La coordination, une mission « naturelle » pour les Idels | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

PRISE EN CHARGE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

ORGANISATION

Laure Martin  

Idel, médecin traitant, masseur-kinésithérapeute, aide-soignante, aide à domicile : en ville, la liste des intervenants auprès des patients peut être longue. Pour une prise en charge optimale, tous doivent se coordonner. Un rôle qui revient assez naturellement à l’infirmière, non sans difficultés.

Toutes les infirmières libérales font de la coordination, appellent le médecin ou le pharmacien, je ne vois pas comment elles pourraient exercer sans en faire », assure John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Appels téléphoniques, e-mails, SMS, échanges verbaux formels ou informels : la coordination de proximité peut prendre différentes formes. « Il est difficile d’être opposé à la coordination des professionnels de santé, qu’ils soient ou non regroupés », poursuit Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. « Si des Idels disent ne pas faire de coordination, je pense qu’en réalité, elles ne se rendent pas compte qu’elles en font, estime Carine Renaux, ancienne Idel, infirmière en pratique avancée (IPA) en libéral et administratrice de la fédération nationale AVECSanté. Dans les prises en charge complexes notamment, les professionnels de santé ont forcément besoin de communiquer ensemble. »

Que ce soit à l’hôpital ou en libéral, la coordination est généralement assurée par les infirmières, premières soignantes à intervenir auprès des patients. « L’infirmière va établir le bilan des problématiques de santé, sociales, psychosociales, et de leur impact sur la personne, indispensable pour sa prise en charge », ajoute-t-elle. En se rendant quotidiennement chez leurs patients les plus dépendants, dès lors qu’elles observent un problème, les Idels vont assez naturellement le partager avec l’intervenant concerné pour trouver une solution. Si, avec les auxiliaires ou les aides-soignantes, l’obtention d’informations est souvent facile, notamment par la mise en place de cahiers de liaison au domicile du patient, ce n’est pas le cas avec tous les professionnels de santé. En fonction des territoires, des liens entre les soignants, de leur envie, la démarche peut être plus ou moins compliquée. De même que « sans l’autorisation et l’adhésion du patient, il est difficile de se coordonner », précise Ghislaine Sicre.

DE LA FLUIDITÉ DANS LE PARCOURS DE SOINS

La coordination présente pourtant un avantage réel pour les patients. Elle permet tout d’abord de gagner en qualité des soins et en temps de prise en charge. « Face à une problématique, prendre contact avec des personnes du secteur sanitaire ou social qui peuvent m’aider à trouver une solution ou encore apporter des informations à d’autres soignants, donc finalement faire de la coordination, permet d’avancer dans la prise en charge », rappelle Carine Renaux. À titre d’exemple, pour une plaie complexe qui ne cicatrise pas, « je vais me coordonner avec le médecin traitant et le centre de référence Plaies et Cicatrisations de mon territoire pour trouver des conseils, orienter le patient et améliorer sa qualité de vie, indique-t-elle. La coordination est pour moi synonyme de plus de fluidité. » Elle permet aussi de rendre le patient acteur de sa prise en charge. « Lorsqu’il est acteur de sa santé, nous pouvons travailler avec lui et ainsi instaurer plus facilement une alliance thérapeutique », souligne Ghislaine Sicre.

À l’inverse, l’absence de coordination peut avoir des effets délétères sur les patients. Et Ghislaine Sicre de donner un exemple : « J’avais un patient de plus de 90 ans sous anticoagulants. Son INR avait été déréglé et sa posologie pour ce médicament modifiée. Nous n’avons pas pensé à en informer le kinésithérapeute qui le prenait en charge. Ce dernier l’a alors massé aux épaules, et le patient a fait un hématome. Le rendez-vous suivant, une plaie s’est formée. Nous avons dû lui faire des pansements pendant trois semaines. Une bonne coordination aurait permis d’éviter cette situation. » Autre exemple : une Idel intervenait chez une patiente atteinte d’une maladie neurodégénérative pour son traitement qui générait une somnolence une heure après la prise. « En parallèle, l’orthophoniste nous disait toujours que la patiente était endormie, raconte l’infirmière. Mais nous ne savions pas qu’il se rendait chez elle une heure après notre passage, au moment où elle subissait les effets de son traitement. Là aussi, une bonne coordination aurait permis de le faire intervenir à un moment plus opportun de la journée. » La coordination fait nécessairement appel à l’interprofessionnalité et implique que les acteurs connaissent la sphère de compétences des uns et des autres ainsi que l’impact de leurs actes vis-à-vis des autres intervenants.

OBSTACLES ET OUTILS

Il faut reconnaître que la mise en œuvre de la coordination n’est pas toujours évidente, notamment lorsqu’il est question de joindre les interlocuteurs concernés. « Nous parvenons généralement toujours à joindre le médecin traitant et le pharmacien, souligne John Pinte. Mais lorsqu’il s’agit de contacter un hospitalier, cela devient plus difficile. Si personne ne répond, nous devons penser à rappeler le médecin ou le service à un autre moment de notre tournée ou à en informer notre collègue lors des transmissions pour qu’il prenne le relais. »

La coordination se révèle d’autant plus compliquée en exercice isolé, puisque l’Idel va devoir chercher des informations auprès des autres intervenants avec lesquels elle n’a pas nécessairement de contacts. L’existence d’outils serait facilitateur pour une bonne coordination. Les professionnels de santé peuvent certes utiliser la messagerie sécurisée mais « elle permet surtout une coordination passive puisque nous regardons nos e-mails quand nous le souhaitons », indique Ghislaine Sicre. Des réflexions existent sur des outils numériques, notamment des applications. Certaines existent déjà, mais offrent souvent un usage local. Or, « nos patients ne sont pas toujours sur le territoire dont dépend le prescripteur, rapporte John Pinte. Il faudrait des outils nationaux ou, a minima, interopérables ».

La solution : se constituer un réseau et utiliser toutes les ressources possibles du territoire sans oublier le secteur médico-social avec les Centres locaux d’information et de coordination (Clic) et les Centres communaux d’actions sociales (CCAS). « Le Clic était une ressource que j’interpellais régulièrement, fait savoir Carine Renaux. Nous avions l’habitude de travailler ensemble, il m’épaulait dans des prises en charge complexes. » Et de conseiller : « Il faut apprendre à se connaître sur un territoire, aller se présenter aux différents professionnels de santé, médecins, pharmaciens. » C’est ce qui va permettre un parcours personnalisé du patient.

LES ATOUTS DE L’EXERCICE REGROUPÉ

Lorsqu’il est question de coordination, l’exercice en structure regroupée présente des avantages, que ce soit en équipe de soins primaires (ESP) ou en Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), notamment pour nouer des liens de proximité entre soignants. Ces organisations leur permettent justement de se rencontrer, d’apprendre à se connaître, ce qui facilite la collaboration et les échanges au bénéfice du patient. « Ce type de structuration est facilitateur, c’est évident », reconnaît Ghislaine Sicre. Et généralement, ceux qui s’engagent dans ces regroupements sont favorables à la coordination. « L’intérêt de l’exercice regroupé est aussi le partage d’outils et cette envie commune de faire de la coordination », approuve Carine Renaux. Les professionnels de santé au sein des Maisons de santé pluriprofessionnelles partagent un système d’information et, avec leur autorisation, les dossiers des patients, ce qui permet d’avoir accès à un plus grand nombre d’informations les concernant. En exercice isolé, s’il est quand même possible de bien communiquer, la démarche sera peut-être moins aisée. Un point de vue partagé par John Pinte : « Je pense que les outils informatiques vont faciliter la coordination. Néanmoins, sans cela, elle ne sera pas mal effectuée, elle sera en revanche certainement plus compliquée. »

Au sein des MSP ayant signé l’Accord conventionnel interprofessionnel (Aci), les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) permettent également aux professionnels de santé, pendant un temps dédié et rémunéré, d’échanger et de se coordonner sur les dossiers patients. « Lors des RCP, chaque professionnel a un regard sur le patient, dans le cadre de sa sphère de compétences, une approche intéressante pour une bonne coordination, explique Carine Renaux. En MSP, nous sommes moins seuls face à nos difficultés. Nous partageons nos expériences les uns avec les autres pour ainsi avancer sur nos propres problématiques. » Un mode d’exercice utile avec la complexification des prises en charge. « Avec ce type d’organisation, les professionnels de santé ont aussi la possibilité de faire de la prospective sur des projets de soins, estime Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers. Ils peuvent gérer le présent tout en pensant à l’avenir et, en préventif, proposer des solutions aux problématiques en instaurant des schémas de réponses. »

Quelle valorisation pour la coordination ?

Point difficile à accepter pour la profession infirmière : l’absence de reconnaissance financière pour ce rôle de coordination. « Elle n’apparaît nulle part dans la nomenclature, rappelle Carine Renaux. Pourtant, il paraît naturel pour tous que nous la fassions. Il est vrai que nous sommes bien placées pour constater un problème dans la prescription ou une rupture de parcours. Mais cet acte ne nous est pas reconnu. » Actuellement, la seule coordination valorisée financièrement est la majoration de coordination infirmière (MCI) qui s’applique aux soins palliatifs et aux pansements lourds et complexes. Comment valoriser cette action de coordination sur toute la pratique ? « Le plus difficile pour l’Assurance maladie est de déterminer le temps passé à la coordination et le coût que cela peut représenter car elle ne s’engagera pas dans une dépense sans pouvoir l’évaluer », affirme John Pinte. « Les médecins ont des rémunérations sur objectifs de santé publique, pourquoi ne pas mettre en place des forfaits infirmiers en fonction du nombre de patients suivis, cela paraît plus pertinent qu’un acte », propose Carine Renaux. « Le forfait pourrait être une solution, mais dans les cabinets de groupe, comment répartir la file active ?, questionne John Pinte. Il va falloir trouver une solution, car cette coordination, nous la faisons ! »

LE CARNET DE BORD DE MARIE-CLAUDE DAYDÉ, infirmière libérale

[Cotation]

Pour un patient atteint de cancer, j’ai une prescription pour un pansement de brûlure consécutive à une radiothérapie et pour une injection en intraveineux. Lors de la même visite à domicile, sa femme me présente une prescription pour un lavage des sinus. Comment coter les différents actes et forfaits de déplacement de cette même intervention ?

En ce qui concerne le patient, selon la NGAP (chapitre 1, article 3) le pansement de brûlure suite à un traitement par radiothérapie et sur une surface supérieure à 2 % de la surface corporelle est coté AMI 4 + MCI puisque cette majoration de coordination s’applique aux pansements lourds et complexes. À cela s’ajoute une injection IV chez un patient atteint de cancer (chapitre 2, article 4) coté à 50 % de sa valeur (selon l’article 11B des dispositions générales) soit AMI 2,5/2. Pour ce qui est de l’épouse du patient, le lavage de sinus est coté AMI 2, auquel s’ajoutent des frais de déplacement. Toutefois, s’agissant de deux patients d’une même famille habitant le même lieu, seul le premier acte peut donner lieu à la facturation du déplacement à domicile (IFD et éventuellement IK). Sont à ajouter les indemnités de dimanche ou jour férié s’il y a lieu.

[À propos de…]

LA CONTENTION

À domicile, nous rencontrons des situations à propos desquelles on ne s’interroge plus ou pas assez et qui peuvent s’apparenter à de la « maltraitance ordinaire ». Ce peut être le cas de la contention physique mise en œuvre, a priori, dans un but de sécurité pour la personne, souvent âgée. Les barrières de lit, par exemple, mises en place par le soignant à la demande de la famille, et parfois sans prescription médicale, alors même que le patient cherche à les enjamber. Différentes études ont montré que ce type de contention présentait des risques. Jusqu’où la sécurité des personnes justifie-t-elle une limitation de leur liberté ? Qui apprécie la notion de risque et comment ? Est-ce que les normes soignantes prévalent et est-ce que l’histoire de vie de la personne est prise en compte ? Autre exemple, celui de la limitation de déplacement en attachant la personne à son fauteuil. Si l’on convient que la contention peut être un geste de soin, il importe de s’interroger en équipe sur le sens de l’action, en recherchant notamment les alternatives possibles et en réévaluant régulièrement la situation avec le médecin. Ce qui n’est pas toujours facile. Dommage !