L’ANTALGIE INTRATHÉCALE EN CANCÉROLOGIE - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Thierry Pennable*   Dr Denis Dupoiron**   Ségolène Chateau***  


*respectivement médecin anesthésiste et infirmière au centre Paul Papin de l’Institut de cancérologie de l’Ouest, à Angers (Maine-et-Loire)

PRÉSENTATION

Qu’elles soient dues à la maladie, à son traitement ou à une raison intercurrente, les douleurs font partie des symptômes les plus fréquents et les plus pénibles pour les patients atteints de cancer. Dans 10 à 15 % des cas, elles sont qualifiées de rebelles car elles ne répondent pas aux thérapeutiques habituelles alors que des solutions antalgiques peuvent encore exister. En soulageant certaines de ces douleurs, l’antalgie intrathécale apporte une meilleure qualité de vie aux personnes dont l’espérance de vie est constamment améliorée par l’évolution des traitements spécifiques du cancer. En France, l’antalgie intrathécale est reconnue par les autorités sanitaires et sa diffusion est soutenue par les équipes spécialisées.

UNE TECHNIQUE ENCADRÉE

« L’antalgie intrathécale est développée depuis plus de trente ans aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons en lien avec la découverte des récepteurs morphiniques et de leur concentration importante au niveau de la moelle épinière », rapporte le Dr Denis Dupoiron, médecin anesthésiste à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, à Angers. En France, la prise en charge des pompes implantables est assurée pour l’administration intrathécale continue d’antalgiques depuis 2009(1), et l’antalgie intrathécale est utilisée depuis plus de dix ans dans le cadre des recommandations de bonnes pratiques émises par les autorités de santé nationales et internationales (The Polyanalgesic Consensus Conference(2), Haute Autorité de santé(3), etc.). La technique fait partie des traitements dits interventionnels de la douleur, qui sont considérés comme une quatrième étape de traitement ajoutée aux trois paliers de prise en charge proposés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1986 (voir la figure ci-dessous). Aujourd’hui, encore peu d’équipes ont les moyens de proposer une antalgie intrathécale, ce qui limite le nombre de patients pouvant en bénéficier.

PERSPECTIVES

Alors qu’une circulaire de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de l’Institut national du cancer (INCa) de 2017 recommande d’intégrer l’antalgie intrathécale plus tôt dans la prise en charge des patients(4), son développement reste limité. La technique, complexe à manier, nécessite des compétences et de la disponibilité médicales, avec des équipes spécifiquement formées (lire l’éclairage p. 22). Ce qui implique des apprentissages et des investissements conséquents pour un nombre limité de patients. La diffusion de l’antalgie intrathécale pourrait alors reposer sur une organisation incluant :

→ la pose des pompes et la gestion des complications dans des centres experts ;

→ la préparation des mélanges antalgiques par des pharmacies hospitalières disposant des capacités de fabrication et de contrôle de qualité ;

→ la distribution des préparations à d’autres hôpitaux pour le remplissage des pompes, ce qui limiterait les déplacements des patients souvent fragiles.

PRINCIPE DU TRAITEMENT ET UTILISATION

Dans l’antalgie intrathécale, les médicaments sont injectés directement dans le liquide céphalorachidien via un cathéter implanté dans l’espace sous-arachnoïdien (voir l’illustration ci-contre). La distribution des antalgiques est faite au plus près des récepteurs médullaires impliqués dans la transmission du message nociceptif, permettant ainsi de diminuer les doses de médicaments et, par conséquent, les effets secondaires associés. À l’exemple des doses équianalgésiques de la morphine : 1 mg par voie intrathécale correspond à 10 mg injectés par voie péridurale, à 100 mg en intraveineux ou à 300 mg en per os.

OBJECTIFS THÉRAPEUTIQUES

• Meilleur contrôle de la douleur.

• Meilleure qualité de vie pour le patient.

INDICATIONS

Le recours à l’antalgie intrathécale est validé en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) par une équipe soignante formée et spécialisée dans la technique en cas :

→ de douleurs chroniques intenses réfractaires aux traitements opiacés ou non opiacés administrés par voie systémique ;

→ d’effets secondaires liés au traitement antalgique invalidant la qualité de vie du patient.

L’antalgie intrathécale peut être indiquée plus précocement pour des douleurs dont les localisations sont connues pour être rebelles aux traitements habituels : douleurs abdominopelviennes de certains cancers (utérus, rectum…), douleurs des cancers du pancréas ou syndrome de Pancoast-Tobias (traduisant un néoplasme malin de l’apex pulmonaire).

CONTRE-INDICATIONS

• L’hypertension intracrânienne est l’unique contre-indication absolue.

• Les autres contre-indications, relatives, sont évaluées individuellement en fonction de la balance bénéfices/risques(5) :

- aplasie ;

- méningite carcinomateuse, inflammation du tissu épidural (épidurite) ;

- infection : tout processus infectieux doit être contrôlé avant la pose d’un cathéter ;

- traitement anticoagulant (lire les traitements en cours p. 23) ;

- ascite pour une pompe implantée mais pas pour un cathéter relié à une pompe externe ;

- obstacle à la circulation du liquide cérébrospinal (envahissement, fracture compressive). Une intervention neurochirurgicale peut parfois être envisagée pour lever l’obstacle.

TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX

Six lignes de traitements sont proposées par les recommandations internationales : les opioïdes (morphine, hydromorphone, fentanyl, sufentanil, méthadone), le ziconotide, la bupivacaïne, la clonidine, la kétamine, le midazolam et le baclofène(3). Les associations médicamenteuses sont synergiques, surtout celle morphine-ziconotide, et sont recommandées en première intention en cancérologie. « La clonidine est moins utilisée depuis l’arrivée du ziconotide, qui est un produit très innovant en matière de traitement de la douleur. La clonidine est parfois associée au ziconotide, précise le Dr Denis Dupoiron. Le baclofène est peu utilisé dans le traitement de la douleur, mais il est souvent prescrit pour traiter la spasticité chez les patients para et tétraplégiques, qui est une autre indication des traitements intrathécaux. »

PRINCIPAUX TRAITEMENTS UTILISÉS

En France, ces traitements sont adaptés en fonction des molécules disponibles. L’association morphine, ropivacaïne et ziconotide est la plus souvent prescrite pour le traitement de la douleur liée au cancer par voie intrathécale(3).

La morphine, dosée à 1/100e de la dose par voie IV, sans dépasser 5 mg/jour, est le médicament de référence pour l’analgésie intrathécale en raison de sa longue durée d’action et de sa stabilité(6). Ces doses peuvent être dépassées en cancérologie.

La ropivacaïne, prescrite à 6-8 mg/jour hors AMM, est un anesthésique local utilisé en association avec la morphine car leurs actions sont synergiques. Les anesthésiques locaux permettent de limiter les doses de morphiniques et sont très actifs sur les douleurs neuropathiques(6).

Le ziconotide, prescrit entre 0,25 et 0,50 µ/jour, est indiqué pour le traitement des douleurs intenses, chroniques, chez les adultes ayant besoin d’une analgésie intrarachidienne. Le ziconotide inhibe la libération des neurotransmetteurs au niveau des canaux calciques de type N responsables du traitement de la douleur au niveau rachidien. Il supprime donc la signalisation rachidienne de la douleur. Il possède un effet synergique avec la morphine et son efficacité antalgique a été mise en évidence en cancérologie(6). Sa puissance d’action ainsi que l’absence de toxicité médullaire et de réaction d’accoutumance font du ziconotide un médicament de première intention malgré de nombreux effets indésirables (nausées, céphalées, vertiges, troubles neuropsychiques, élévation des CPK). « Le ziconotide peut notamment provoquer ou aggraver un syndrome dépressif, surtout en cas d’augmentation trop rapide des doses, observe Ségolène Chateau, infirmière en service de chirurgie à l’Institut de cancérologie de l’Ouest d’Angers. Dans ce cas, la pompe doit être vidée puis remplie avec une concentration de produits adaptée. »

CONDITIONS DE SÉCURITÉ

La programmation des concentrations, des doses journalières des médicaments, du volume et du nombre de bolus, ainsi que des périodes réfractaires, est un acte médical qui doit être réalisé par un médecin formé(3).

Un logiciel dédié à la prescription de l’antalgie intrathécale permet de diminuer les risques d’erreur et de surdosage.

La préparation du mélange de médicaments est faite au sein d’une zone à atmosphère contrôlée (Zac), sous une hotte à flux laminaire, en milieu contrôlé et stérile pour éviter les contaminations. La préparation complexe est réalisée sous la responsabilité d’un pharmacien hospitalier.

Un contrôle de l’exactitude des concentrations et des molécules dans le mélange est réalisé avant d’être dispensé et administré.

REMPLISSAGES

Les remplissages de la pompe interne, ou le changement de poche en cas de pompe externe, sont réalisés à l’hôpital. La durée entre deux remplissages est conditionnée par la stabilité du mélange de médicaments administré. « Les remplissages de pompe sont effectués tous les 5 à 21 jours maximum. Le ziconotide a une stabilité de 21 jours, mais certains patients doivent revenir à l’hôpital tous les 5 jours parce que la ropivacaïne est peu concentrée et occupe un volume important dans la pompe qui doit être renouvelé, constate Ségolène Chateau. La bupivacaïne, quatre fois plus concentrée que la ropivacaïne, est testée à l’hôpital via une autorisation temporaire d’utilisation [ATU]. Un patient qui remplissait sa pompe tous les 5 jours avec la ropivacaïne passe à un remplissage tous les 17 jours avec la bupivacaïne. »

MISE EN ŒUVRE

ENTRETIEN D’ACCUEIL

Sauf situation urgente, la technique a déjà été présentée au patient avant l’hospitalisation. « Lors de l’entretien d’accueil, la pompe programmable est présentée au patient et la prise en charge postopératoire lui est expliquée, rapporte Ségolène Chateau. Le patient est informé du risque de syndrome de sevrage à la morphine après l’intervention et du risque de syndrome post-ponction lombaire consécutif à l’implantation du cathéter » (lire l’encadré ci-dessus).

PRÉPARATION PRÉOPÉRATOIRE

RELAIS MORPHINIQUE

« Les patients sont hospitalisés 24 à 48 heures avant l’intervention, explique Ségolène Chateau. Ce temps préopératoire nous permet de mettre en place un relais morphinique en intraveineux chez des patients qui sont le plus souvent traités par voie orale ou transcutanée. Le passage à la voie intraveineuse fournit une équianalgésie plus fiable pour faire la conversion des doses de morphine qui seront administrées en intrathécal, surtout lorsque l’analgésie était insuffisante avec le traitement en cours. »

Dans un premier temps, une perfusion délivre un débit continu de morphine et de kétamine, et des bolus de morphine sont possibles. Dans un deuxième temps, la perfusion continue de morphine est lancée avec une dose adaptée au nombre de bolus consommés. « En 24-48 heures, il est possible d’obtenir un dosage qui soulage le patient et qui va servir de base au médecin pour déterminer la posologie à programmer sur la pompe intrathécale, poursuit l’infirmière. Les éventuels effets secondaires liés à l’administration de morphine sont surveillés tout au long de cette phase préopératoire. »

EXAMENS BIOLOGIQUES

• Polynucléaires neutrophiles (PNN) > 500/mm3.

• Plaquettes > 80 000/mm3 le jour même de la pose du dispositif intrathécal.

• Bilan de coagulation normal.

EXAMENS RADIOLOGIQUES

• Scanner rachidien et thoraco-abdomino-pelvien pour s’assurer de la faisabilité de la technique et de l’absence de contre-indications. Cet examen permet également de faire un bilan d’évolution néoplasique récent (inférieur à un mois) pour décider du choix du dispositif à mettre en place.

• Imagerie cérébrale de moins d’un mois.

TRAITEMENTS EN COURS

• Corticothérapie : arrêt ou décroissance (cicatrisation et infection).

• Anticoagulants : relais héparine de bas poids moléculaire avec arrêt à J-1 et reprise à J0.

• Aspirine : arrêt à J-5.

• Clopidogrel : arrêt à J-7.

• Méthadone (à visée antalgique) : arrêt 48 heures avant relais PCA.

• Chimiothérapies : en pratique, soit l’antalgie intrathécale est posée entre deux cures de chimiothérapie, soit une interruption est programmée.

En revanche, les médicaments anti-angiogéniques, comme le bevacizumab (Avastin), doivent être arrêtés trois semaines avant l’intervention car ils peuvent être à l’origine d’un retard de cicatrisation.

POSE DU DISPOSITIF INTRATHÉCAL

La pose du dispositif, composé d’un cathéter et d’une pompe, est réalisée au bloc opératoire, « de préférence sous anesthésie générale, plus confortable pour le patient et pour l’opérateur, même si une anesthésie locorégionale est possible », souligne le médecin anesthésiste.

LE CATHÉTER

Le cathéter est introduit dans l’espace sous-arachnoïdien, au niveau de la région lombaire de la colonne vertébrale, à la face postérieure de la moelle épinière (voir photo ci-contre, en haut). Un site de ponction au niveau thoracique ou cervical est possible, mais, plus difficile, il est réservé à des situations exceptionnelles. Une fois placé dans le liquide cérébrospinal, ou liquide céphalo-rachidien, le cathéter est poussé jusqu’à la zone souhaitée, en regard des métamères impliqués dans la douleur à traiter. Trois grandes zones du rachis sont distinguées pour l’injection des médicaments en fonction de la localisation de la douleur : lombaire, thoracique et cervicale.

LA POMPE

Une fois fixé sur le ligament interépineux de la colonne vertébrale, le cathéter est tunnellisé pour être relié :

→ soit à une chambre implantable posée en sous-cutanée, à la face antérieure, au niveau des côtes basses, et sur laquelle est branchée une pompe externe : cathéter intrathécal (CIT) (voir photo du bas, ci-contre) ;

→ soit à une pompe miniaturisée implantée : pompe intrathécale (PIT).

CHOIX DU DISPOSITIF

Le choix entre pompe externe et pompe implantée dépend de :

→ l’espérance de vie du patient : dispositif implanté si supérieure à trois mois, site et pompe externes si inférieure à trois mois ;

→ la présence de stomie ou de fistule qui fait préconiser le recours à une pompe implantée à cause du risque infectieux ;

→ l’autonomie du patient.

SERVICE DE SOINS CONTINUS

Lorsque le patient revient du bloc, le débit continu et le nombre de bolus sur 24 heures sont programmés sur la pompe et la télécommande est synchronisée avec la pompe. Pendant les 24-48 heures qui suivent l’implantation du dispositif, le patient est installé en unité de soins continus, soins intensifs ou réanimation, pour assurer la surveillance des complications liées :

→ au geste opératoire : céphalée post-ponction lombaire, infections superficielles ou profondes, hématomes, blessures médullaires ou encore radiculaires ;

→ au traitement médicamenteux : syndrome de sevrage, signes de surdosage ou de sous-dosage, œdèmes périphériques, prurit, troubles du transit (diarrhées/constipation), rétention aiguë d’urine, granulome (surtout si opioïdes à forte concentration délivrés à faible débit).

Signes de surdosage :

• Ziconotide : nausées, troubles neuropsychiques, syndrome anxiodépressif, vertiges, ataxie, hallucinations, confusion, rétention aiguë d’urine.

• Opioïdes : détresse respiratoire, œdèmes.

• Anesthésiques locaux : déficit sensitivomoteur, rétention aiguë d’urine, hypotension artérielle.

SUIVI POSTOPÉRATOIRE

L’hospitalisation, qui dure environ une semaine après la pose du dispositif, permet d’adapter la posologie du traitement antalgique tout en surveillant la survenue d’un éventuel syndrome de sevrage à la morphine par IV, qui a été arrêtée à la mise en route de la voie intrathécale.

SYNDROME DE SEVRAGE

« Le risque de syndrome de sevrage est dû au changement de voie d’administration de la morphine », explique Ségolène Chateau. Par voie intrathécale, il n’y a pratiquement pas de passage de morphine dans la circulation générale. « L’organisme, qui ne reçoit plus de morphine en IV ou en per os, mais uniquement par voie intrathécale, réagit comme à un arrêt des traitements morphiniques au niveau de la circulation sanguine. » Mais le syndrome de sevrage n’est pas systématique. « Certains patients n’ont pas de symptômes alors qu’ils avaient des doses élevées de morphine, tandis que d’autres auront un syndrome avec des doses moindres. » Toutefois, le sevrage peut s’avérer un peu difficile dans certains cas et « il nous arrive très rarement d’administrer une petite dose de morphine en intraveineux pour passer un cap trop difficile à gérer pour le patient. »

Un syndrome de sevrage à la morphine(7) peut se manifester par des symptômes :

→ physiologiques : courbatures, tremblements, syndrome des jambes sans repos, diarrhée, colique abdominale, nausées, symptômes semblables à ceux de la grippe, tachycardie, mydriase… ;

→ psychologiques : humeur dysphorique, anxiété, irritabilité…

L’arrêt brutal de la morphine peut entraîner des bâillements, une anxiété, une irritabilité, une insomnie, des frissons, une mydriase, des bouffées de chaleur, une sudation, un larmoiement, une rhinorrhée, des nausées, des vomissements, une anorexie, des crampes abdominales, des diarrhées, des myalgies, des arthralgies, une humeur dysphorique.

ÉVALUATION DE LA DOULEUR

« Il s’agit d’évaluer la douleur pour laquelle le traitement a été instauré en expliquant au patient qu’elle doit être distinguée d’une douleur occasionnée par les cicatrices postopératoires situées au niveau du dos et de l’abdomen », souligne l’infirmière expérimentée. Cette distinction n’est pas toujours évidente pour les patients dans les premières heures qui suivent l’intervention. Il arrive alors que certains demandent un bolus d’antalgiques par la pompe intrathécale, lequel sera inefficace sur une douleur postopératoire pour laquelle le paracétamol sera davantage indiqué. « C’est souvent l’action efficace du paracétamol sur une douleur postopératoire qui permet au patient de faire la différence entre les douleurs. Il est par la suite capable de réclamer un bolus sur la pompe ou du paracétamol en fonction de la douleur ressentie. »

INITIATION DU PATIENT

Le fonctionnement de la pompe est expliqué au patient tout au long de l’hospitalisation au cours de laquelle celui-ci peut s’exercer à la délivrance de bolus avec l’aide d’une infirmière du service. « Nous essayons, dans la mesure du possible, d’impliquer la famille ou les proches dans le maniement de la pompe pour pouvoir intervenir à domicile au cas où le patient aurait des difficultés. » Cette aide s’avère parfois indispensable, comme dans le cas « d’un patient paraplégique qui souffre aussi d’un déficit moteur au niveau des mains, ne lui permettant pas de faire ses bolus lui-même ».

LE RETOUR À DOMICILE

« Les patients ne rentrent chez eux que lorsque le fond douloureux est considéré comme « acceptable » et n’empêche plus les activités quotidiennes », précise Ségolène Chateau. Après le retour à domicile, le patient est suivi lors des remplissages de la pompe et lors des consultations douleurs avec son médecin référent. « Le premier remplissage est généralement effectué plus tôt que prévu par la prescription du traitement intrathécal, le plus souvent dix jours après la sortie. Cela nous permet de faire une évaluation du retour à domicile et de terminer l’ablation des fils de suture chirurgicale dans le même temps. »

LES COMPLICATIONS

Les complications de l’antalgie intrathécale rapportées par les études restent rares et concernent une infection localisée, des révisions chirurgicales de cathéter pour rupture, plicature ou migration, la survenue d’un granulome intrathécal ou une érosion de la peau par la pompe.

Déconnexion, plicature ou désinsertion du cathéter. À la différence d’un pousse-seringue, la pompe n’a pas de capteur de pression. Elle peut donc continuer à délivrer le produit même s’il ne passe plus dans le cathéter, notamment à cause d’un retournement de la pompe.

Retournement et/ou arrêt de la pompe. Le retournement de la pompe est favorisé par une fixation lâche, une loge trop grande et surtout par l’obésité(5). « La pompe, qui est positionnée dans une loge, mais pas fixée sur une partie osseuse, peut être mobilisée lors des mouvements. Une ceinture abdominale peut donc être recommandée pour six semaines, le temps de la cicatrisation au niveau de la loge, ou définitivement en fonction de la corpulence du patient », précise Ségolène Chateau, car le risque de retournement de la pompe est plus important chez les personnes obèses. De même, certaines activités peuvent être déconseillées. C’est le cas, par exemple, de la pratique du vélo qui peut provoquer un retournement de la pompe qui se serait délogée. En cas de retournement, le patient risque de ne plus pouvoir faire de bolus car la télécommande ne détectera plus le dispositif.

Infection de la loge. Les injections dans l’abdomen sont proscrites, sauf pour le remplissage de la pompe. Une simple injection sous-cutanée peut apporter un agent infectieux dans la loge où est placé le dispositif et contaminer la pompe et/ou le cathéter.

Méningite. L’administration de médicaments par voie intrarachidienne présente un risque d’infection grave due à l’entrée de micro-organismes le long du trajet du cathéter ou à la contamination du système de perfusion, notamment avec les systèmes externes. C’est le cas de la méningite, rapportée dans environ 2 % des cas(6), dont les symptômes et les signes typiques doivent être connus des patients : céphalées, photophobie, phonophobie, nausées ou vomissements, raideur de la nuque, teint gris ou marbré, courbatures importantes, grande fatigue, une somnolence, voire des troubles de la conscience plus profonds, signes de lésions localisées du système nerveux central (paralysies oculaires, par exemple), convulsions.

DES BÉNÉFICES AVÉRÉS

Les nombreux travaux menés pour évaluer l’analgésie intrathécale en cancérologie depuis la fin des années 1970 rapportent :

→ des réductions d’environ 50 % de la symptomatologie douloureuse ;

→ une diminution des effets secondaires liés au traitement antalgique et donc une amélioration de la qualité de vie.

« Des patients et leur famille nous font part d’un retour à une vie quotidienne qu’ils n’avaient plus connue depuis des semaines ou des mois », constate l’infirmière qui a travaillé sur le retentissement psychosocial de la douleur chez un patient porteur de pompe intrathécale lors de son diplôme universitaire de prise en charge de la douleur.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Arrêté du 27 février 2009 relatif à l’inscription de la pompe implantable Synchromed II de la société Medtronic France SAS au chapitre 4 du titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l’article L 165-1 du Code de la Sécurité sociale.

2. Deer T. R., Pope J. E., Hayek S. M. and al., “The Polyanalgesic Consensus Conference (PACC) : Recommendations for Intrathecal Drug Delivery : Guidance for Improving Safety and Mitigating Risks”, Neuromodulation, 2017 Feb;20(2):155-176.

3. Haute Autorité de santé, « Antalgie des douleurs rebelles et pratiques sédatives chez l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situations palliatives jusqu’en fin de vie », janvier 2020. En ligne sur : bit.ly/3kSetyG

4. Instruction n° DGOS/R3/INCa/2017/62 du 23 février 2017 relative à l’amélioration de l’accès aux soins de support des patients atteints de cancer.

5. Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos), « Douleur et cancer : antalgie intrathécale », 15 février 2018. En ligne sur : bit.ly/3ifCo9q

6. Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), Sociéte française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), « Techniques analgésiques locorégionales et douleur chronique », 2013. En ligne sur : bit.ly/3ujLwik

7. Ministère des Solidarités et de la Santé, Résumé des caractéristiques du produit « Morphine (chlorhydrate) Cooper 10 mg/ml, solution injectable », Base de données publique des médicaments, mis à jour en septembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3ASvw9z

Autres sources

• Centre Léon Bérard, « Projet Itara : permettre une égalité territoriale dans l’accès aux soins innovants ».

En présentant le projet Itara piloté par le Centre Léon Bérard, ce dossier démontre les avantages de l’antalgie intrathécale dans les douleurs liées au cancer ainsi que l’intérêt d’en développer l’usage. En ligne sur : bit.ly/3mcrFhc

• HAS, Sfar, Fiche mémo « Prévention et prise en charge des effets indésirables pouvant survenir après une ponction lombaire », juin 2019. La pose d’un cathéter intrathécal peut entraîner la survenue d’un syndrome post-ponction lombaire secondaire à une fuite persistante de liquide cérébrospinal. Cette fiche rappelle les signes d’un tel syndrome à expliquer aux patients. En ligne sur : bit.ly/3F25Mdm

ÉCLAIRAGE

“Il serait intéressant de proposer cette technique plus tôt dans la prise en charge de certaines douleurs liées au cancer”

Dr Denis Dupoiron, anesthésiste réanimateur au centre Paul Papin de l’Institut de cancérologie de l’Ouest d’Angers (Maine-et-Loire).

À quel moment l’antalgie intrathécale peut-elle être proposée ?

Compte tenu de l’efficacité prouvée de l’antalgie intrathécale, il serait intéressant de proposer cette technique plus tôt dans la prise en charge de certaines douleurs liées au cancer, sans attendre de vérifier l’inefficacité des autres traitements antalgiques. Cela impliquerait de sortir le traitement des douleurs du cancer du champ des soins palliatifs pour éviter des recours trop tardifs. Ces recours plus précoces seraient intéressants pour le traitement des fortes douleurs liées au cancer du pancréas ou très intenses et très difficiles à calmer du cancer de l’utérus, aux évolutions surtout locorégionales.

Comment déployer cette technique ?

L’Institut de cancérologie de l’Ouest forme des infirmières d’autres hôpitaux pour les remplissages de la pompe et un suivi des patients par des équipes formées dans des hôpitaux de proximité. L’étape suivante consisterait à déléguer à des infirmières formées le remplissage des pompes à domicile via une HAD. Nous avons présenté le projet « Do IT », pour « domicile intrathécal », à l’ARS Pays de la Loire dans le cadre d’un appel à des expérimentations innovantes. Le projet, qui porte sur la programmation de la pompe à domicile par une infirmière, avec un contrôle à distance par le médecin, a reçu un prix de l’ARS et 50 000 € pour monter un essai clinique. Ce relais à domicile est essentiel pour fournir un accès à l’antalgie intrathécale à des patients parfois en grande difficulté pour se déplacer.

Le syndrome post-ponction lombaire

La survenue d’un syndrome post-ponction lombaire est possible après la pose d’un cathéter intrathécal. Il est secondaire à une fuite persistante de liquide cérébrospinal et se caractérise par une céphalée orthostatique apyrétique :

→ apparaissant habituellement dans les 2 à 4 jours qui suivent l’intervention ;

→ irradiant vers la nuque, le dos et parfois les épaules ;

→ habituellement accompagnée de signes cliniques variables dont les plus fréquents sont des nausées et des vomissements, ainsi que des signes auditifs ou visuels de type hypoacousie, diplopie ou photophobie ;

→ partiellement ou totalement soulagée par le décubitus dorsal.

Source : HAS, Sfar, Fiche mémo « Prévention et prise en charge des effets indésirables pouvant survenir après une ponction lombaire », juin 2019.

Faciliter l’accès à l’antalgie intrathécale

Malgré la possibilité réelle de soulager efficacement des patients très douloureux, des indications sont régulièrement abandonnées faute d’accès à la technique ou du fait de l’éloignement géographique », observe le Pr Gisèle Chvetzoff, cheffe du département des soins de support au Centre Léon Bérard, à Lyon (Rhône). Ce constat est à l’origine de la mise en œuvre, depuis 2018, du projet Itara*, pour Intrathécale Auvergne-Rhône-Alpes, élaboré par le centre et ses partenaires. Le projet met en place un maillage de professionnels formés à l’antalgie intrathécale et accompagnés selon leurs besoins par deux pôles d’expertise, le Centre Léon Bérard et le CHU de Saint-Étienne. L’objectif est de faciliter l’accès à cette technique à environ 50-100 patients annuels chez lesquels elle serait indiquée**.

Plus de vingt établissements, répartis dans dix départements, ont déjà utilisé un ou plusieurs des services proposés « à la carte » dans le cadre d’Itara : validation de l’indication en réunion de concertation pluridisciplinaire, mise en place du dispositif intrathécal, initiation, suivi et adaptation des traitements, remplissage de pompe implantée ou renouvellement de poche externe, préparation et acheminement des traitements, formation des équipes des structures d’accueil des patients…

* « Soulager les douleurs rebelles du cancer : projet Itara », vidéo de présentation mise en ligne par la Fondation Apicil. En ligne sur : bit.ly/2Y1YoNN

** Centre Léon Bérard, « Projet Itara : permettre une égalité territoriale dans l’accès aux soins innovants ». En ligne sur : bit.ly/3mcrFhc