LA COVID CHAMBOULE L’ACTIVITÉ DES SOIGNANTS EN SST HOSPITALIER - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

ENQUÊTE

JE DÉCRYPTE

SANTÉ AU TRAVAIL

Lisette Gries  

Une étude sur le vécu de la crise par les personnels des SST hospitaliers met en évidence que les nouvellestâches demandées à ces soignants ont un impact sur leur motivation au travail.

C’est un regard neuf sur la crise. Le Dr Jérémie Sommé, médecin du travail au CHU de Toulouse et administrateur de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH), a présenté, fin septembre, les résultats d’une étude sur le vécu de la crise sanitaire par les professionnels de santé exerçant en service de santé au travail (SST) dans les établissements de soins. « À ma connaissance, il n’y avait pas d’étude en France sur ce sujet, souligne-t-il. On a interrogé les soignants des services de réanimation ou d’urgences, mais pas ceux des SST. Or, la crise s’installe dans le temps et cela nous semblait intéressant de mesurer son impact sur nos services. »

FORTE SOLLICITATION PROFESSIONNELLE

132 personnes ont répondu à cette enquête en ligne, dont 86 médecins et 34 infirmières, issus de SST autonomes d’établissements, interétablissements publics et privés. Premier enseignement, le cœur d’activité a beaucoup évolué. 96 % déclarent que leur activité a été réorganisée en raison de la gestion liée à l’épidémie : les enquêtes autour des cas positifs, la programmation et la réalisation du dépistage et des permanences (physiques et téléphoniques) occupent désormais les services. « Ces nouvelles tâches se font au détriment de l’activité habituelle, notamment les visites de suivi et les interventions en milieu de travail », spécifie le médecin. Est-ce un effet direct ? Deux tiers des professionnels interrogés estiment que leur SST est plus visible et mieux reconnu au sein de l’établissement depuis l’épidémie.

Cependant, pour répondre à ces nouvelles exigences, les soignants travaillent beaucoup : 55 % font plus de 48 heures par semaine, et 59 % sont sollicités en dehors de leur lieu d’exercice pour des missions liées à la gestion de l’épidémie ; 41 % déclarent d’ailleurs avoir des difficultés à concilier vie personnelle et vie professionnelle. « Ces difficultés, qui ne sont pas nouvelles, ont été amplifiées par la crise », commente le médecin.

Des désaccords internes au service, portant sur le travail, sont aussi mentionnés par 50 % des personnes. « Les décisions sont davantage prises dans l’urgence, note le médecin, au détriment de la concertation collégiale et pluriprofessionnelle, ce qui peut générer de vrais conflits. » Par ailleurs, 57 % des sondés rapportent avoir subi des pressions pour rompre le secret médical ou professionnel depuis le début de la crise.

TENSIONS SUR LES EFFECTIFS

Les modifications de l’activité entraînent une nouvelle perception du travail : si 54 % des répondants disent avoir perdu le sens de leur métier, à l’inverse, les autres trouvent qu’il a gagné en intérêt. « C’est intimement lié : soit les professionnels ne reconnaissent pas dans ces nouvelles missions le sens premier de leur engagement, soit ils y voient un motif de motivation. »

Enfin, la crise a amplifié les soucis de personnel. 42 % des répondants jugent que, depuis la Covid, l’absentéisme est devenu problématique dans leur service. 81 % considèrent les effectifs de leur service insuffisants (hors crise, cette proportion tombe à 68 %). 27 % envisagent d’ailleurs de changer de poste ou de service à court terme. « La démographie professionnelle est déjà en tension dans nos services, et ça a encore empiré avec la crise. Mon établissement peut servir d’exemple : il y a sept postes de médecins, nous étions six fin 2020 et nous ne sommes désormais plus que trois, confie Jérémie Sommé. Souvent, les personnes qui se tournent vers la santé au travail le font pour quitter l’hôpital, donc nos services de SST en milieu de soins trouvent peu de candidats. »

Le gain de visibilité de ces SST pourrait bien être éphémère. « Pour redonner de l’attractivité à nos métiers, il faudrait les intégrer à des services de soins, suggère-t-il. Les professionnels pourraient participer à des suivis en addictologie, en allergologie, etc., mais également à de la recherche en infectiologie, être inclus dans les projets des hygiénistes. »