LE RÉTABLISSEMENT FACE À LA MALADIE CHRONIQUE : QUELLES FINALITÉS ? - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

JE ME FORME

SCIENCES HUMAINES

Jean-Marie Revillot*   Guillaume Saucourt**  


*docteur en sciences de l’éducation, formateur et responsable de la recherche et du développement au Grieps
**formateur consultant au Grieps

Le rétablissement, propre à chacun, conduit à se détourner de sa maladie pour récupérer son pouvoir d’agir et se concentrer sur son bien-être en s’appuyant sur ses compétences. Un paradigme qui modifie les postures soignantes.

LE CONTEXTE

Avec le phénomène de vieillissement de la population, et les facteurs culturels et environnementaux, l’essor des pathologies chroniques semble inexorable. En France, leur nombre est en constante augmentation. Si l’on se réfère aux données de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, en 2017, 10,7 millions de personnes ont été prises en charge pour une maladie chronique au titre du dispositif « Affection longue durée » (ALD). En réalité, en 2018, ce sont près de 21 millions de personnes, soit 35 % de la population couverte par le régime général de l’Assurance maladie, qui ont eu recours à des soins liés à une affection chronique(1).

La maladie chronique s’inscrit dans la durée, elle est répétitive, avec un risque de complications tant organiques et psychologiques que cognitives et sociales. Aussi affecte-t-elle et perturbe-t-elle profondément le quotidien du patient au point d’être perçue par ce dernier comme un envahissement, voire une entrave à sa vie du fait de ses différentes répercussions. Ces perturbations nécessitent que le patient puisse entrevoir, grâce à l’aide du soignant, une vie possible.

Ainsi, les maladies chroniques représentent à l’évidence un nouveau paradigme pour notre système de santé et appellent des dispositifs ou des innovations qui permettent une prise en charge holistique des personnes concernées et autant que possible personnalisées. Le Pr André Grimaldi(2) aborde la notion de troisième médecine, destinée aux personnes atteintes de pathologies chroniques, qu’il définit comme « la prévention individuelle et le traitement de maladies où, pour se soigner, le patient doit devenir actif et adopter de nouveaux comportements ». Il évoque une évolution de la pratique médicale orientée vers une pratique collective, avec des équipes soignantes pluriprofessionnelles, et orientée vers « une relation égalitaire et un partenariat asymétrique pour des objectifs partagés ». À travers ses propos, on observe une association nécessaire et complémentaire des modèles de santé : le modèle biomédical, centré sur la maladie pour informer et traiter, le modèle biopsychosocial, centré sur le bien-être pour prendre soin du patient et l’associer aux décisions, et le modèle développemental(3), centré sur son projet de vie pour l’accompagner et le reconnaître dans toute sa dimension. Toute la subtilité du rétablissement et de son accompagnement par le soignant nécessite donc d’aider le patient à naviguer entre une position d’agent, quand il se laisse porter, puis d’acteur et enfin d’auteur de sa santé lorsqu’il demande des éclairages sur son traitement et ses actes médicaux(4), qu’il fait des choix, prend des initiatives et des décisions en lien avec ses projets. En ce sens, la prise en compte de la singularité et de la subjectivité de la personne est indispensable afin d’améliorer sa qualité de vie et son autonomie afin qu’elle puisse, par exemple, accéder à un emploi ou s’y maintenir, participer à une vie sociale et vivre son quotidien avec plus de facilité.

LE RÉTABLISSEMENT : UN CONCEPT PLURIEL

Au final, le rétablissement doit tenir compte du projet de vie de chaque personne, comme le souligne Patricia Deegan(5), chercheuse américaine vivant avec une schizophrénie et pionnière du mouvement des usagers pour le rétablissement en santé mentale, qui évoque son propre rétablissement ainsi : « C’est une attitude, une façon d’aborder la journée et les difficultés qu’on y rencontre. Cela signifie que je sais que j’ai certaines limitations et qu’il y a des choses que je ne peux pas faire. Mais plutôt que de laisser ces limitations être une occasion de désespoir, une raison de laisser tomber, j’ai appris qu’en sachant ce que je ne peux pas faire, je m’ouvre aussi aux possibilités liées à toutes les choses que je peux faire. » Cette évocation est intéressante en ce sens que l’important pour le soignant qui accompagne est de se centrer autant sur les potentialités que les limites du patient.

Revenons sur cette notion de rétablissement qui peut revêtir différents sens en fonction des conceptions qui sont mobilisées. Le Larousse le définit comme « le fait, pour quelqu’un, de revenir à un bon état de santé » alors que le verbe « se rétablir » signifie « remettre dans son état premier ou dans un état satisfaisant ». Le mouvement décrit est de revenir vers le bien-être ou tout au moins envisager un mieux-être qui ne peut être que singulier à chacun. Cette définition peut sembler restrictive puisqu’elle suppose un retour à un état antérieur sans forcément tenir compte des apprentissages liés à la maladie, avec ses contraintes et ses opportunités. Sous cet angle, se rétablir est le corollaire de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) dans nos conceptions. Nous y reviendrons.

Le rétablissement est un concept anglo-saxon qui trouve son origine dans des mouvements d’usagers des années 1980 et 1990 prônant la reprise du pouvoir d’agir, l’empowerment et la défense des droits de la personne. Il existe différentes conceptualisations du rétablissement :

→ la première est centrée sur le rétablissement clinique, correspondant à un retour à un état de santé antérieur, mesuré par des indicateurs objectifs, notamment la présence ou l’absence de symptômes. On est proche de la définition du Larousse ;

→ la deuxième est orientée vers le rétablissement fonctionnel évalué à travers l’aptitude à fonctionner dans la société au regard d’indicateurs comme l’emploi, le logement. Des indicateurs plutôt extérieurs au sujet ;

→ le troisième correspond au rétablissement personnel, issu du mouvement des consommateurs de services de santé mentale ayant vécu une maladie mentale sévère. « C’est un processus profondément personnel et unique de changement d’attitude, de valeur, de buts et de rôle. Une façon de vivre une vie satisfaisante, active et pleine d’espoir en dépit des limitations dues à la maladie. Le rétablissement implique le développement d’un nouveau sens, d’un nouvel objectif dans la vie de chacun à travers le dépassement des effets catastrophiques de la maladie mentale(6). »

L’ETP AU SERVICE DU RÉTABLISSEMENT

Dans notre conception, le rétablissement ne se réduit pas à une « guérison clinique » ou « fonctionnelle » ; il est surtout une possibilité pour le patient de redonner du sens à son existence après la traversée de la nuit que représente la maladie chronique avec son risque de rupture dans la trajectoire de vie.

PATIENT ACTEUR CO-CRÉATEUR

Ainsi, nous définissons le rétablissement comme un processus par phases qui vise à permettre à chaque personne de retrouver sa capacité à décider et sa liberté d’agir, et à se projeter malgré la maladie. Il s’agit pour le soignant de remettre l’individu en contact avec ses potentialités. C’est l’une des visées fondamentales de l’éducation thérapeutique développementale(3) de se centrer sur les différentes potentialités de soi et de l’autre, et de les reconnaître comme des ressources. L’éducation thérapeutique va aider le patient à se dégager du statut de malade pour se reconsidérer comme une personne parmi tant d’autres. Aussi, se rétablir stimule l’espoir d’un avenir meilleur.

L’éducation thérapeutique du patient a trouvé du sens chez les professionnels et s’est étendue à toutes les disciplines. La rencontre du « prendre soin » et de « l’éducatif » a permis à l’éducation thérapeutique de se structurer progressivement et de se modéliser. Influencés par la relation centrée sur la personne de Carl Rogers, les soignants doivent intégrer dans leur pratique une éducation où le vécu du malade, l’accueil de ses besoins, sa place d’acteur co-créateur et le réinvestissement dans son projet de vie sont considérés comme inhérents à l’éducation thérapeutique que nous caractérisons comme « développementale », et qui permet d’entrevoir son rétablissement.

Il s’agit d’autre chose que d’une simple compréhension des soins par le patient. Il est question de liberté, de sens de la vie, de possibilité d’exprimer, dans sa maladie, le plus intime de lui-même et de se constituer comme sujet. Tout cela s’exprime par des refus, des illogismes, des incohérences qui sont souvent, et c’est ce qui fait le charme du travail soignant, l’expression de valeurs. Ces intentions nécessiteront donc de se pencher sur les représentations que la personne malade a de sa pathologie, des traitements, puis de sa santé, de ses projets, de sa vie passée et à venir envisagées en lien avec ses proches.

PROCESSUS D’ÉDUCATION

La figure d’un patient auteur de son éducation, partenaire, va s’imposer si, en premier lieu, il est considéré par le soignant et reconnu dans sa place, dans ses savoirs expérientiels et ses compétences ; en second lieu, le soignant aura à « repérer le processus d’éducation pour permettre au patient de passer d’un statut de patient informé à un statut de patient consulté puis associé à la décision et enfin reconnu comme partenaire(3) ». C’est là le grand enjeu des années à venir. Le rétablissement s’appuie sur les trois modèles de ce processus.

Le premier modèle (information) s’appuie sur une conception biomédicale de la santé centrée sur la vie et la survie, où il s’agit de prendre en charge le patient pour lutter contre la maladie et la mort, toujours possible. Le soin éducatif consiste alors à savoir informer, mobiliser des savoirs experts et les transmettre avec pédagogie pour faciliter l’intégration de ces connaissances par le patient afin de l’aider à prendre en compte ses limites. Ce modèle est donc fondé sur le savoir et les normes du professionnel de santé qui construit un projet sur le malade à un moment où ce dernier n’est pas à même de se constituer comme sujet. Il est venu pour recevoir des soins et il a donné son accord pour cela. Les logiques d’intervention sont au service d’informations individualisées pour créer un climat de confiance avec le patient. Le soignant est dans une posture de guide.

Le deuxième modèle (éducation) s’appuie sur une conception biopsychosociale de la santé centrée sur les soins, où l’éducation thérapeutique est au cœur de cette conception pour développer le processus d’observance, le coping, l’alliance avec le patient ainsi que l’intégration d’un savoir-faire à partir de procédures de soins. Cette conception permet au patient de se constituer comme sujet car l’urgence vitale est gérée et qu’il s’agit alors de construire un projet de soins avec lui. Il devient co-créateur de son éducation dans la mesure où il s’appuie sur ses savoirs d’expérience de la maladie que le soignant fait émerger. Les logiques d’intervention facilitent le développement du sentiment d’efficacité personnel(7) chez le patient dans une visée d’autonomie. Le soignant est là dans une posture d’accompagnement. Deux phases peuvent être décrites dans ce modèle de l’éducation thérapeutique : l’éducation aux procédures de soins pour permettre au patient de gérer sa maladie, et l’adaptation de ces procédures à son mode de vie pour les rendre intelligibles. Ces deux phases sont en cohérence avec les finalités de l’ETP définies par la Haute Autorité de santé et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé(8) : « Les finalités spécifiques de l’ETP sont l’acquisition et le maintien par le patient de compétences d’auto-soins et la mobilisation ou l’acquisition de compétences d’adaptation (nommées par certains auteurs compétences psychosociales). »

Le troisième modèle que nous proposons, centré sur le développement de la personne, condition sine qua non d’une conception de « l’éducation thérapeutique développementale(9) ». Les prémices de ce modèle sont symbolisées dans le rapport existentiel et temporel que l’homme entretient avec la maladie chronique. Erikson (1972), cité par Tourette-Turgis(10), propose de considérer la maladie comme une crise développementale avec possibilité de changement créatif et de croissance. Ainsi, un conflit est soulevé entre le désir d’exister et la souffrance qui s’accompagne d’une difficulté de choix.

L’ETP permet aujourd’hui d’aller plus loin dans la description des caractéristiques d’un modèle d’éducation thérapeutique développementale, qui s’appuie sur une conception biopsychosociale de la santé centrée sur le développement de la personne et son rétablissement, c’est-à-dire sur le comment vivre à partir de ses besoins et de sa demande. Cette conception s’inscrit dans le prolongement de l’éducation thérapeutique.

Le développement de Soi n’est pas, dans notre conception du rétablissement, une finalité individualiste ou tournée vers une course effrénée à la performance. Il s’inscrit dans une solidarité collective et humaine dans laquelle le rythme, les souffrances, les doutes du patient ne sont pas occultés mais tournés vers davantage de vie. Il s’agira pour le malade de repenser son mode de vie en projet de vie, en intégrant la vie avec les soins. Ainsi est accueilli le projet « du » patient orienté vers une interdépendance aux autres. Parce que les partages d’expérience sont éducatifs, le soignant est dans une posture de médiateur et le patient dans celle d’expert et de partenaire (11, 12).

Le rétablissement est donc un long processus où l’infirmière libérale trouvera toute sa place au chevet du patient qu’elle a appris à bien connaître. La relation co-construite, authentique, et l’alliance thérapeutique toujours recherchée sont les meilleurs ingrédients du rétablissement.

RÉFÉRENCES

  • 1. Assurance maladie, « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses », rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2021, juillet 2020. En ligne sur : bit.ly/3oOb0np
  • 2. Grimaldi A., Caillé Y., Pierru F., Tabuteau D., Les Maladies chroniques, vers la 3e médecine, éd. Odile Jacob, 2017.
  • 3. Revillot J.-M., Manuel d’éducation thérapeutique du patient, 2e édition, éd. Dunod, 2021.
  • 4. Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  • 5. Deegan P. E., “Recovery : The Lived Experience of Rehabilitation”, Psychosocial Rehabilitation Journal, avril 1988;11(4):11-9. En ligne sur : bit.ly/3Dhqioi
  • 6. Anthony W. A., “Recovery from Mental Illness : The Guiding Vision of the Mental Health Service System in the 1990s”, Psychosocial Rehabilitation Journal, 1993;16(4):11-23. En ligne sur : bit.ly/3DdANt4
  • 7. Identifier les bonnes raisons (motivantes et valorisantes) pour prendre des décisions au sujet de sa santé et de sa maladie.
  • 8. Haute Autorité de santé, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, Guide méthodologique « Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques », 2007. En ligne sur : bit.ly/3FmtPnj
  • 9. Revillot J.-M., Devillers C., Travail de recherche avec l’association Aphesis autour des phases du processus de l’éducation thérapeutique, 2013.
  • 10. Tourette-Turgis C., L’éducation thérapeutique du patient. La maladie comme occasion d’apprentissage, éd. De Boeck, 2015.
  • 11. Dumez V., « La révolution du patient partenaire », conférence TEDxUdeM (Université de Montréal), 2012.
  • 12. Pomey P., Flora L., Karazivan P. et al., « Le “Montreal model” : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé », Santé Publique, 2015/HS S1, 41-50. En ligne sur : bit.ly/3afnvjb