L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

ACCOMPAGNEMENT DES ESI

VIE PRO

COMPÉTENCES

Laure Martin  

Assurer le tutorat des ESI relève de la responsabilité des infirmières titulaires. Mais dans les établissements, la fonction est loin de séduire. Pas nécessairement par manque d’intérêt, mais souvent par manque de temps et de reconnaissance. Comment agir pour plus d’attractivité ?

D’un bon tutorat découle la bonne formation des étudiants en soins infirmiers (ESI). D’après les textes qui organisent sa formation, le tuteur est celui qui accompagne l’apprenant dans l’acquisition de ses compétences professionnelles, qui l’évalue lors d’un stage et qui est responsable de son encadrement pédagogique. Une fonction qui est enseignée dès la formation initiale. Mais aux dires de la profession et des ESI, cette première approche est loin d’être suffisante pour une bonne application sur le terrain. Une formation complémentaire semble indispensable. À ce jour, seule une instruction(1) du ministère de la Santé, qui n’a pas de caractère contraignant, encourage les établissements à former les soignants.

UNE FORMATION COMPLÉMENTAIRE

Pour Florence Girard, présidente de l’Association nationale des directeurs d’écoles paramédicales (ANdEP), la formation au tutorat devrait être intégrée au projet d’établissement, notamment dans le projet social des ressources humaines. « Nous pensons également que la formation au tutorat devrait être un élément de la certification des établissements hospitaliers, estime-t-elle. On nous parle d’attractivité des métiers, de fidélisation des soignants, cela doit commencer à la source ! » Car l’absence de formation à l’encadrement et de temps dédié à ce rôle peuvent être générateurs de maltraitance vis-à-vis des ESI, lesquels ont été nombreux à les avoir dénoncées dans le cadre du hashtag « balancetonstage », courant 2020.

Cette formation au tutorat, d’une durée moyenne de quatre jours, est donc l’occasion de sensibiliser le professionnel de santé à son rôle de tuteur, au référentiel de formation de 2009 ou encore à l’analyse des pratiques. « Il acquiert une certaine pédagogie, indispensable à cette fonction, car ce n’est pas inné de devenir tuteur », rappelle Florence Girard. « Nous sommes tous à même d’encadrer un ESI ou un aide-soignant, soutient Michèle Appelshaeuser, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Mais cela n’enlève rien à l’importance de la formation au tutorat, car les pratiques infirmières sont amenées à évoluer, tout comme les apprentissages et les compétences à acquérir. » La formation permet également de savoir ce que l’on peut attendre d’un ESI en fonction de son année de formation et ainsi d’être juste dans son évaluation. « L’encadrement est une question compliquée alors qu’il s’agit de la force même de notre profession puisque nous sommes formés par nos pairs, pointe du doigt Laurianne Larsonneur, vice-présidente en charge de l’innovation sociale et du tutorat à la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Il faudrait donc qu’ils soient tous formés à cette fonction. »

UN AVANTAGE POUR LE TUTEUR ET L’ÉTUDIANT

Mais certains établissements ne souhaitent pas pour autant investir dans la formation, notamment parce qu’avec la crise d’attractivité qu’ils traversent, le manque de personnel et le turnover, difficile de libérer ceux qui le souhaitent. « Lorsqu’une IDE formée part pour un autre établissement, finalement, ce n’est pas vraiment problématique puisqu’on forme pour le “bien public”. Mais si elle change de métier, il est vrai que c’est plus difficile à accepter », reconnaît Florence Girard. Certaines structures ont toutefois compris l’intérêt d’une telle formation. C’est le cas du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Strasbourg où, au sein du pôle de l’appareil locomoteur (Locomax), les infirmières qui le souhaitent sont formées à cette fonction. « Lorsque nous repérons des compétences pédagogiques et que l’IDE souhaite se former, nous lui accordons la formation, indique Carine François, cadre de pôle. Nous plaçons la formation au tutorat au même niveau que les autres formations utiles pour nos soignants. Et dès lors que des infirmières formées quittent le service, nous essayons d’en former d’autres. » Christiane Kraft, IDE depuis trente-trois ans, qui exerce au sein du pôle, a suivi la formation en 2015. « J’ai donc été tutrice sur le nouveau référentiel quelques années avant d’être formée, ce qui n’était pas évident. Lors de la formation, on a décortiqué le référentiel et les compétences attendues ainsi que l’intérêt pour les ESI de s’auto-évaluer. » Elle a aussi appris des astuces pour bien se situer vis-à-vis du stagiaire. « Avant d’effectuer le bilan de stage, je fais le point avec toutes les infirmières de proximité, ce qui me permet d’être objective », indique-t-elle, précisant que c’est la cadre du service qui l’informe si elle va être tutrice, et ce, toujours sur la base du volontariat. Christiane Kraft ne dispose pas d’un temps dédié au tutorat, mais ses heures supplémentaires lui sont comptées afin qu’elle puisse consacrer du temps à l’étudiant. « L’idéal serait bien entendu de bénéficier d’un temps dédié, cela montrerait la reconnaissance qui est faite à notre travail, soutient-elle. Mais je sais que c’est compliqué en raison du manque de personnel. »

DU TEMPS POUR LA MISSION

« Dégager du temps pour la fonction, c’est de l’argent, et de l’argent, les hôpitaux n’en ont pas, rappelle Michèle Appelshaeuser. Ils n’ont déjà pas assez de ressources pour effectuer des soins… » Malgré tout, la profession plaide pour l’instauration de ce temps consacré au tutorat car « le bilan de stage, l’analyse du travail effectué par l’ESI doivent être des moments où le tuteur prend le temps avec l’étudiant, notamment pour travailler la posture », estime Michèle Appelshaeuser. « Aujourd’hui, si les infirmières n’aspirent pas à être tutrices, c’est parce qu’elles le font dans le cadre de leur activité de soins, ce qui engendre des heures supplémentaires qui ne sont pas nécessairement rémunérées, fait savoir Florence Girard. Ce sont souvent les mêmes qui se portent volontaires, ce qui peut vite devenir épuisant. » Elle ne remet pas pour autant en cause le principe du volontariat car jouer ce rôle implique d’accepter le questionnement et le regard de l’autre, ce qui n’est pas évident.

Dans le service d’hématologie clinique et de thérapie cellulaire de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, une infirmière est dédiée à ce rôle. À ce poste depuis six ans, Florence Berg a suivi la formation de quatre jours. « La fonction que j’occupe est rare car cela fait un soignant en moins dans le service pour réaliser les soins, explique-t-elle. Mais je réponds à un besoin car le service est grand, le turnover est important, tout comme le nombre d’étudiants que nous accueillons. » Florence Berg se consacre à la fois aux étudiants et aux nouvelles IDE. Elle les accueille, organise les plannings, effectue les bilans de mi et de fin de stage avec eux et les infirmières de proximité. « Pendant leur stage, je me rends quotidiennement dans le service, et je peux être amenée à assister aux soins, notamment en cas de désaccord avec l’IDE qui encadre le stagiaire », explique-t-elle. Elle régule les informations transmises par les soignants, qui ne sont pas toujours au fait des attendus dans les critères d’évaluation. « Je les aide à évaluer de la façon la plus objective possible », rapporte-t-elle. Côté étudiants, ils sont rassurés car ils savent vers qui se tourner en cas de problème. « Ils se sentent reconnus dans leur statut d’étudiant, souligne-t-elle. Chacun est considéré, encadrant comme encadré. Les IDE de proximité assurent les soins et l’encadrement de manière plus volontaire car elles savent que je suis là. Je comprends que ces postes soient rares mais ils présentent un réel bénéficie pour le futur des ESI qui, peut être, le reproduiront. »

RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE

Pour promouvoir la fonction, le Cefiec et la Fnesi plaident pour une rémunération des tuteurs, « ce qui pourrait rendre le rôle attractif en valorisant l’engagement », considère Michèle Appelshaeuser. Pour l’ANdEP, ce n’est pas la solution car remplir cette fonction doit « venir d’une conviction, d’autant que cela fait partie de notre rôle, rappelle Florence Girard. Le risque, c’est que les autres infirmières ne s’engagent plus dans les autres fonctions liées à l’encadrement qui, elles, ne seront pas payées. Je crois davantage à la reconnaissance professionnelle qui pourrait se manifester lors de l’évaluation annuelle avec éventuellement un impact sur le changement d’échelon pour les IDE de la fonction publique. »

Pour faire avancer la situation, la Fnesi souhaiterait que soit mise en place une plateforme d’évaluation des stages pour disposer d’une vision nationale de leur déroulement. Les ESI pourraient ainsi faire remonter les informations, expliquer ce qui fonctionne plus ou moins bien, ou si l’encadrement est bien effectué. « Cela nous permettrait de travailler avec les établissements et les services, pour faire en sorte que les ESI soient mieux encadrés, soutient Laurianne Larsonneur. Car aujourd’hui, ce sont nous qui trinquons alors que nous sommes les futurs soignants. »

RÉFÉRENCE

1. Ministère des Affaires sociales et de la Santé, « Instruction n° DGOS/RH1/2016/330 du 4 novembre 2016 relative à la formation des tuteurs de stages paramédicaux », Solidarité, no 2016/12, 15 janvier 2017. En ligne sur : bit.ly/3icgGTQ

En libéral

« D’après les retours que nous avons, le tutorat en libéral est plus facile à organiser car l’infirmière avec laquelle l’ESI effectue la tournée est l’unique tuteur, explique Florence Girard. Mais il est vrai que pour certaines Idels, dix semaines de stage, ça peut être long. » Certaines refusent d’ailleurs ce rôle pour une question de temps mais aussi parce que les patients ne sont pas toujours enclins à recevoir des étudiants à leur domicile. « J’ai eu l’occasion d’effectuer un stage en libéral, et la relation que nous nouons avec l’Idel est vraiment différente, témoigne Laurianne Larsonneur. L’adaptation est beaucoup plus courte qu’avec toute une équipe, et une relation de confiance s’instaure très rapidement car l’infirmière peut très vite voir de quoi nous sommes capables. » Généralement, les Idels vont d’elles-mêmes se former au tutorat, notamment parce que c’est leur choix d’accueillir des ESI, et qu’elles ne peuvent pas s’appuyer sur une équipe.

Les qualités d’un tuteur

Être un bon tuteur implique un certain nombre de qualités au premier rang desquelles, l’objectivité. « Le tuteur doit savoir s’adapter au rythme des ESI, qui ne vont pas tous être au même niveau en fonction de leur parcours et de leur précédent stage, rappelle Laurianne Larsonneur. Il ne doit pas non plus juger la personne mais uniquement son travail, afin de lui permettre de devenir un bon professionnel. » « Il doit aimer accompagner les étudiants, estime Florence Girard . Il faut s’intéresser à l’autre, à ce qu’il est, à ce qu’il a fait, lui porter de l’intérêt, ainsi qu’à son parcours. » Le tuteur doit aussi porter certaines valeurs comme la bienveillance, le respect, l’écoute et la confiance. Enfin, il doit s’entourer des avis des autres infirmières ayant travaillé avec l’apprenti soignant. « Lorsqu’on est tuteur, il est important de se questionner et de prendre de la hauteur par rapport à son exercice », considère, pour sa part, Michèle Appelshaeuser.

Bien accueillir les étudiants

Le bon déroulement d’un stage passe avant tout par un bon accueil des étudiants en soins infirmiers (ESI). La présentation de l’établissement, de son projet, du service, des conditions matérielles sont autant d’éléments qui doivent être transmis aux ESI afin qu’ils puissent débuter leur stage dans les meilleures conditions, avant d’être ensuite accueillis par leur tuteur dans leur service respectif. « Bien accueillir l’ESI, c’est aussi lui donner un casier, lui montrer l’endroit où il va pouvoir manger, réchauffer son plat, lui fournir les tenues pour son stage, rappelle Laurianne Larsonneur. Cela fait déjà partie de l’encadrement mais c’est loin d’être effectué dans toutes les structures. »

La création d’un livret d’accueil est aussi un outil essentiel « pour leur permettre de connaître l’organisation du service, les compétences qu’ils vont pouvoir développer, ce qui va leur être proposé », estime Florence Girard. Ce guide, qui va les aider lors de l’évaluation, doit être travaillé avec les tuteurs et les cadres. Les fiches de suivi du stage sont également « de plus en plus courantes, indique Laurianne Larsonneur. Elles sont vraiment pratiques car si l’IDE qui a encadré l’ESI est en arrêt, toutes les informations sur le stage restent accessibles aux soignants qui prennent le relais. »

Info +

L’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers libéraux Pays de la Loire a mis en place un « Espace tutorat » sur son site Internet pour accompagner les soignants dans leur mission. bit.ly/2WjfyGp