LIEN VILLE-HÔPITAL
JE DÉCRYPTE
ORGANISATION DES SOINS
Le SAS, mesure-phare du « pacte de refondation des urgences » de 2019, est devenu une réalité dans près de 20 départements. Reste à savoir si le quotidien de la population et des soignants a été bouleversé.
D’ici l’été 2020, je veux que tous les Français disposent d’un moyen d’accéder en toutes circonstances, à distance, à un service capable de répondre à leurs besoins de santé et de leur éviter de se rendre inutilement dans un service d’urgences. » Tel était le souhait émis par Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, le 9 septembre 2019, en présentant la clé de voûte de son « pacte de refondation des urgences » : le Service d’accès aux soins (SAS). Entretemps, le projet a pris un peu de retard. Il faut dire que les services d’urgences et autres Samu ont eu d’autres chats (et quelques virus) à fouetter. Mais le SAS a tout de même été mis en route sur 22 sites-pilotes regroupant 26 départements. 16 de ces sites ont même démarré leurs activités de manière effective et ont déjà reçu leur premier appel. Voilà qui permet de commencer à dresser un premier bilan.
Mais auparavant, il faut rappeler la logique qui sous-tend cette nouvelle organisation des soins non programmés. Imaginé comme une réponse à la fronde qui a animé les urgences au début du quinquennat, le « pacte » entendait s’attaquer à la fois à l’amont, à l’aval et à l’intérieur des services d’urgences. Le SAS était la principale arme concernant l’amont : il devait détourner des hôpitaux le flux des patients qui se retrouvent aux urgences parce qu’ils n’ont pas trouvé de réponse ailleurs, mais dont l’état relève de la médecine de ville. Et pour ce faire, il fallait en passer par un grand chambardement de la régulation médicale, chaque territoire s’organisant au mieux en fonction des contraintes et priorités des acteurs locaux.
Exemple avec le SAS du Rhône qui, selon un communiqué de presse diffusé par l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes, a réceptionné son premier appel le 1er février dernier. Le patient, qu’il appelle le 15 ou la maison médicale de garde, expose son problème à un premier assistant de régulation médicale (ARM), lequel évalue le degré d’urgence de la situation. Celui-ci décide soit d’envoyer directement des secours sur place, soit de passer l’appel à un second assistant de régulation médicale, qui poursuit l’interrogatoire avant de transférer à un médecin régulateur des urgences ou à un médecin généraliste. Des secours peuvent alors être déclenchés, ou un troisième intervenant, un opérateur de soins non programmés, prend le relais pour trouver un rendez-vous dans une structure adaptée.
« C’est un système qui n’est pas hospitalo-centré, décryptait Christine Curie, directrice référente des pôles médecine et urgences, réanimation médicale et Samu des Hospices civils de Lyon dans un communiqué publié par l’ARS à la suite du lancement effectif du SAS rhodanien. Le SAS 69 est avant tout un service d’orientation de la population du Rhône dans un parcours de soins adapté à ses besoins de santé. Il répond à la demande de soins vitaux, urgents et non programmés grâce à une prise en charge coordonnée entre la ville et l’hôpital. »
Là où il a pu démarrer, le système semble donner satisfaction, du moins si l’on en croit le Dr François Braun, chef du service des urgences au CHR de Metz-Thionville et président du syndicat Samu-Urgences de France : « Ce qui a été réalisé jusque-là est déjà intéressant, surtout dans le contexte de la crise sanitaire, et le fait d’avoir déjà 16 sites en ordre de marche est en soi une bonne nouvelle. »
Celui-ci se félicite notamment de voir que le principe du décroché en deux temps, adopté dans tous les sites-pilotes, semble efficace. « On arrive à un décroché en moins de 30 secondes, ce qui correspond aux standards des meilleurs centres d’appel internationaux, souligne le Lorrain. On constate par ailleurs qu’il y a très peu de problèmes d’orientation entre les deux filières (filières “urgences” et “médecine de ville”, NDLR) et qu’on est en capacité de basculer de l’une à l’autre si nécessaire. » François Braun souligne que certains SAS ont ajouté des filières supplémentaires pour répondre à des demandes spécifiques de soins non programmés dans les domaines de la psychiatrie et du médico-social.
Voilà qui serait une excellente nouvelle si, en interrogeant des praticiens de terrain, on n’avait pas d’autres sons de cloche. Or, ceux-ci décrivent une réalité loin d’être toute rose. Tout d’abord, les SAS ne semblent pas avancer partout à la même vitesse. « À Paris, ça patine un peu », confie ainsi Oscar*, urgentiste parisien. De fait, alors que le SAS de la capitale est, de loin, celui qui doit couvrir la plus grande population (le site-pilote doit englober Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne), il semble encore loin de pouvoir réceptionner son premier appel.
Autre souci : les soignants ne voient pour l’instant pas se matérialiser leurs espoirs de tarissement du flux de patients non urgents qui embolisent les urgences. « Chez nous, les équipes de régulation ont été renforcées il y a déjà plusieurs mois dans le cadre du SAS, et au moins trois ARM ont été recrutés, témoigne Christine*, infirmière aux urgences d’un hôpital qu’elle préfère ne pas nommer. Mais pour l’instant, nous ne voyons pas d’effets tangibles : le nombre de passages aux urgences continue d’augmenter, nous avons toujours des gens qui viennent pour des broutilles, et les résidents des Ehpad continuent de nous être envoyés. » Au CHU de Bordeaux, si les mots sont différents, la réalité décrite est la même. « Si vous venez parler du SAS au personnel des urgences, vous verrez que peu de monde en a entendu parler, et qu’en tout cas, personne n’en a vu les effets, soupire Gilbert Mouden, Iade et délégué Sud-Santé dans l’établissement girondin. On peut même dire que cet été, malgré le SAS, nous avons été débordés, avec des sous-effectifs importants et des établissements de la région qui avaient dû fermer la nuit pendant quelque temps et dont nous devions accueillir les patients. » Il faut dire que dans certains établissements, tous les outils ne semblent pas encore en place pour que la régulation puisse proposer aux patients des solutions alternatives. « Je pense que le SAS peut être un bon système, mais qu’on a mis la charrue avant les bœufs », estime Yohann*, ARM dans un CHU. Celui-ci voit deux problèmes principaux. « Tout d’abord, nous sommes passés en mode SAS sans moyens supplémentaires en termes d’effectifs », regrette-t-il, alors que la mise en place de deux circuits d’appel aurait, selon lui, nécessité des augmentations d’effectifs. « Mais surtout, nous n’avons pas de réponse supplémentaire à apporter à la population, ajoute le jeune homme. Nous n’avons pas de convention avec SOS Médecins, avec un site de prise de rendez-vous en ligne, aucun listing de VSL ou de taxis conventionnés… »
Quand on lui fait part de ces situations, François Braun ne fait pas semblant de découvrir le problème. « Il est vrai que les choses ne sont pas encore totalement opérationnelles partout, concède-t-il. Mais il faut concevoir qu’il s’agit d’une véritable révolution pour la médecine libérale qui avait l’habitude de s’occuper de sa propre patientèle, et à qui on demande maintenant de s’occuper d’un territoire. » En résumé, il faudrait, selon lui, donner du temps au temps afin que l’offre de soins alternative aux urgences ait le temps de se structurer. Ensuite seulement pourrait apparaître le tant attendu désengorgement des services d’urgences.
Le président de Samu-Urgences de France souligne par ailleurs un autre défi qui se dresse devant les sites-pilotes du SAS : le manque de médecins généralistes pour effectuer de la régulation médicale. « En ce moment, les centres de vaccination sont de grands concurrents en ce qu’ils rémunèrent très bien les médecins qui ont un peu de temps libre, remarque-t-il. Des négociations conventionnelles viennent de se conclure entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie, mais les syndicats de généralistes semblaient ne pas en être vraiment satisfaits. » De quoi nourrir quelques inquiétudes sur l’attractivité de la régulation pour les médecins libéraux, qui sont pourtant les pièces maîtresses du dispositif du SAS.
Même chez les voix les plus critiques, on semble estimer que le SAS est une bonne idée et qu’il pourrait permettre, s’il était mis en œuvre avec les moyens nécessaires, d’apporter une réponse pertinente aux besoins de la population. « Si l’on arrivait vraiment à proposer des rendez-vous en ville pour les personnes qui n’ont pas besoin de venir aux urgences, je pense que cela nous soulagerait », estime ainsi Christine. « Je pense que des ajustements seront faits et qu’une fois qu’on aura le nombre d’assistants de régulation médicale suffisant et des conventions avec les soignants de ville, ce sera vraiment un bon système », ajoute Yohann.
Il ne faudrait toutefois pas non plus tout attendre de la mise en place du SAS. Comme le souligne François Braun, celui-ci ne représente qu’une partie, et une seule, du pacte de refondation des urgences. Et de toute façon, ajoute-t-il, avant la généralisation prévue pour 2022, les différents sites-pilotes seront évalués.
Décidément, avec ses trois petites lettres, le SAS n’a pas fini de faire parler de lui.
* Les prénoms ont été modifiés.
Le Dr Alice Perrain, présidente de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Asclépios autour d’Amboise (Indre-et-Loire), explique comment les libéraux de son territoire se sont fédérés autour du projet de SAS.
Comment est né votre projet de SAS ?
C’est le collectif des CPTS de l’Indre-et-Loire qui a proposé au CHU de Tours d’être site-pilote du SAS. Cette collaboration, que nous avions déjà avec cet établissement, s’est renforcée pendant la crise sanitaire. Nous avons donc vraiment pu nous appuyer sur un partenariat fort.
Comment fonctionnera votre SAS ?
Les appels, qui passeront par le 15, seront soit traités en urgence, comme le centre 15 en a l’habitude, soit transférés vers un opérateur de soins non programmés, qui aura un profil de secrétaire médical. Cet opérateur sera spécialement formé pour répondre aux patients, évaluer leur demande, s’assurer que la personne a déjà recherché une solution, et la transférer vers le régulateur libéral. Celui-ci apportera une réponse, un conseil et, au besoin, retransférera vers l’opérateur de soins non programmés pour qu’il trouve un rendez-vous avec un système d’information partagé sur le département.
Qui effectuera la régulation ?
Ce sont des régulateurs que nous sommes en train de recruter, car les régulateurs actuels de la PDSA (Permanence des soins ambulatoires, NDLR) sont très peu nombreux et ne souhaitent pour l’instant pas prendre de plage horaire en journée. Ce recrutement est pour nous un challenge important car nous avons besoin de généralistes alors qu’ils ont déjà beaucoup de travail par ailleurs. C’est pour cela que la régulation déportée, qui leur permettra de travailler sans se déplacer au centre 15, est importante pour nous. Nous pensons pouvoir traiter le premier appel en novembre.
Quel est l’avantage du SAS pour les Idels de vos CPTS ?
Il est important de garder l’aspect pluriprofessionnel des CPTS dans ce projet, et nous avons d’ailleurs une infirmière dans l’équipe du SAS. Nous aimerions faire en sorte que les infirmières, mais aussi les pharmaciens, puissent appeler le SAS eux-mêmes pour le compte de leurs patients. Une Idel qui se trouve au domicile d’un patient qui ne parvient pas à contacter le médecin traitant, par exemple, pourra discuter avec la régulation et avoir une prise de décision rapide.