L’ULCÈRE VEINEUX : TRAITEMENT ET ÉDUCATION DU PATIENT - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

JE ME FORME

FICHE DE SOINS

Claire Manicot*   Anne Pottier**  


*infirmière de l’équipe mobile « Plaies vasculaires » au Centre hospitalier universitaire de Nantes (Loire-Atlantique)

INTRODUCTION

Les infirmières sont en première ligne dans le traitement des ulcères veineux car la cicatrisation nécessite une compression médicale continue et des pansements réguliers. Le plus difficile reste de faire passer aux patients les messages de prévention en matière d’hygiène de vie.

Qu’est-ce que l’ulcère veineux ?

• L’ulcère de jambe a principalement une origine vasculaire, veineuse ou artérielle, voire mixte (les deux en même temps). L’ulcère veineux, le plus fréquent, est une complication de l’insuffisance veineuse chronique, expression d’un trouble de la circulation des membres inférieurs (voir le schéma ci-contre). Lors de la déambulation, une hypertension veineuse est provoquée par l’impossibilité de la pompe musculaire au niveau du mollet à évacuer les volumes veineux vers le haut. Elle est liée à plusieurs causes :

- un reflux dans les veines superficielles (varices) ;

- un reflux dans les veines profondes (mauvais fonctionnement des valvules, syndrome post-thrombotique) ;

- une pompe musculaire déficiente (paralysie, raideur de la cheville…).

L’accumulation de sérosité dans les tissus entraîne la formation d’un œdème puis une nécrose des tissus en profondeur qui aboutit à une perte de substance cutanée chronique, au niveau du tiers inférieur de la jambe, sans tendance spontanée à la cicatrisation.

• Les facteurs de risque sont multiples : sédentarité, position debout prolongée, immobilisation, obésité, antécédents veineux, traitements aux œstrogènes. L’insuffisance veineuse est en outre plus fréquente chez les personnes âgées de plus de 65 ans en raison du manque d’activité physique.

Comment est effectué le diagnostic clinique ?

• L’interrogatoire permet de mettre en lumière un terrain propice à l’insuffisance veineuse, notamment en cas d’antécédents (varices, thrombose veineuse profonde) et de facteurs de risque.

• À l’examen clinique, on retrouvera les signes de l’insuffisance veineuse en périphérie de l’ulcère, des œdèmes des membres inférieurs et des lésions cutanées :

- une dermite ocre (coloration brune) ;

- une hypodermite aiguë (apparition progressive d’une jambe rouge et douloureuse) ;

- un eczéma variqueux caractérisé par des plaques rougeâtres à brun foncé sans délimitation précise et des démangeaisons qui peuvent s’étendre à toute la jambe ;

- l’atrophie blanche de Milan caractérisée par une zone blanche arrondie autour de la plaie.

• L’ulcère apparaît spontanément ou suite à un traumatisme (après s’être cogné contre un meuble ou un barreau de chaise, par exemple).

• Il est unique, superficiel, de grande taille, suintant, au rebord irrégulier, situé dans le tiers inférieur de la jambe, autour de la malléole.

• La douleur est ressentie surtout lorsque la personne est en position debout, mais améliorée à la position allongée ou lorsque les jambes sont surélevées.

Pourquoi faire des examens complémentaires ?

Il est important de distinguer l’ulcère veineux de l’ulcère artériel car les traitements diffèrent : la compression médicale est le traitement de choix de l’ulcère veineux tandis qu’elle est formellement contre-indiquée dans l’ulcère artériel consécutif à une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI).

• L’ulcère artériel se distingue à l’examen clinique par un rebord bien défini et rond, une quasi-absence d’exsudat, un pouls pédieux absent et une douleur intense. La palpation des pouls périphériques permet de rechercher des signes d’artériopathie et la mesure de l’index de pression systolique (IPS) permet de sécuriser la prise en charge en déterminant le type d’ulcère (lire l’encadré sur cette page).

• En cas de doute sur l’origine de l’ulcère, un écho-doppler veineux permettra de confirmer l’origine veineuse, de préciser le mécanisme (reflux et/ou obstruction) ainsi que la localisation des reflux (veines superficielles et/ou profondes).

PRISE EN CHARGE

Quelle compression médicale mettre en place ?

Selon les recommandations, la compression médicale est privilégiée. Elle a pour objectif d’exercer une pression active sur les vaisseaux afin d’améliorer le retour veineux.

• Les bandages multicouches (voir la photo ci-dessus) associent la pose d’une bande à allongement long et une autre bande à allongement court, ou bien deux bandes à allongement court, après application, selon les modèles, d’une bande de ouate ou de jersey pour la protection de la peau.

• La pose est toujours réalisée par une infirmière sur un patient au repos, jambes allongées et pieds positionnés à 90 ° :

- démarrer avec la bande de compression à la racine des orteils ;

- commencer par deux tours d’ancrage autour du pied ;

- envelopper le talon ;

- refaire un tour sur le pied en faisant un 8 ;

- remonter sur la cheville puis sur le mollet et s’arrêter à deux doigts au-dessous du creux poplité (toujours du bas vers le haut sans jamais redescendre).

• La pression est modulable en fonction du rapprochement des spires. Les spires sont recouvertes à moitié ou plus selon la prescription et la notice des kits commercialisés. On peut poser les bandes de façon circulaire ou en épi.

Quels soins locaux selon l’état de la plaie ?

• Commencer par un nettoyage de la plaie à l’eau du robinet et au savon hypoallergénique (éviter le savon de Marseille qui assèche la peau) puis sécher la peau périlésionnelle. L’utilisation de produits antiseptiques est proscrite.

• Ensuite, procéder au traitement local comprenant trois phases : phase de détersion, phase de bourgeonnement et phase d’épidermisation. Le choix des pansements dépendra du caractère exsudatif de l’ulcère (voir le tableau p. 34).

Détersion mécanique : le retrait de la fibrine avec un bistouri ou une curette est indispensable pour que l’ulcère cicatrise. Bien qu’il s’agisse d’un geste délicat et chronophage, c’est de la responsabilité infirmière de veiller à une détersion régulière et efficace à chaque réfection de pansement. Par ailleurs, une bonne hydratation avec une crème hydratante de la peau périulcéreuse est recommandée. Elle est très importante dans le processus de cicatrisation puisque l’épidermisation se fait des berges vers le centre de l’ulcère. Une fois la détersion effectuée, la lésion sera protégée par des alginates ou des fibres à haut pouvoir d’absorption anciennement appelés hydrofibres ou superabsorbants.

Phase de bourgeonnement : un tissu de granulation rouge se constitue. On utilise le plus souvent des hydrocellulaires plutôt que des interfaces car très souvent, la plaie est encore un peu exsudative. La classe de pansements est choisie en fonction des exsudats : interfaces ou hydrocellulaires. Chaque laboratoire décline ses produits sous forme adhésive, non adhésive et selon des capacités d’absorption moyenne ou importante.

Phase d’épidermisation : à ce stade, l’épithélialisation se repère par une coloration rose au niveau des berges de l’ulcère. Les pansements préconisés à ce niveau sont les hydrocellulaires et les interfaces.

Comment gérer la douleur ?

Pendant les soins : pour éviter la douleur lors du retrait du pansement, on l’humidifiera pour faciliter le décollement et on utilisera de préférence des pansements non adhésifs. Mais c’est l’étape de la détersion qui est la plus redoutée par les patients. La crème anesthésiante Emla (qui a l’AMM dans cette indication) présente l’inconvénient de devoir être appliquée une heure avant le soin et sous un pansement occlusif ce qui pourrait abîmer la peau périulcéreuse. La lidocaïne à 5 % en spray ou à 2 % en gel, qui agit en une quinzaine de minutes, est préférentiellement utilisée hors AMM. En milieu hospitalier, l’inhalation de Meopa (mélange équimolaire oxygène protoxyde d’azote) permet une algésie de courte durée avec un réel bénéfice pour le patient et mériterait d’être plus largement démocratisée. Certains professionnels pratiquent par ailleurs l’hypnose, une autre solution pour aider le patient.

En dehors des soins : la plaie ulcéreuse est parfois douloureuse mais les patients se plaignent davantage des douleurs liées à la présence d’œdèmes. Il sera utile de les évaluer avec l’échelle visuelle analogique et d’en référer au médecin pour une prescription adaptée d’antalgiques.

Que faire en cas de complications de la plaie ?

Les ulcères peuvent très rarement être infectés. La complication la plus fréquente de l’ulcère est l’augmentation de sa taille, jusqu’à parfois faire le tour de la cheville. Cette évolution est due généralement à l’absence de compression médicale (personnes récalcitrantes et/ou ne supportant pas la sensation). L’ulcère évolue défavorablement avec d’importants exsudats et œdèmes, et handicape considérablement le malade tant sur le plan physique que social.

RELATION PATIENT

De quelles informations a besoin le patient ?

Plusieurs informations sont primordiales pour espérer la guérison d’une plaie caractérisée par une certaine chronicité et obtenir l’adhésion du patient à sa prise en charge. Il est utile d’expliquer comment s’est constitué l’ulcère et les traitements mis en œuvre au regard du stade de la plaie. La détersion est une étape indispensable mais difficile, le patient peut avoir des difficultés à accepter l’utilisation d’un bistouri ou d’un scalpel pour retirer la fibrine. L’infirmière le rassurera et s’engagera à tout mettre en œuvre pour que le soin ne soit pas douloureux et anxiogène. Une de ses missions sera aussi de faire prendre conscience que la compression médicale fait partie intégrante du traitement. Refaire un pansement tous les jours est inutile si l’on ne traite pas l’insuffisance veineuse en améliorant le retour veineux mécaniquement avec des bandes de compression.

Comment délivrer un message de prévention ?

Près de la moitié des ulcères veineux sont consécutifs à une insuffisance veineuse superficielle et pourraient être évités chez nombre de personnes par le simple traitement de cette pathologie. Afin de prévenir les récidives, il est recommandé :

- de porter des bas ou des chaussettes de compression à un niveau de pression le plus haut possible tout en étant supportable (au minimum de 20 mmHg, idéalement entre 30 et 40 mmHg) ;

- d’éviter les traumatismes (inciter le patient à veiller à ce qu’il n’y ait pas d’obstacles dans son environnement pour se déplacer) ;

- de respecter une hygiène correcte et de traiter la moindre plaie dès son apparition ;

- de lutter contre l’œdème par le drainage lymphatique ;

- de traiter les varices (sclérothérapie ou stripping) ;

- de pratiquer une activité physique régulière : au moins 30 minutes par jour, cinq jours par semaine (vélo, marche, natation, gymnastique…) ou en adoptant un mode de vie actif au quotidien (faire le maximum de déplacements à pied, prendre les escaliers). Éviter les sports qui provoquent des à-coups sur la voûte plantaire (tennis ou basket-ball) ;

- d’éviter l’exposition des jambes à la chaleur (bains chauds, saunas), le port de vêtements serrés au niveau du ventre et des jambes, le port de chaussures à talons de plus 3 cm de hauteur, de terminer la douche par un jet d’eau froide en allant des pieds jusqu’aux cuisses ;

- d’adopter de bonnes postures, ne pas croiser les jambes en position assise ;

- d’éviter le piétinement, de faire des mouvements de flexion/extension de la cheville en cas de position assise prolongée ou se mettre sur la pointe des pieds en cas de position debout prolongée pour activer la pompe musculaire du mollet ;

- de surélever les pieds du lit de quelques centimètres pour améliorer le retour veineux pendant la nuit ;

- d’avoir une alimentation équilibrée et de perdre du poids si nécessaire.

La prévention étant une démarche au long cours, la professionnelle de santé pourra profiter des temps de pansement et de pose des bandes de compression pour prodiguer des conseils en s’adaptant à la disponibilité d’esprit de son patient.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Manicot C., « Les dispositifs de compression médicale », L’Infirmièr.e, n° 3-4, décembre 2020-janvier 2021.

2. Torcq A., « Les affections veineuses chroniques : de la maladie veineuse chronique aux ulcères veineux », thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie, soutenue le 13 mai 2019, faculté de pharmacie, université de Lille. En ligne sur : bit.ly/30aGae9

3. Perruchoud D. L., Ramelet A. A., « Épidémiologie des ulcères de jambes, réflexions critiques », Résumé de la communication du 12 décembre 2014 à la Société française de phlébologie, Phlébologie, 2015;68(1):65-9. En ligne sur : bit.ly/3BL2d9r

4. Haute Autorité de santé (HAS), Bon usage des technologies de santé, « La compression médicale dans les affections veineuses chroniques », décembre 2010. En ligne sur : bit.ly/2X1GZVr

5. HAS, Bon usage des technologies de santé, « Les pansements : indications et utilisations recommandées », avril 2011. Sur : bit.ly/3iMnsju

6. HAS, « Prise en charge de l’ulcère de jambe à prédominance veineuse hors pansement », synthèse des recommandations, juin 2006. En ligne sur : bit.ly/3iPN3rT

Sources utiles

• Palmier S., Galuro M., Plaies et cicatrisation : guide pratique pour les IDE, 2e édition, éditions Lamarre. Plaies aiguës, escarres, pied diabétique, plaies cancéreuses… Cet ouvrage accompagne les infirmières au quotidien dans leurs prises en soins.

• Congrès conjoint Journées Cicatrisations & EWMA, du 1er au 3 février 2022, à Paris. www.cicatrisations2022.org

• Société française et francophone des plaies et cicatrisations. www.sffpc.org

• Les Journées Aquitaine cicatrisation, le 18 novembre, à Bordeaux. www.lesjac.fr

À savoir

DÉTERMINER LE TYPE D’ULCÈRE AVEC L’IPS

• L’index de pression systolique (IPS) est le rapport entre la pression systolique à la cheville et la pression systolique brachiale.

• La mesure de l’index de pression systolique est effectuée à l’aide d’une sonde doppler continue ou lors de l’écho-doppler.

• Elle se pratique sur un patient allongé à l’aide d’un brassard qui relève la pression systolique au niveau des artères tibiales antérieures (et/ou pédieuses) et postérieures. L’IPS correspond au rapport entre les pressions obtenues et permet de déterminer le type d’ulcère :

- entre 0,9 et 1,3 : ulcère veineux ;

- entre 0,7 et 0,9 : ulcère dit mixte ;

- moins de 0,6 : ulcère artériel.

En libéral

Je cote à la nomenclature

• Un pansement d’ulcère simple est coté AMI 2, comme un pansement courant, soit 6,30 €.

• Si l’ulcère est étendu sur une surface supérieure à 60 cm2, il sera coté AMI 4 + MCI (majoration coordination infirmière de 5 €), soit un total de 17,60 €.

• Si le pansement pour ulcère est associé à la pose de bandes de compression, la cotation est AMI 5,1 + MCI 5 €, soit un total de 21,06 €.

• L’analgésie topique est prise en charge : huit séances au plus peuvent être facturées pour un patient donné par épisode de cicatrisation, comprenant la dépose du pansement, l’application du produit d’analgésie et la mise en attente. L’analgésie est cotée AMI 1,1, soit 3,46 €.

La MAU (majoration acte unique) de 1,35 € vient en sus, seulement pour le premier déplacement.

Remarques :

- Calculs effectués selon le tarif de l’AMI en métropole (3,15 €). Dans les départements d’outre-mer, l’AMI est légèrement plus élevé (3,30 €). MCI et MAU sont identiques en métropole et dans les DOM.

- La MCI ne s’applique pas si les soins sont effectués au cabinet.