en mode “journée” », suggère Nathalie Petit. Il est aussi possible d’aménager son logement en isolant la chambre du bruit et de la lumière en journée pour reproduire une ambiance nocturne.
Attention cependant à ne pas se rajouter un stress supplémentaire. « Quand on est ultra-attentifs à limiter les bruits, à couper les écrans à heure fixe, à éviter le café et les excitants, à bloquer la lumière, etc., on n’est plus dans le cadre du rituel. Le risque, c’est que si l’une de ces conditions n’est pas remplie, on se focalise dessus », prévient Vincent Attalin. Il conseille plutôt d’accepter qu’à certaines heures, il puisse y avoir des bruits, des vibrations, une certaine luminosité… « Quand on est fatigué, on peut s’endormir même dans un environnement peu favorable », insiste-t-il. Le tout est d’en être convaincu.
Quand le rythme veille/sommeil est perturbé, deux événements désagréables guettent : le réveil intempestif au courant de la nuit – ou des heures dédiées au sommeil – et le coup de pompe pendant la journée ou durant le temps de travail. Pour prévenir le premier, on peut prendre soin, paradoxalement, de ne pas trop dormir lorsqu’on travaille de nuit et qu’on se repose en journée. L’idée est d’éviter le fameux “jet-lag” des jours de repos, où il est plus difficile de reprendre un rythme classique. « Faire une sieste de quelques heures, puis avoir une petite activité avant de se reposer à nouveau permet d’être encore fatigué le soir quand vient l’heure d’aller se coucher », conseille le Dr Attalin. Lorsqu’on se réveille quand même en milieu de nuit, il y a un risque de compter les heures qui restent et de s’inquiéter, faisant du même coup partir “le petit vélo”. « Si l’on commence à stresser, le corps passe en mode éveil et l’on se rendormira d’autant moins, précise la formatrice. La première chose à faire, c’est d’accepter qu’on soit réveillé sans angoisser, se dire qu’il y a des nuits plus courtes que d’autres. » Elle propose ensuite de faire un petit exercice de relaxation musculaire. « On peut passer le corps en revue, une partie après l’autre, détaille-t-elle. Il faut alors contracter les muscles le plus fort possible pendant trois secondes, puis relâcher, en commençant par les pieds, puis les mollets, etc. L’attention est concentrée sur les sensations corporelles, et plus sur un stress, et cela permet d’induire une vraie détente. »
Autre possibilité : pratiquer la cohérence cardiaque. « Dans les années 1990, les chercheurs ont découvert que notre cœur ne bat pas à un rythme toujours parfait. Cette variabilité peut être chaotique quand on stresse, qu’on a peur, etc. Mais elle peut aussi être cohérente et induire un fonctionnement harmonieux de tous nos systèmes : respiratoire, cardiovasculaire, cérébral, digestif…, explique Nathalie Petit. On peut s’entraîner à atteindre cet état harmonieux pour rétablir la cohérence cardiaque, en s’exerçant trois fois par jour. » Matin, midi et soir, on prend cinq minutes pour respirer : cinq secondes d’inspiration, cinq secondes d’expiration. « C’est encore mieux si l’on concentre son attention sur la respiration abdominale ou sur une image mentale agréable. Des applis gratuites pour smartphone matérialisent l’alternance inspiration/expiration, avec des variations lumineuses, par exemple », poursuit-elle. Cette technique peut ensuite être utilisée pour faciliter l’endormissement, mais aussi pour se reposer en cas de coup de fatigue pendant les heures de travail.
« Pour faire une pause, s’extraire de l’état de fatigue intellectuelle et insuffler de la bienveillance dans cette difficulté que l’on ressent, on peut aussi pratiquer la pleine conscience », recommande Catherine Fortin, instructrice mindfulness, qu’elle décrit comme une pratique à la croisée des chemins entre la méditation et l’exercice cognitif. « La clé, c’est de prendre deux minutes pour s’enraciner dans quelque chose et décentrer son attention du stress ou de la fatigue pour la concentrer sur une sensation. Cet ancrage physique peut être nos pieds dans le sol, un son, notre respiration », déroule-t-elle. Bien sûr, cela ne remplacera jamais les bénéfices d’un somme, mais cet outil permet de lutter contre le coup de fatigue et ses conséquences parfois délétères sur soi et/ou sur le travail.
Comme pour la cohérence cardiaque, l’exercice ne fonctionne que si on le maîtrise. D’où l’importance de le pratiquer régulièrement et de s’initier lors de séances (en groupe ou en ligne). Car au-delà d’une technique de relaxation, c’est une façon différente d’appréhender les situations difficiles qui est proposée. « Avec la mindfulness, on apprend à se porter attention, à sortir du jugement sur soi et sur les autres, à accepter qu’on puisse avoir du mal à faire ou à vivre quelque chose, décrit encore la formatrice. On peut s’entraîner à reconnaître en soi les manifestations physiques de bien-être et de mal-être pour mieux identifier nos états émotionnels. »
S’exercer à faire la différence entre nos sensations physiques, c’est aussi ce que préconise Vincent Attalin, qui dresse le constat que bien souvent, on confond les manifestations de la fatigue, de la faim, voire du stress. Là encore, cette confusion est exacerbée par l’irrégularité des rythmes de vie. Tout se passe dans la région du plexus. Le stress, l’ennui, la peur sont des émotions qui se font ressentir par une gêne au niveau du plexus solaire. De même, la fatigue crée une barre dans cette zone, qui peut se doubler de picotements dans les yeux. « Comme on a tendance à confondre ces sensations avec de la faim, on va manger pour faire passer un coup de fatigue, pour combler l’ennui ou pour évacuer une peur ou une tristesse, remarque le médecin. Or, la faim est une sensation un peu différente : c’est un creux à l’estomac, sans brûlure ni douleur. »
Si le rythme classique de trois repas par jour, plus une collation, organise la vie sociale et donne des repères pour limiter le grignotage, il ne doit pas non plus devenir un mantra. « Parfois, les infirmières qui travaillent la nuit prennent un repas tard le soir, voire au milieu de la nuit. Quand elles rentrent le matin, elles font un vrai petit déjeuner pour partager ce moment avec leurs enfants, alors qu’elles n’ont pas vraiment faim. Elles ont davantage besoin de dormir que de manger, et cela peut entraîner des prises de poids importantes », rappelle le spécialiste des troubles du sommeil et de l’alimentation. Si l’on souhaite maintenir le petit déjeuner pour son rôle social, mieux vaut alors se contenter d’une boisson ou d’un fruit.
« On a tendance à favoriser des aliments avec des index glycémiques (IG) trop élevés et ce, dès le petit déjeuner, note Nathalie Petit. Or, le cerveau réagit en sachant qu’il y aura une chute de la glycémie deux heures plus tard, et il se met déjà en stress. » Sans compter que lorsque l’on est fatigué, on a encore plus tendance à manger de choses sucrées, salées ou grasses. Il faut donc être d’autant plus vigilant. Concrètement, on évite les viennoiseries et les barres chocolatées, même le matin, au profit de pain complet, par exemple.
« Avant d’aller travailler, quelle que soit l’heure, il est intéressant de favoriser les protéines. Et au retour, avant d’aller se coucher, de faire un repas avec un IG modéré ou bas pour faciliter l’endormissement », ajoute-t-elle. Quand on fait un long service, ou que l’on travaille de nuit, la collation intervient souvent comme une pause nécessaire et bienvenue. « Si l’on aime les gâteaux, on peut essayer de se préparer des cookies de céréales, mais tout le monde n’a pas le temps de cuisiner ce genre de choses en avance, admet la formatrice. Mieux vaut alors prévoir un produit laitier, un fruit, du pain complet… Par exemple, un sandwich au fromage et au concombre, avec un œuf dur. » Et faire attention à ne pas manger plus que ce dont on a vraiment besoin…
De manière générale, la plus grande dérégulation des rythmes induite par des horaires postés doit inciter les infirmières à être particulièrement vigilantes à leurs véritables besoins physiologiques. « Cela peut être vu comme une contrainte supplémentaire, mais ça peut aussi être un avantage sur le long terme, car leur santé sera peut-être mieux préservée que celle de collègues qui ont des horaires plus classiques mais de moins bonnes habitudes en termes d’alimentation, de sommeil et de gestion du stress », conclut la formatrice.
La pleine conscience, ou mindfulness, peut aider à interrompre la machine infernale du stress et de la fatigue intellectuelle. Catherine Fortin, instructrice, propose d’adopter la méthode STOP. « C’est un acronyme anglais, mais il est facile à retenir, glisse-t-elle. S pour Stop, faire une pause ; T pour Take a breath, se reconnecter à sa respiration ; O pour Observe, être attentif à ce qui se passe en nous et autour de nous ; P pour Proceed, trouver quelque chose qui nous rend service (se préparer un thé, se masser la nuque, fermer les yeux…). » Pratiquée régulièrement, cette technique participe à une meilleure hygiène de vie.
Bien que l’idée d’une barre chocolatée pour se donner un coup de fouet au milieu des heures de travail soit tentante, mieux vaut l’éviter. L’énergie gagnée est de courte durée, mais le sucre, le gras et le sel contenus sont néfastes pour l’organisme. On peut, par contre, composer un en-cas et ses repas en favorisant des aliments à index glycémique (IG) modéré, comme les pâtes blanches, les fruits secs, le pain complet, les bananes, le miel ou encore les céréales complètes. Parmi les aliments à IG bas, on compte les légumineuses, les oléagineux, les flocons d’avoine, mais aussi les pommes, les oranges, les fruits rouges et les légumes verts.