L'infirmière n° 013 du 01/10/2021

 

SANTÉ MENTALE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

La grossesse, à risque pour les femmes ayant des troubles psychiques, est une période durant laquelle un parcours de soins spécifique doit être proposé. En France, des consultations d’information et d’accompagnement voient peu à peu le jour, comme à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, et au Vinatier, à Lyon.

Je me souviens d’une patiente accueillie aux urgences, qui était restée 72 heures en chambre d’isolement parce qu’elle avait décompensé en salle d’accouchement. Elle avait tellement crié qu’elle s’était rompu une corde vocale. Comment était-ce possible de ne pas l’avoir accompagnée avant ? », s’emporte Audrey Gallières, infirmière au sein de la consultation préconceptionnelle du centre hospitalier (CH) Le Vinatier de Lyon.

Des scènes comme celles-ci étaient légion il y a encore une dizaine d’années. Il fut en effet un temps, pas si lointain, où désir d’enfant et troubles psychiques pouvaient conduire certains professionnels de santé à déconseiller un projet de maternité. Aujourd’hui, si la grossesse et l’arrivée d’un enfant restent encore et toujours des périodes particulièrement à risque de décompensation psychiatrique maternelle, on en sait désormais plus sur le caractère crucial, en matière de santé physique comme de santé psychique, de l’intervention préventive dans la période périnatale. Dans certains services de périnatalité, cette conscientisation a conduit à la création de consultations spécialisées. Si au Havre, à Toulouse ou encore à Marseille elles en sont encore au stade d’ébauche, à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, depuis 2011 la consultation d’information, de conseils et d’orientation (Cico) informe et accompagne les femmes suivies pour des troubles psychiques, enceintes, ou avec un désir d’enfant. « L’idée, c’est de pouvoir favoriser l’accueil le plus soutenant possible pour ces femmes, particulièrement au cours de la grossesse. Il s’agit également d’éviter aux professionnels de santé d’avoir l’impression de gérer la situation en urgence. L’alliance thérapeutique est meilleure quand on est encore dans la prospective plutôt que d’essayer de réparer une situation qui est déjà mal engagée », constate Romain Dugravier, l’un des quatre pédopsychiatres de cette consultation.

Intervenir le plus tôt possible, c’est aussi dans cette perspective qu’a été mise en place la consultation préconceptionnelle et accompagnement à la parentalité des patients souffrant de troubles mentaux du CH Le Vinatier, à Lyon. À l’origine de ce projet, qui a vu le jour début 2019, un constat : « Trop de patientes en souffrance psychique nous étaient adressées en fin de grossesse, après avoir arrêté leur suivi avec leur psychiatre référent mais aussi leur traitement, avec leur maladie qui avait décompensé. Des situations d’urgence que ces consultations visent à limiter en organisant un suivi périnatal de prévention. En effet, lorsqu’elle est optimale, la prise en charge commence dès la période préconceptionnelle afin de pouvoir permettre au couple, dont un ou les deux futurs parents souffrent de troubles mentaux, de concrétiser leur projet d’avoir un enfant de façon éclairée », démontre Gaspard Prunayre, responsable de la consultation lyonnaise.

DES CONSEILS SUR MESURE

Le premier rendez-vous, à visée informative, doit être l’occasion de répondre à toutes les interrogations des futurs parents, lesquelles concernent surtout les traitements. Faut-il le poursuivre ou pas ? Quels sont les risques encourus par la mère et le bébé s’il est maintenu durant la grossesse ? À quoi s’expose la mère si elle l’interrompt pendant neuf mois ? Face à ces questionnements, beaucoup de psychiatres pour adultes, qui ne sont pas familiers avec les spécificités des soins psychiatriques en périnatalité, peuvent se retrouver démunis. Le but, à travers ces consultations, est qu’ils puissent passer le relais afin que leur patiente obtienne un avis thérapeutique individualisé. « On établit une balance entre les bénéfices et les risques tératogènes du traitement et ceux d’une décompensation de la patiente pendant la grossesse. À titre d’exemple, chez une femme qui vient tout juste de décompenser, le rapport bénéfices/risques est plutôt en faveur de la poursuite du traitement, en l’adaptant pour que la molécule soit plus compatible avec la grossesse. À l’inverse, si la décompensation a eu lieu il y a longtemps et que la patiente a un suivi psychiatrique régulier, une diminution, voire un arrêt du traitement peut alors être envisagé », explique Gaspard Prunayre. Mais au-delà de l’avis thérapeutique, ces rendez-vous sont également l’occasion de lutter contre certaines représentations, toujours très ancrées en périnatalité. « On se rend compte qu’il y a encore beaucoup de désinformation dans ce domaine. Le placement de l’enfant, par exemple, est une peur contre laquelle on lutte beaucoup chez ces femmes. On en parle avec elles, on essaie de dédramatiser en expliquant que ce n’est pas une sanction. Et puis on leur explique que l’idée de ce projet c’est justement de proposer un accompagnement suffisamment sécurisant pour limiter les futures séparations », poursuit le psychiatre spécialisé en périnatalité.

UN PONT ENTRE PSYCHIATRIE ET PÉRINATALITÉ

En pratique, les demandes de consultation sont majoritairement initiées par des professionnels qui sont des interlocuteurs de choix en proximité si la patiente doit bénéficier d’un étayage plus renforcé sur son territoire. Avant de rencontrer le psychiatre de la consultation, un premier tri est généralement nécessaire. Ainsi, à Lyon, un questionnaire est soumis au médecin traitant pour connaître l’histoire médicale de la personne, ces consultations étant réservées aux patientes présentant des pathologies lourdes de type psychotique (schizophrénie et autres troubles apparentés), troubles de l’humeur (bipolarité, dépressions récurrentes) ou troubles graves de la personnalité. Tous les entretiens sont ensuite réalisés en binôme avec l’infirmière et le psychiatre en périnatalité. À l’hôpital Sainte-Anne, en revanche, la consultation, qui est exclusivement médicale, est assurée conjointement par un psychiatre adulte et un pédopsychiatre. Un double regard qui vise à marquer une différence entre les deux prises en charge. « De cette façon, le psychiatre adulte ne se préoccupe que des questions de l’adulte, tandis que le pédopsychiatre, lui, commence à imaginer avec la femme, ou le couple, l’enfant à venir en s’intéressant aux questions autour de la parentalité », détaille Marie-Noëlle Vacheron, l’une des deux psychiatres adulte à l’origine de la Cico.

Mais en lame de fond, l’ambition est plus large : celle de construire des ponts entre la psychiatrie et la périnatalité, deux disciplines qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. « On n’a pas forcément vocation à revoir les patientes une deuxième fois, mais malgré tout, pour celles qui viennent nous voir lorsqu’elles sont enceintes, il est important qu’on puisse faire le lien avec les différents interlocuteurs, et pas uniquement dans le domaine psychiatrique mais aussi avec les obstétriciens, les sages-femmes et les pédiatres », détaille Audrey Gallières.

COORDINATION INFIRMIÈRE

Car c’est là une part essentielle de la réussite de ce projet : identifier les professionnels susceptibles d’intégrer le réseau de soins pour faciliter les échanges interdisciplinaires et fluidifier le parcours de soins. Un rôle qui incombe à l’infirmière, dont la mission, dans ce contexte, est de développer le réseau de proximité et d’assurer la coordination de l’ensemble des acteurs de la périnatalité, partenaires associatifs et médecine de ville (médecin traitant, psychiatre, sage-femme libérale) inclus. Au pédopsychiatre, en revanche, d’organiser les relais avec les maternités. « On essaie d’intervenir autant que possible dans les staffs psychosociaux, avec les équipes internes, la protection maternelle et infantile et parfois les services de l’enfance. On est aussi vigilants sur la durée du séjour en maternité, qu’on peut rallonger si l’on sent que la patiente en a besoin. Plus les professionnels sont prévenus en amont des fragilités de la mère, et cette dernière préparée à ce qui l’attend à l’accouchement et en post-natal, plus son angoisse peut être contenue, réduisant ainsi les risques de décompensation », ajoute Gaspard Prunayre.

DE RÉELLES AVANCÉES

Dans les maternités, cet étayage global semble également porter ses fruits. « Nous recevons beaucoup de retours positifs de leur part. Elles disent être rassurées de savoir qu’un suivi a déjà été mis en place avec nous, poursuit le psychiatre. Cela ne résout certes pas tout, mais cela prouve que quand on prend le temps d’accompagner ces femmes jusqu’au terme de leur grossesse, leurs symptômes se stabilisent souvent et, par ce biais, elles parviennent à trouver une place dans la société en tant que parent. » Une opinion partagée par Marie-Noëlle Vacheron qui, depuis dix ans, constate de réelles avancées dans le champ de la psychiatrie périnatale. « Lorsqu’on a mis en place la consultation, on recevait en moyenne une douzaine de femmes enceintes ou en post-partum immédiat qui n’étaient pas bien. Désormais, on en accueille une par an. Et nous n’avons plus d’hospitalisation aiguë de patientes non connues, avec des séparations brutales et traumatiques pour la mère et l’enfant », se réjouit-elle.

Reste que les moyens manquent pour généraliser ce type de consultation. Si un financement de l’agence régionale de santé d’Île-de-France va permettre le recrutement d’une infirmière coordinatrice au sein de la Cico, le sort de la consultation lyonnaise est, quant à lui, suspendu au renouvellement, en janvier 2023, des fonds accordés dans le cadre du Fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie 2019. De quoi inquiéter Audrey Gallières, convaincue de l’utilité de ce dispositif innovant : « Entre le temps qu’il a fallu pour en faire la promotion et la crise sanitaire, cela nous laisse peu de délais pour prouver qu’il a toute sa place à l’hôpital. »

D’ici là, les perspectives d’évolution ne manquent pas, comme celle de communiquer auprès de l’ensemble des établissements de santé de la région Rhône-Alpes, mais également, dès le mois de novembre prochain, de mettre en place des groupes de psychoéducation autour de l’accompagnement à la parentalité.

Un projet à grande échelle

Lorsque le projet de consultation préconceptionnelle et accompagnement à la parentalité des patients souffrant de troubles mentaux du CH Le Vinatier, à Lyon, a été imaginé en 2018, le rapport de la « Commission des 1 000 premiers jours » n’avait pas encore été rendu. Lancée en septembre 2019, sous la présidence du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, cette commission, composée de spécialistes de l’enfance, médecins, sages-femmes, pédiatres et psychologues, a mis en lumière l’importance du prendre soin des enfants dès la conception. Nécessité que Gaspard Prunayre et Nathalie Elbaz, initiateurs de la consultation lyonnaise, avaient anticipé en proposant d’adapter les modalités d’accompagnement en psychiatrie durant la période particulière de la périnatalité. Non sans rencontrer quelques difficultés. « Le docteur Elbaz avait déjà mis en place des consultations de ce type avant que j’arrive, il y a quatre ans, mais elles étaient très peu visibles par les psychiatres adulte et les patientes », retrace Gaspard Prunayre, désormais seul pédopsychiatre aux commandes de la consultation. Depuis, cette dernière a remporté un appel à projets et, avec le financement obtenu, peut désormais accueillir entre quatre et six consultations hebdomadaires, nouvelles demandes et suivis confondus. Mieux, son modèle inspire d’autres territoires.

Mais pour autant, est-il exportable ? « C’est chronophage parce qu’il y a un travail très important de réseautage, dépeint Gaspard Prunayre, mais une fois qu’on a identifié les bons partenaires, ce n’est pas très compliqué. »

Le père, une place d’aidant naturelle

Le père est un grand oublié dans ce type de parcours. Il est pourtant essentiel, quand il est présent, qu’il soit inclus dans la prise en charge de la grossesse », avise Audrey Gallières, IDE de coordination au sein de la consultation préconceptionnelle et accompagnement à la parentalité des patients souffrant de troubles psychiques au CH Le Vinatier, à Lyon. Le père de l’enfant à venir représente en effet le premier aidant. Sa place auprès de la mère est d’autant plus importante qu’il a toutes les chances d’être plus sollicité pour prendre soin du bébé dans les moments où la mère n’est pas disponible psychiquement. Mais encore faut-il qu’il sache comment repérer les signaux d’alerte ! « On essaie au maximum de rencontrer le conjoint. L’idée, c’est que les informations que nous donnons à la mère lui soient également transmises. Certains hommes découvrent la pathologie psychiatrique de leur compagne à ce moment-là. Il est donc nécessaire qu’ils puissent être écoutés, soutenus et accompagnés, tout comme le sont les futures mères », abonde Gaspard Prunayre, psychiatre en périnatalité à l’unité mère-bébé et responsable de la consultation au centre hospitalier. Dans ce type de consultation, le premier rendez-vous médical a ainsi souvent d’abord lieu avec la patiente seule, puis, en seconde partie, en couple. Autre action proposée à Lyon : des groupes « papa » organisés dans le service de périnatalité. L’objectif ? Accompagner les conjoints lorsqu’ils ont assisté à un épisode de décompensation après l’accouchement.

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