DÉCISIONS DE JURISPRUDENCE
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JURIDIQUE
Droit disciplinaire, qualité de la surveillance en salle de réveil, responsabilité, pratique des actes… Voici quatre décisions de jurisprudence pouvant éclairer l’exercice infirmier*.
Des défauts d’attention, des brusqueries dans les soins et un geste inapproprié sont analysés comme des faits de violence commis sur des personnes vulnérables, et justifient un licenciement pour faute grave (Cour de cassation, chambre sociale, 31 mars 2021, n° 19-23518).
Une aide-soignante, engagée en 1987 par une association, a été licenciée pour faute grave le 1er décembre 2012, au motif de faits de maltraitance. Suite à ce licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud’hommale.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de la personne en poste dans l’entreprise.
Toute violence commise sur les patients est un motif de licenciement, dont l’ampleur et les conséquences sont appréciées en fonction des différentes preuves apportées.
Le conseil de prud’hommes, suivi de la Cour d’appel, ont retenu trois faits. Faits que la Cour de cassation va valider.
Premier grief. Devant effectuer une douche à un résident, l’aide-soignante mise en cause n’avait pas pris le soin de régler la température de l’eau, laquelle était trop chaude. Celle-ci a déclaré : « C’est vrai que le premier jet était chaud, j’ai alors demandé au résident s’il voulait qu’on change de douche ou si on continuait. Il m’a dit de continuer, et j’ai fait vite. »
Cette déclaration corrobore les déclarations du résident, même si celui-ci a voulu minimiser les faits en qualifiant la professionnelle de santé de « brusque » et non de maltraitante.
Deuxième grief. Une résidente, qui était atteinte de troubles psychiatriques rendant son élocution difficile, avait subi quelques semaines plus tôt l’ablation de son œil gauche. Pendant la douche, l’aide-soignante avait dirigé le jet d’eau en direction du visage de la résidente, l’empêchant de crier. Ce fait a été constaté par une autre aide-soignante, qui a indiqué avoir été choquée de voir que sa collègue lavait « l’œil en lui mettant directement le jet d’eau dans le visage », alors que, selon la procédure, seule une infirmière était habilitée à nettoyer l’œil de façon adaptée. Elle lui avait demandé « d’arrêter puisque l’eau coulait dans la bouche de la résidente qui criait, et semblait avoir des difficultés à respirer ». Ce à quoi l’aide-soignante incriminée avait répondu : « Mais si, elle respire. » Lors de l’enquête, elle a déclaré : « La résidente ayant l’œil gauche crevé, aux fins de nettoyer les saletés se trouvant dans l’auriculaire, le jet d’eau tiède a été placé en insistant au-dessus de l’œil. Cet acte n’a occasionné aucune blessure supplémentaire à la résidente. Son œil a été nettoyé. Cela a choqué une jeune aide-soignante qui débutait dans la profession. Pour ma part, je n’ai commis aucun acte de maltraitance. » Cet acte non professionnel doit être considéré comme de la maltraitance.
Troisième grief. L’aide-soignante avait tordu le bras d’une résidente pour la redresser, ainsi qu’en ont attesté trois membres de l’équipe, indiquant l’avoir vue « tordre fortement le bras de la patiente afin qu’elle se redresse d’elle-même ». L’un d’eux lui a demandé « d’arrêter » de « peur qu’elle lui casse le bras ». Bien que l’entourage de cette résidente ait affirmé n’avoir constaté aucun geste de maltraitance, cela ne suffit pas à contredire ce témoignage, la famille témoignant de manière générale et non au regard de cette scène dont la preuve doit être considérée comme établie.
Ces trois faits décrits sont constitutifs de maltraitance à l’égard des résidents. Par conséquent, ils justifient le licenciement pour faute grave de l’aide-soignante mise en cause pour avoir violenté ces personnes et porté atteinte à leur dignité de personnes fragiles, vulnérables, dépendantes et dans l’incapacité de se défendre.
Le fait qu’un patient chute en salle de réveil, alors même que les conditions exactes de son installation ne sont pas établies par le dossier, est une circonstance qui permet de présumer la faute dans une phase où la surveillance doit être intense. Dès lors, la responsabilité de l’établissement de soins est engagée (Cour administrative d’appel de Versailles, 6e chambre, 28 juin 2021, n° 19VE01781).
Le 21 septembre 2012, un homme est admis pour une intervention chirurgicale dans le cadre d’une prise en charge en ambulatoire au sein d’un centre hospitalier. Après cette opération, alors qu’il se trouvait en phase de réveil, il a fait une chute. Cet accident a occasionné une fracture du col du fémur qui a nécessité une seconde opération et une hospitalisation dans l’établissement jusqu’au 3 octobre 2012.
Le Code de la santé publique, dans son article L 1142-1 I prévoit que « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».
Les déclarations des parties et l’analyse des pièces du dossier ne permettent pas de déterminer avec certitude le type d’anesthésie pratiquée et le type de contention - fauteuil ou brancard avec barrières levées ou non - dont faisait l’objet le patient. Cela dit, il est établi que ce dernier est tombé en salle de réveil, endroit où il aurait dû faire l’objet d’une surveillance renforcée.
En l’absence de tout autre élément ayant pu concourir à la réalisation du dommage, ce défaut de surveillance, qui traduit une faute dans l’organisation du service public hospitalier, engage la pleine responsabilité de celui-ci.
Une imprudence ne suffit pas à disqualifier en faute détachable un accident de trajet (Cour administrative d’appel de Douai, 2e chambre, 20 juillet 2021, no 20DA00922).
Le 14 juillet 2017, vers 7 heures du matin, alors qu’un infirmier en soins généraux s’apprêtait à pénétrer en scooter dans l’enceinte de l’hôpital pour y prendre son poste, la barrière automatique du poste d’entrée s’est rabattue sur sa tête, causant la fracture d’une dent et des douleurs cervicales. Le 18 juillet suivant, l’agent a déclaré cet accident auprès de son administration et a été placé en arrêt de travail pendant un mois. Par une décision du 11 décembre 2017, le directeur a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de cet accident au motif de l’imprudence de l’intéressé lors du franchissement de la barrière.
Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre son lieu de travail et sa résidence, et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service.
L’accident est survenu alors que l’intéressé se présentait en scooter à l’entrée du parking de l’hôpital à 6 h 58, pour prendre son service prévu à 6 h 45. Ce retard de treize minutes n’est pas en lui-même de nature à détacher l’accident du service. La vidéosurveillance a révélé que l’agent a franchi la barrière qui est retombée sur son casque alors que celle-ci avait entamé sa descente, que le gyrophare d’avertissement avait commencé à clignoter pour signaler ce mouvement aux usagers et que l’intéressé n’a pas respecté la procédure d’accès au site prévoyant que les employés doivent utiliser un badge pour relever la barrière ou solliciter l’intervention du gardien à cet effet. Ces circonstances révèlent une imprudence manifeste de la part de l’intéressé, quand bien même il soutient qu’il s’attendait à ce que la présence de son scooter entraîne le relevage de la barrière de manière automatique. Toutefois, il apparaît que des problèmes de détection des véhicules à deux roues et des piétons par cette barrière automatique avaient déjà été constatés.
Dès lors, cette imprudence fautive de l’agent ne revêt pas un degré de gravité tel que cet événement doive être regardé comme détachable du service, et l’imputabilité de l’accident au service doit être retenue.
La prise en charge d’un patient sous contrainte n’impose pas, à elle seule, une fouille, acte auquel il ne peut être recouru qu’en fonction de données spécifiques (Cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 6 juillet 2021, n° 19LY02974).
Un homme né en 1954 a été admis, sous le régime d’une hospitalisation sous contrainte, dans un centre hospitalier spécialisé le 12 juin 2014 en raison de troubles psychiatriques. Le 15 juillet 2014, vers 1 h 30, il a provoqué un incendie en éteignant mal sa cigarette. Cet événement a occasionné de graves brûlures chez le patient.
La responsabilité de l’hôpital pour défaut de surveillance d’un malade psychiatrique ne peut être recherchée que sur le fondement d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier. Selon l’article L 3211-3 du Code de la santé publique, lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques en application des dispositions sous contrainte ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis.
La surveillance. La famille soutient que les troubles psychiatriques dont était atteint leur proche au moment des faits justifiaient une surveillance renforcée de la part de l’hôpital. Elle fait valoir qu’il avait déjà été admis dans le centre hospitalier le 12 octobre 2012, alors qu’il menaçait des gens dans la rue avec une machette, comportement lié à une forte alcoolisation. Toutefois, ces faits, qui sont anciens et isolés, ne peuvent attester de la dangerosité du patient lors de son séjour de juin-juillet 2014 fondé sur « la recrudescence de troubles psychotiques schizophréniques principalement dans le registre négatif avec une certaine désorganisation temporelle ».
Lors de deux séjours en 2013, le patient n’avait pas fait l’objet d’une surveillance accrue et bénéficiait d’une relative liberté de mouvement malgré son régime d’hospitalisation sous contrainte. Il était simplement mentionné dans le dossier que, en raison d’une crise d’épilepsie, « l’état clinique demeure préoccupant, nécessitant un réajustement thérapeutique et une surveillance étroite ».
La famille fait valoir que suite à une agression sur une patiente survenue le 3 juillet 2014, leur proche a été placé en chambre d’isolement avec contention complète. Toutefois, l’incident est resté isolé et le dossier médical décrit l’intéressé comme calme et respectant les soins prodigués. Un certificat mensuel du 10 juillet 2014 souligne que « les choses se sont légèrement améliorées, en particulier avec l’essai de Xeroquel ».
Enfin, si l’intéressé était désorienté le jour de l’accident, les troubles psychiatriques dont il est atteint ne justifiaient pas la mise en place de mesures de surveillance particulières, et il n’avait donc pas à être placé en chambre d’isolement thérapeutique. La circonstance que ce malade a été admis sous un régime d’hospitalisation sous contrainte n’instituait pas une obligation de surveillance rapprochée.
L’absence de fouille. La famille reproche à l’hôpital d’avoir laissé le patient en possession d’un briquet et de cigarettes. Le centre hospitalier procède, lors de l’admission des patients en régime d’hospitalisation sous contrainte, à un inventaire systématique de leurs effets personnels et à la confiscation de tout objet dangereux, et l’interdiction de fumer dans les locaux de l’hôpital est rappelée à maintes reprises. Le patient a reconnu devant l’expert qu’il savait très bien qu’il était interdit de fumer dans la chambre et qu’il y a donc fumé à l’insu du personnel. Aussi, le comportement de l’intéressé ne justifiait nullement de le soumettre à une fouille corporelle afin de lui retirer son briquet. Le centre hospitalier a mis en place les mesures de surveillance adaptées et n’a donc commis aucun manquement de nature à engager sa responsabilité du fait de l’incendie survenu le 15 juillet 2014.
* Sources : Objectif Soins & Management, n° 282, août-septembre 2021, et n° 283, octobre-novembre 2021