L'infirmière n° 013 du 01/10/2021

 

DÉVELOPPEMENT DURABLE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin  

Aujourd’hui, écologie et exercice libéral peuvent faire bon ménage. Des mesures simples peuvent être prises pour se lancer dans une démarche écoresponsable, écoconcevoir les soins et réorganiser le cabinet.

Chronophage, manque de temps, d’expérience… Quand on interroge les infirmières libérales (Idels) sur la mise en place d’une pratique écoresponsable au sein de leur cabinet, de nombreuses justifications viennent expliciter les raisons qui les conduisent à ne pas s’inscrire dans cette initiative. Pourtant, écoconcevoir ses soins, c’est-à-dire respecter les principes du développement durable pour réduire son impact sanitaire, environnemental, social et économique, est tout à fait envisageable. « Dans tous les processus de changement il faut lâcher la pression, soutient Marie Mora, Idel remplaçante et éco-infirmière dans une coopérative d’activités et d’emplois, Coop’alpha formation, du côté de Bordeaux. Ce “pas à pas” doit être issu d’une démarche personnelle. Il ne faut donc pas mettre la barre trop haut, ne pas vouloir tout changer du jour au lendemain, sinon, c’est voué à l’échec. »

UN CABINET PLUS ÉCOLO

À l’échelle du cabinet, de petites actions ayant de grands bénéfices peuvent être déployées, comme l’utilisation d’ampoules basse consommation, la diminution de la consommation d’eau en réduisant le volume dans la cuvette des toilettes ou en équipant son robinet d’un mousseur. Ces différentes mesures permettent à la fois de réduire sa dépense énergétique mais également, par voie de conséquence, le montant de la facture.

Autre point essentiel : éviter l’emploi de produits chimiques toxiques pour l’entretien des locaux, lesquels doivent être aérés quotidiennement. Le contexte actuel de la crise sanitaire a exacerbé ce besoin de tout désinfecter, pourtant, « du savon noir est suffisant pour nettoyer les sols, donne en exemple Émeric Vaillant, éco-infirmier installé en libéral à Amboise (Indre-et-Loire) et formateur à l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen). Il n’est pas du tout nécessaire de mettre de l’eau de javel partout, même dans une structure de soins. » Autre constat : « Avec la crise sanitaire, l’emploi du gel hydroalcoolique a été considérablement déployé, regrette Philippe Perrin, également éco-infirmier et fondateur de l’Ifsen. Mais cela participe à l’antibiorésistance, et c’est aussi une façon de diffuser des composés antimicrobiens dans la nature, donc de modifier l’équilibre des sols. Il faut utiliser ces produits à bon escient, au bon endroit. Parfois, du savon suffit amplement. »

LA MOBILITÉ AUTREMENT

Exerçant leur métier en majorité au domicile des patients, les Idels peuvent agir sur l’impact environnemental de leurs déplacements. Marie Mora, adepte de la mobilité douce, effectue sa tournée à vélo lorsqu’elle est inférieure à 70 kilomètres. Sinon, « je prends le vélo électrique », confie-t-elle, précisant que le temps doit aussi le permettre. Ce type de déplacement impose de repenser son organisation avec, dans son sac à dos, le matériel de base et une trousse d’urgence uniquement.

Pour la majorité des professionnelles libérales qui font leur tournée en voiture, elles doivent savoir que « le style de conduite a une influence sur l’environnement, signale Philippe Perrin. Entre une conduite souple et une conduite nerveuse, c’est 40 % de consommation d’énergie en moins. Cela limite en outre l’usure du véhicule, donc le coût d’entretien, qui doit néanmoins être régulier, ne serait-ce que le changement des filtres à air. »

Mais au-delà de la conduite, le choix du véhicule a aussi toute son importance : entre les modèles thermiques (diesel ou essence), les hybrides (2 à 3 kilomètres d’autonomie électrique), les hybrides rechargeables (50 à 60 kilomètres d’autonomie en électrique pur) et les 100 % électriques, de multiples options s’offrent aux Idels. « Je possède une voiture 100 % électrique, mais j’ai l’avantage d’avoir une petite tournée d’une centaine de kilomètres par jour », reconnaît Émeric Vaillant. À défaut de pouvoir recourir à du 100 % électrique, il est possible d’opter pour un véhicule hybride, voire hybride rechargeable mais « encore faut-il pouvoir le recharger pour que la voiture utilise l’électricité, ce qui évite l’émission de gaz à effet de serre », rappelle le soignant. Certes, c’est un investissement à l’achat, mais au regard du coût du carburant et du kilométrage effectué, sur le long terme, l’Idel peut être gagnante. « D’autant que les infirmières sont nombreuses à rouler en 4×4 ou en SUV, des véhicules à la fois très polluants et très coûteux, alors que même en montagne, ce n’est pas nécessaire », soutient Émeric Vaillant, qui a lui-même exercé en région montagneuse.

Néanmoins, lorsque l’on parle de l’impact environnemental de la mobilité « il faut reconnaître qu’il n’y a pas de solution idéale », admet Philippe Perrin. Une étude comparative pour définir l’écobilan du véhicule est indispensable pour tenir compte de l’énergie grise, à savoir la quantité d’énergie consommée lors du cycle de vie d’un matériau ou d’un produit. « Pour faire un choix entièrement écoresponsable, il faut prendre en considération l’impact de la production des batteries sur l’environnement, rappelle-t-il. Plus la batterie électrique est puissante, plus il faut de lithium pour la concevoir. Le bilan énergétique pour sa fabrication va donc être lourd. Mais il est vrai qu’une batterie d’une plus faible puissance a moins d’autonomie, ce qui limite, par conséquent, le recours à l’électrique. »

DU TRI DANS LES DÉCHETS

Si le choix du véhicule permet de réduire son empreinte carbone, c’est le cas également en ce qui concerne le traitement des déchets. Et dans ce domaine, le comportement des Idels, peut-être trop précautionneuses, est loin d’être “eco friendly”. « L’enjeu est très important, même si cela peut sembler compliqué en libéral, notamment par manque de temps », reconnaît Nelly Phansiri, infirmière de formation, aujourd’hui conseillère en développement durable au sein de l’agence Primum non nocere. Souvent, après un soin, tout est jeté avec les déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) alors que tous les éléments ne vont pas être contaminés (lire l’article « Daom, DRCT, Dasri : suivez la bonne filière ! » p. 54). Il est par exemple possible de placer la barquette plastique des pansements dans la filière de recyclage et certains autres déchets dans les ordures ménagères.

« Le traitement des Dasri ayant un impact environnemental lourd, il y a un intérêt majeur à limiter leur quantité », indique Nelly Phansiri. Mais « les infirmières étant responsables de leur tri, elles adoptent un comportement très prudent, parfois dans l’excès, regrette Philippe Perrin. Tout jeter dans les Dasri est beaucoup plus polluant et coûte aussi plus cher, car le prix du traitement est fonction du poids. Dans le contexte de la crise sanitaire, certains préfèrent en faire trop. Mais il ne s’agit même plus de précaution car cela repose sur un risque hypothétique. » Pour l’éco-infirmier, il faudrait être dans l’accompagnement car « on a tous des croyances et des représentations erronées. Si l’on forme quelqu’un dans ce cadre, je ne suis pas sûr que cela fonctionne. »

L’USAGE UNIQUE, PAS AUTOMATIQUE

Pour générer moins de déchets, les Idels peuvent s’interroger sur les matériaux qu’elles utilisent pour réaliser leurs soins. Ces dernières années, le recours à l’usage unique a été privilégié par simplicité, praticité et pour limiter les risques de contaminations croisées. Or, « les protocoles de soins ont beaucoup évolué et la stérilité n’est plus exigée pour tous les soins », fait savoir Marie Mora. Le kit de soins peut paraître plus pratique, mais à l’issue de l’acte, de nombreux éléments qui n’ont pas été utilisés doivent tout de même être jetés. Cette surconsommation impactant le développement durable, il peut donc être opportun de privilégier le matériel déconditionné. Ainsi, Émeric Vaillant vérifie toujours les prescriptions des médecins pour éviter les doublons – et donc la constitution d’un stock inutile. « Souvent, ils prescrivent des sets de soins et des boîtes de compresses alors que les sets comprennent déjà des compresses », indique-t-il. Et d’ajouter : « Personnellement, je n’utilise pas les sets de soins, j’ai mon propre matériel en Inox que je stérilise au cabinet. Certes, cela a un coût puisque le matériel est à mes frais, mais de cette manière, j’agis sur l’environnement et je m’assure aussi de toujours disposer de matériel pour effectuer mes soins. » Tout comme il est possible d’adapter le consommable à ses soins. Ainsi, nul besoin d’acheter des compresses stériles si ce n’est pas nécessaire, d’autant plus que « c’est plus coûteux à produire et que ça génère du suremballage », rapporte Philippe Perrin.

Les professionnelles peuvent par ailleurs privilégier les achats groupés dans leur cabinet, entre cabinets, au sein d’une Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), voire à l’échelle d’une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Les achats groupés permettent à la fois d’obtenir un prix sur les commandes – le pilier économique du développement durable est ainsi correctement impacté – et de jouer sur le conditionnement et le transport, donc de réduire l’empreinte carbone. Les soignantes peuvent, par la même occasion, en profiter pour s’assurer que la centrale d’achats sélectionnée affiche un engagement en termes de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). « L’achat groupé est un moyen pour les professionnelles de santé de faire remonter leurs besoins aux centrales d’achats, estime Nelly Phansiri. Par exemple, leur dire de revoir la composition de certains sets afin de réduire le nombre de dispositifs médicaux qui les composent. » « Tout ce qu’on peut faire pour influencer les fabricants, c’est déjà ça de gagné, estime Philippe Perrin. C’est la politique des petits pas… » Elles peuvent également vérifier la composition des dispositifs médicaux afin de limiter, voire s’abstenir d’acheter ceux composés de perturbateurs endocriniens ou d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques (CMR) pour la reproduction.

SENSIBILISER LES PATIENTS

Dernier axe d’action : familiariser les patients à l’écoresponsabilité, notamment parce que « l’écoconception des soins exige l’implication du malade dans sa prise en charge, en le sensibilisant et en l’éduquant, afin qu’il prenne conscience de l’importance que peuvent avoir les soins sur l’environnement », rapporte Nelly Phansiri. Ce qu’Émeric Vaillant pratique déjà. « J’explique ma démarche à mes patients, pourquoi je ne commande pas tout le matériel des prescriptions, pourquoi je jette les emballages des pansements dans la poubelle de recyclage. Mais en aucun cas je ne les force à agir. » « Dans les hôpitaux, on se rend compte que l’empreinte carbone est principalement liée à la politique d’achat, explique Philippe Perrin. De fait, sensibiliser le patient à acheter le bon matériel en quantité nécessaire est très efficace pour réduire l’empreinte carbone des soins. »

Mais la sensibilisation peut également se faire sur la consommation de médicaments. « Souvent, les placards des patients débordent, constate Nelly Phansiri. Or, en cette période de rupture de stocks, il est très important d’attirer leur attention sur leur consommation. » Les Idels peuvent les encourager à vérifier d’abord ce qu’ils ont chez eux avant de se rendre à la pharmacie.

« Le rôle éducatif des Idels est primordial, d’autant que les patients nous font confiance, et que nous jouons un rôle d’exemplarité vis-à-vis d’eux, indique Philippe Perrin. Il est donc important de communiquer sur nos engagements, avec des affiches ou des brochures dans les salles d’attente des cabinets. » « En intervenant à domicile, nous pouvons toucher tout type de public, même des personnes qui ne se seraient pas spontanément intéressées, renchérit Marie Mora. Si les conseils sont donnés en douceur, sans jugement, en tenant compte du cadre de vie, l’effet peut être très positif. »

TÉMOIGNAGE

“Il faut réinterroger le bon sens”

David Deransart, infirmier libéral à Lyon (Rhône).

« Je me suis formé en santé environnementale à l’Ifsen, car je voulais faire de la prévention et j’avais l’intuition qu’il y avait des actions à mener par rapport à la surmédicalisation et à la surconsommation de soins. Je souhaitais redonner un élan à la prévention primaire que peut exercer l’Idel vis-à-vis des patients. Cela a réveillé des craintes car j’ai réalisé l’étendue des dégâts dans de nombreux domaines. J’ai mis longtemps à porter le message au sein de mon cabinet et il n’a pas vraiment été entendu. Pour agir, il faut recueillir l’adhésion des autres et c’est difficile sans sensibilité apparentée. On peut bien laver son sol au savon noir, si le lendemain notre collègue le fait à l’eau de javel, cela n’a aucun sens. Ce métier est un investissement personnel. Je me rends compte que c’est difficile de faire des choses en commun. C’est très personne-dépendant, il faut travailler en bonne entente. Idem pour les déchets. Certaines infirmières libérales bottent en touche. L’éducation des patients est également compliquée. C’est parfois difficile de faire changer les habitudes et les représentations. Il faut réinterroger le bon sens. L’accompagnement doit se faire dans le temps, il faut être patient car c’est plein de rebondissements et on est souvent perçus comme des perturbateurs. Cela demande une énergie importante qui n’est ni payée, ni revalorisée. Mais c’est passionnant ! »

Aller + loin

Sur le site de l’Agence de la transition écologique (Ademe), il est possible de trouver de nombreuses informations et de commander des documents sur des thématiques du développement durable, comme « Éco-responsable au bureau » (bit.ly/3CPKHBP), « Moins de produits toxiques » (bit.ly/3xVdCAq), « 40 trucs et astuces pour économiser l’eau et l’énergie » (bit.ly/3xR8jlx) ou encore « Guide de formation à l’éco-conduite » (bit.ly/3CQJyd4).

LE CARNET DE BORD DE MARIE-CLAUDE DAYDÉ, infirmière libérale

[ Cotation ]

En tant que remplaçant, j’ai vu un enfant pour un pansement chirurgical simple tous les deux jours et ablation de fils (onze en tout) au 10e jour. Il a eu 7 ans au cours de la série de soins. L’infirmière que je remplace m’indique que je ne peux pas facturer la majoration pour enfant, seulement la MCI le jour de l’ablation des fils. Un autre collègue m’explique que je peux facturer la MCI et la MIE. Qu’en est-il précisément ?

La majoration infirmier enfant (MIE), facturable depuis le 1er janvier 2020, peut être cotée jusqu’à la veille des 7 ans de l’enfant. Si la date d’anniversaire tombe en cours d’une série de soins, la MIE ne pourra alors être cotée que sur une partie de ceux-ci, soit ceux réalisés avant les 7 ans du patient. Cette majoration est cumulable avec les autres majorations en vigueur : majoration de coordination infirmière (MCI) ou majoration d’acte unique (MAU), sans oublier dimanche ou férié.

Dans la situation que vous évoquez, vous ne pouvez pas cumuler MIE et MCI, car cette dernière ne peut être facturée avec ce pansement. Il s’agit d’un pansement en AMI 4 pour ablation de plus de dix points, mais il n’est pas répertorié dans la liste des pansements lourds et complexes (chapitre I, article 3 de la Nomenclature générale des actes professionnels) permettant la cotation de la MCI.

[ À propos de…]

LA CONFIDENTIALITÉ

En ces temps de crise sanitaire, la confidentialité et le secret professionnel se trouvent trop souvent en défaut. C’est le cas lorsque l’infirmière s’habille en tenue de protection Covid devant le domicile du patient ou lorsqu’en centre de vaccination, dans la file d’attente de vérification du questionnaire, il est demandé au patient d’indiquer son traitement et qu’il répond à voix basse qu’il a le VIH ! Sans oublier qu’à domicile, l’engouement et le développement de l’exercice coordonné ou regroupé laissent penser à certains que le secret est aussi partagé. La loi du 26 janvier 2016 prévoit qu’au sein d’une même équipe de soins, les informations communiquées à l’un des professionnels sont réputées confiées à l’ensemble de l’équipe par la personne. Celle-ci doit toutefois être informée de son droit d’opposition à ces échanges. Ceux-ci devant être « strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social » et les professionnels être dans le périmètre de leur mission (article R 1110-1 du Code de la santé publique). Ce qui n’est pas toujours le cas, et la confusion fréquente entre secret dit « partagé » et partage de certaines informations faites en confidence. Dommage !