LA MALADIE D’ALZHEIMER
JE ME FORME
PRISE EN CHARGE
Maïtena Teknetzian* Dr Véronique Lefebvre des Noëttes**
*Dr en pharmacie, enseignante en Ifsi et membre de l’association Pharmacie & Gérontologie
**psychiatre de la personne âgée au centre hospitalier Émile-Roux, à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), et docteure en philosophie pratique et éthique médicale
Devant son nom à l’Allemand Alois Alzheimer, premier neurologue à avoir décrit cette affection en 1906, la maladie d’Alzheimer est la pathologie neurodégénérative la plus fréquente. Un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée et personnalisée ont pour objectif de préserver l’autonomie du patient le plus longtemps possible et de soutenir l’aidant.
En France, la maladie d’Alzheimer concernerait plus de 900 000 personnes. Et sa fréquence augmente avec l’âge : selon les données de l’association France Alzheimer, elle touche 3 % des personnes de plus de 65 ans et plus de 20 % des plus de 80 ans. Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes. Enfin, c’est le plus fréquent des troubles neurocognitifs majeurs du sujet âgé (70 % des cas) devant la démence vasculaire.
La maladie d’Alzheimer affecte les fonctions cognitives et se traduit par des troubles de la mémoire, du langage, de l’orientation, une difficulté à organiser sa pensée en raisonnement, menant petit à petit à une perte d’autonomie. S’associent à cela des troubles de l’humeur et du comportement.
Dans un premier temps, ces troubles concernent la mémoire à court terme : on ne se souvient plus de l’endroit où l’on a rangé ses clefs ou son téléphone, ou encore où l’on a garé sa voiture, par exemple. Préservée au début de la maladie, c’est ensuite la mémoire à long terme qui va être atteinte, touchant la mémoire épisodique (relative aux événements, aux souvenirs personnels du patient), sémantique (relative aux connaissances apprises et liée au niveau d’études) et procédurale (relative à certains gestes quasi automatiques après un apprentissage comme tricoter, faire du vélo, conduire…).
On entend par troubles des fonctions exécutives la perte de la capacité à adapter son comportement à un contexte donné. Le patient a des difficultés d’organisation et de planification qui le perturbent dans la réalisation de certaines tâches comme tenir son agenda, gérer sa prise de médicaments, préparer une valise, prendre les transports, se servir de son téléphone, remplir un chèque, préparer ses repas…
L’aphasie correspond à des troubles du langage dus à la perte de certains termes de vocabulaire, même courants. En pratique, la personne cherche ses mots et a du mal à comprendre et tenir une conversation.
L’apraxie. Il s’agit d’un trouble de la coordination motrice qui rend les actes de la vie quotidienne de plus en plus difficiles.
L’agnosie est la difficulté à reconnaître les objets courants ou les visages (prosopagnosie) de personnages célèbres dans un premier temps, puis ceux des proches dans un second temps.
Le patient a du mal à se repérer dans le temps (il ne sait pas quel jour nous sommes, ne se repère pas dans la saison et/ou l’année, peut confondre le matin et le soir) puis dans l’espace (il peut se perdre sur des trajets familiers).
Anxiété, irritabilité, agitation, insomnie, dépression et apathie sont souvent présentes dès le début de la maladie et notées par l’entourage du patient. Si ces troubles sont dus aux atteintes neuronales, ils sont également l’expression d’une réaction aux troubles cognitifs.
Une agitation motrice avec un besoin de déambulation (comportement répétitif de marche et de déplacements incessants) peut survenir, notamment en cas d’anxiété ou en réaction à une situation vécue comme un enfermement, comme le placement en institution.
À noter que les personnes atteintes peuvent également avoir des hallucinations visuelles, auditives et même tactiles.
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par l’apparition de deux types d’anomalies dans le cerveau : d’une part des plaques séniles (dépôts extraneuronaux constitués de protéine bêtaamyloïde A4) toxiques pour les neurones et, d’autre part, des dépôts intracellulaires de protéine Tau. Normalement constitutive du cytosquelette des cellules, la protéine Tau, phosphorylée dans la maladie d’Alzheimer, va désorganiser la structure des neurones et concourir à la mort neuronale.
La présence en excès de glutamate (un neuromédiateur excitateur) serait toxique pour les neurones et déclencherait les processus de phosphorylation de la protéine Tau.
Cette insuffisance en acétylcholine concerne initialement les neurones cholinergiques de l’hippocampe – la zone du cerveau impliquée dans les processus mnésiques – avant de s’étendre progressivement à l’ensemble du cerveau.
La maladie d’Alzheimer est une pathologie multifactorielle complexe.
L’âge est le principal facteur de risque, mais d’autres facteurs, qu’ils soient socioculturels (faible niveau d’études) ou environnementaux (consommation d’alcool, tabagisme) ou encore certains facteurs de risque cardiovasculaire comme l’hypertension artérielle non contrôlée, les dyslipidémies et le diabète de type 2 non équilibré, entrent en interaction.
L’absence d’activité physique serait, par ailleurs, associée à une augmentation de la fréquence de survenue de la maladie. De même, les microtraumatismes crâniens (chez les boxeurs ou les joueurs de rugby, par exemple) pourraient être un facteur de risque.
Certains facteurs génétiques expliqueraient une prédisposition familiale : lorsqu’un parent du premier degré est atteint, le risque de développer la maladie est multiplié par 1,5, et par 2 si deux parents sont touchés.
L’évolution et la vitesse de progression de la maladie varient d’un patient à l’autre. Elle évolue sur plusieurs années et s’exprime différemment selon les personnes. En effet, certains symptômes peuvent être très marqués dès le début chez certains patients ou rester longtemps discrets.
Si la maladie d’Alzheimer ne cause pas directement le décès des patients, les complications liées à la pathologie, comme la dénutrition ou les chutes consécutives à l’apraxie, en revanche, peuvent avoir des répercussions sur l’espérance de vie. En moyenne, le décès survient huit à douze ans après l’apparition des premiers symptômes.
La majorité des malades vivent avec leur conjoint, un de leurs enfants… En France, on compte environ 5 millions d’aidants familiaux, dont l’âge moyen est de 76 ans. La durée moyenne de l’aide avant le placement en institution est de six ans.
Être l’aidant d’une personne souffrant de troubles cognitifs représente une charge physique et psycho logique très lourde (lire l’encadré « Les signes de rupture chez l’aidant » ci-dessus).
La fonction d’aidant est reconnue comme un facteur de risque de dépression (facteur multiplié par trois selon l’étude Beeson de 2003), de défaut de résistance aux infections et même de décès prématuré (surmortalité de l’aidant de 63 % dans les quatre premières années, d’après l’étude de Schulz and Beach menée en 1999).
D’après la Haute Autorité de santé (HAS), « l’accès au diagnostic reste encore insuffisant. Les cas sont sousdiagnostiqués ou diagnostiqués à un stade évolué de la maladie. La question du diagnostic étiologique ne se poserait souvent qu’au moment où une entrée en institution est envisagée(1) ».
Or, le diagnostic doit être le plus précoce possible et peut être envisagé sans attendre un stade démentiel. Il va permettre d’anticiper les stades avancés de la maladie, de préserver la qualité de vie du patient et d’aider l’entourage à mieux comprendre les changements de comportement de leur proche.
→ Au domicile : lors de leurs visites chez le patient, certains signes peuvent alerter les infirmières et faire suspecter des troubles cognitifs devant faire orienter la personne vers son médecin traitant ou une consultation mémoire de proximité afin de permettre un diagnostic plus précoce : égarement d’objets, oublis de rendezvous ou d’événements récents, sautes d’humeur inhabituelles, troubles du sommeil, perte de la notion du temps, de motivation, remplacement dans la conversation d’un mot par un autre…
Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer se construit en plusieurs étapes.
Le Mini-Mental State Examination (MMSE ou test de Folstein) est un test simple, noté sur 30 points, qui a pour objectif d’évaluer les fonctions cognitives grâce à différentes questions ou exercices (capacité à retenir trois mots durant quelques minutes, capacité à calculer et à exécuter des ordres simples, orientation dans le temps et l’espace, capacité à écrire une phrase comportant au moins un sujet et un verbe, etc.). La note obtenue (Mini Mental Score ou MMS) permet de graduer la sévérité de la maladie. Ainsi, un score inférieur à 26 est en faveur d’un déclin cognitif : entre 21 et 25, la maladie est considérée comme légère ; de 16 à 20 elle est modérée ; de 10 à 15 elle est modérément sévère ; en dessous de 10, elle est considérée comme sévère. Le diagnostic ne doit toutefois pas reposer sur ce seul test dont le résultat peut être faussé, notamment par le niveau socioculturel du patient, le stress, ou en cas de dépression sévère.
Le test de l’horloge est un autre outil d’évaluation, court, consistant à faire dessiner au patient un cadrant de montre et d’indiquer une heure précise (les douze chiffres doivent être positionnés correctement et dans le bon ordre, et deux aiguilles, dont l’une plus petite que l’autre, doivent être dessinées). Il permet de tester la mémoire sémantique et les fonctions exécutives.
Ces premiers tests peuvent être effectués par un médecin généraliste. Une hypothyroïdie, un déficit en vitamine B12, une anémie, une hyperglycémie, une dépression doivent être recherchés afin d’éliminer une autre étiologie.
Si ces diagnostics différentiels sont exclus, le médecin généraliste oriente alors le patient vers une consultation mémoire pour confirmer le diagnostic de trouble neurocognitif et apprécier l’autonomie du patient (toilette, habillage, courses, préparation des repas, prise des médicaments, utilisation du téléphone et des moyens de transport, gestion du budget), au moyen de l’échelle IADL (Instrumental Activities of Daily Living).
L’IRM, révélant une atrophie hippocampique, permet d’éliminer d’autres diagnostics (démence à corps de Lewy, démence vasculaire, etc.).
Le bilan neuropsychologique complet, basé sur une batterie de tests durant trois heures, permet d’apprécier la mémoire, le langage, l’orientation, la reconnaissance des objets et des personnes, le raisonnement et l’humeur du patient.
Pour les cas les plus complexes (patients âgés de moins de 65 ans, symptomatologie atypique, formes rapides), une ponction lombaire sera effectuées afin de mesurer trois marqueurs de la maladie dans le liquide cérébrospinal : la protéine bêtaamyloïde A4, les protéines Tau et Tau phosphorylée.
Les causes exactes de la dégénérescence neuronale n’étant pas précisément identifiées à ce jour, il n’existe pas de traitement curatif.
Pour l’heure, celui-ci repose sur une prise en charge pluridisciplinaire (neurologues, psychiatres, gériatres, orthophonistes, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, psychomotriciens, psychologues, infirmières, aidessoignantes et auxiliaires de vie) pour maintenir le plus longtemps possible l’auto nomie et le bienêtre du patient.
Les médicaments de la maladie d’Alzheimer (voir le tableau 1 ci-dessus), qui ne sont plus remboursés depuis août 2018, ont désormais une place limitée dans la stratégie thérapeutique. De ce fait, « ils sont de moins en moins prescrits. Pour autant, ils sont tout de même utiles dans certaines apathies ou efficaces dans les hallucinations (patchs d’Exelon, notamment), tandis que les neuroleptiques aggravent les troubles cognitifs, considère le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre de la personne âgée au centre hospitalier ÉmileRoux de LimeilBrévannes (Val-de-Marne). Le problème des anticholinesté rasiques tient au fait qu’ils n’agissent que sur l’acétylcholine et non sur la protéine Tau, à l’origine de l’apoptose neuronale. La recherche doit porter sur cette protéine, sur l’ARN messager et aussi sur la composante inflammatoire de la maladie ».
Les anticholinestérasiques (donépézil, galantamine, rivastigmine) sont indiqués dans les formes légères à modérément sévères de la maladie. Leur mode d’action consiste à inhiber la cholinestérase, enzyme dégradant physiologiquement l’acétylcholine dans les fentes synaptiques. Ces médicaments permettent donc d’augmenter les concentrations cérébrales d’acétylcholine.
→ Effets indésirables : le plus fréquemment, troubles digestifs (nausées, diarrhées, vomissements) avec risque d’anorexie et de perte de poids, rhume, hyperhidrose et incontinence urinaire, mais aussi risque de bradycardie sinusale et de troubles du rythme cardiaque (justifiant la réalisation d’un électrocardiogramme avant la mise en place du traitement), hallucinations, confusion et vertiges. La rivastigmine peut en outre être responsable de réactions d’hypersensibilité cutanée.
La mémantine est un antagoniste de certains récepteurs neuronaux empêchant le glutamate de s’y fixer et d’endommager les neurones. Cette molécule est indiquée dans les formes modérées à sévères de la maladie.
→ Effets indésirables : vertiges, hallucinations et confusion, somnolence, constipation et troubles vasculaires (hypertension et, plus rarement, thrombose veineuse).
Les médicaments anticholinergiques (antidépresseurs imipraminiques, neuroleptiques phéno thiaziniques et hypnotiques antihistaminiques) sont à proscrire en raison de leurs effets indésirables sur les fonctions cognitives, mais également d’un risque d’interaction par antagonisme avec les anticholinestérasiques.
Les benzodiazépines à demi-vie longue sont également à exclure du fait de leurs effets indésirables (risque prolongé de somnolence diurne, faiblesse musculaire, troubles mésiques).
En cas de troubles du sommeil, il est préférable d’agir par des moyens non médicamenteux (exposition à la lumière en journée, limitation du temps de sieste, activité physique…).
En cas de dépression, les antidépresseurs séroto ninergiques seront privilégiés. Toutefois, ils ne sont pas indiqués dans l’apathie qui se distingue par l’absence de tristesse et de sentiment d’ennui. Souvent, les patients apathiques évitent les activités par peur de l’échec. L’apathie peut donc être prévenue en encourageant et en accompagnant le malade dans l’action.
En cas d’hallucinations, une prise en charge psychocomportementale sera indiquée en première intention.
D’après le guide pratique(2) publié sous l’égide de la Fondation Médéric Alzheimer, une intervention non médicamenteuse (INM) est définie comme « une intervention psychologique corporelle, nutritionnelle, numérique ou élémentaire sur une personne visant à prévenir, soigner ou guérir. Elle est personnalisée et intégrée à son parcours de vie. Elle a fait l’objet d’au moins une étude interventionnelle publiée ».
Il existe différentes interventions non médicamenteuses, comme l’activité physi que adaptée, les thérapies basées sur l’art, la musique ou la danse, le jardi nage, les interventions assistées par l’animal, les mesures de stimulation cognitive ou multisensorielle. Ces techniques vont stimuler l’attention, les fonctions exécutives, les fonctions motrices, en particulier la motricité fine (art-thérapie), améliorer l’équilibre, l’orientation spatiale (danse-thérapie) et temporelle (hortithérapie), mobiliser des savoirfaire (hortithérapie), favoriser les émotions, stimuler le langage, améliorer la communication verbale et non verbale, déclencher des souvenirs autobiographiques et améliorer l’humeur du patient (voir les tableaux des interventions non médicamenteuses selon l’effet indiqué, p. 28).
Une activité physique adaptée va contribuer au renforcement musculaire, à l’entretien de la mémoire et à lutter contre l’isolement social. De même, elle améliorera le sommeil et les troubles du comportement.
La stimulation multisensorielle, pratiquée dans une salle dédiée, dite « salle de Snoezelen » (contraction du hollandais Snuffelen : sentir, et Doezelen : se laisser aller à la détente), permet de stimuler les sens primaires (vue, ouïe, goût, odorat, toucher), souvent déficitaires chez le sujet âgé, de stimuler la mémoire sensorielle et de réveiller des souvenirs affectifs, et ainsi de travailler sur la mémoire à long terme. Elle favorise en outre la relaxation et diminue l’anxiété.
La réhabilitation cognitive, basée sur la compréhension du fonctionnement du malade dans son environnement familial et l’identification de ses difficultés dans la vie quotidienne, est une thérapie comportementale qui implique l’aidant, et qui utilise une stratégie de techniques compensant les déficits du patient. Elle vise à améliorer l’autonomie fonctionnelle, la qualité de vie et le bienêtre en diminuant l’impact des troubles cognitifs sur le quotidien.
La thérapie par la réminiscence consiste en une mesure de la stimulation intellectuelle et émotionnelle en faisant parler le patient de ses expériences passées en utilisant, en appui, des photos anciennes, des objets personnels, de vieilles chansons, des vidéos… L’objectif est de stimuler les processus cognitifs et affectifs et de promouvoir l’inter action sociale.
Du maintien à domicile à l’accueil en établissement, il existe différentes solutions et dispositifs adaptés au stade de la maladie, aux besoins du patient et de l’aidant (voir le tableau 2 ci-dessus).
Pour améliorer la prise en charge à domicile, trois visites longues annuelles (consultations réalisées au domicile par le médecin traitant permettant de mieux évaluer les besoins du patient) sont désormais réalisables. La capacité à la conduite automobile doit être appréciée (et interdite si le patient n’en est plus capable). De même, l’aptitude à gérer les finances est évaluée et des mesures de sauvegarde de justice (mise sous tutelle) peuvent éventuellement être prises.
La vie à domicile du patient doit être organisée et les aides nécessaires ajustées : soins infirmiers, notamment pour la distribution des médicaments, intervention d’aidessoignantes, d’auxiliaires de vie ou encore rééducation orthophonique.
De même, l’aménagement du domicile doit être revu afin de sécuriser au maximum l’environnement du patient pour éviter les chutes et les accidents domestiques (attirer en particulier l’attention de l’entourage sur certaines situations à risque, comme une cuisi nière à gaz ou des produits ménagers toxiques laissés à portée de main, des sanitaires inadaptés, des tapis mal fixés, des escaliers sans rampe de sécurité, etc.).
Concernant les aidants familiaux, les plateformes d’accompagnement et de répit ont pour vocation la prévention de l’anxiété et de l’épuisement. Outre un soutien psychologique, elles proposent à ces derniers des solutions de répit comme des aides à domicile (garde de nuit, par exemple), l’accueil de jour (qui permet au patient de bénéficier d’activités de stimulation cognitive et sensorielle), un héber gement temporaire ou un accueil de nuit en établissement. De même, les associations de patients ou les centres locaux d’information et de coordination (Clic) peuvent fournir des informations et les adresses de telles structures, mais également proposer une expertise utile pour une prise en charge graduée.
Lorsque le maintien à domicile devient impossible, il faut orienter l’aidant et le patient vers des structures d’accueil spécialisées. L’entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est difficile pour le malade qui doit s’habituer à un nouveau cadre de vie et à un nouvel environnement. Cette étape est aussi douloureuse pour l’aidant et potentiellement mal vécue, car elle peut être ressentie comme un échec. « L’entrée en institution s’envisage en cas de fugues multiples, de chutes à répétition, de comportements dangereux ou lorsque l’aidant a peur du malade, qui est devenu violent. Elle se discute aussi face à certains signes d’épuisement de l’aidant (nervo sité, exaspération, amaigrissement…) ou lorsque celui-ci est lui-même âgé, explique Cécile Vouloir, infirmière en Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et coordinatrice de l’Équipe spécialisée Alzheimer au Service de soins à domicile (Sesid) de Rueil-Malmaison, dans les Hauts-de-Seine. Mais il n’y a guère plus aveugle que celui qui refuse de voir, et tant qu’il tient debout, l’aidant veut continuer à assumer son rôle jusqu’au bout. Certains couples mariés depuis 70 ans ne veulent pas être séparés. Bien que nous ayons une prescription pour nous occuper du malade, notre rôle consiste aussi à prendre soin de l’aidant. La Ville de Rueil-Malmaison a mis en place un “café des aidants”, un lieu qui permet d’échanger avec d’autres personnes, de trouver du soutien et de déculpabiliser. »
Afin d’aider le proche à déculpabiliser et apprendre à accepter l’intervention de l’équipe de l’Ehpad, il est donc fondamental d’intégrer les familles aux projets de vie pour personnaliser les prises en charge des patients.
Les Unités d’hébergement renforcées (UHR) accueillent les malades d’Alzheimer ne pouvant plus résider à domicile ou en Ehpad en raison de la sévérité de leurs troubles cognitifs ou psychocomportementaux. Ces unités sont présentes dans certains Ehpad ou dans des Unités de soins de longue durée (USLD).
Que ce soit à domicile ou en institution, les infirmières concourent au suivi des patients : administration des médicaments, surveillance de la tolérance aux traitements (notamment pouls, état cutané, troubles digestifs), surveillance de l’hydratation et de l’état nutritionnel, surveillance de l’hygiène buccodentaire, évaluation des capacités à accomplir les actes de la vie quotidienne… Au domicile, les infirmières libérales peuvent prodiguer des conseils de rituels permettant de donner des repères au patient : avoir des horaires réguliers pour le lever, la toilette, les repas, le coucher, les promenades, en essayant de garder un parcours constant, veiller à maintenir les objets et les meubles à la même place dans la maison. De même, les professionnels de santé peuvent encourager à corriger les difficultés sensorielles en appareillant une surdité ou en adaptant les verres correcteurs de lunettes pour préserver les capacités auditives et visuelles dont l’altération pourrait avoir pour conséquence d’aggraver les troubles mnésiques et d’orientation.
Pour mieux communiquer avec le malade, certaines attitudes doivent être adoptées par les professionnels de santé, et peuvent être conseillées aux aidants familiaux :
→ établir avec le patient un contact, qu’il soit visuel ou tactile, en lui prenant la main doucement par exemple, pour entrer en communication avec lui, tout en lui souriant et en se plaçant en face de lui en se mettant à son niveau (se baisser ou s’agenouiller si la personne est assise ou si elle est en fauteuil roulant, afin qu’elle n’ait pas l’impression d’être dominée par son interlocuteur si celuici reste debout) ;
→ se présenter et rappeler à chaque fois qui on est au patient, toujours expliquer le soin que l’on va effectuer ;
→ penser à parler lentement, utiliser des phrases courtes avec un vocabulaire simple (mais pas enfantin), privilégier les questions à réponses fermées, donner une information ou poser une seule question à la fois ;
→ laisser au patient le temps de répondre sans essayer de répondre à sa place. Si celui-ci ne répond pas, observer sa réaction pour essayer de déterminer s’il répond par l’affirmative ou la négative ;
→ désigner les objets dont on parle ou que l’on souhaite voir utiliser par le patient : si l’on veut lui proposer à boire, lui indiquer le verre, voire lui remettre en main. De même, lui demander de montrer ce qu’il cherche à dire (il peut ainsi désigner une fenêtre s’il souhaite qu’on la referme, une carafe d’eau parce qu’il a soif, un gilet qu’il voudrait mettre sur les épaules…) ;
→ s’efforcer de développer une relation empathique et respectueuse ;
→ faire attention au timbre de la voix et à ses propres mimiques car le patient peut être très sensible au nonverbal.
• Pour mieux comprendre l’agitation du malade, il est avant tout important de bien le connaître, ainsi que son vécu. Essayer d’engager le dialogue pour comprendre la source d’anxiété, aider à la verbaliser ou discuter avec l’aidant pour en identifier la cause, comme un changement dans les habitudes de vie, afin d’apaiser le patient.
• Ne pas faire preuve d’impatience, car les patients atteints d’Alzheimer sont des « éponges à émotions ». Ne pas montrer une éventuelle exaspération et parler des patients comme s’ils n’étaient pas là en pensant que, de toute façon, ils ne comprennent pas.
• Si un patient se montre agité et refuse un soin en criant, il vaut mieux revenir plus tard si le soin peut être reporté. Si le patient persiste dans son refus, il faut essayer d’en comprendre la raison : rechercher une anxiété du soin, une douleur, etc. Proposer de la musique pour réaliser le soin peut calmer le patient.
• Ne pas trop insister face à un patient agressif verbalement, de façon à ce que cela ne dégénère pas en violence physique. Respecter le patient et ne pas le forcer à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire.
• En cas de refus de s’alimenter, essayer aussi d’en comprendre l’origine : manque d’appétit, problème de dentier, de douleur, de troubles digestifs, de lésions buccales, de plats ne respectant pas le régime ou les habitudes religieuses, etc. Envisager aussi que le patient ne sait plus se servir de ses couverts et le stimuler en lui rappelant comment procéder.
• La déambulation doit être autant que possible respectée pour préserver la liberté du patient et son autonomie (lire l’avis de la spécialiste p. 29). Cependant, elle peut s’accompagner d’un certain nombre de risques (chutes, égarement du fait d’une désorientation associée, rencontre malencontreuse avec des individus malveillants, épuisement…) qui doivent être prévenus.
• Éviter de s’opposer à la déambulation car les situations de contrainte majorent le trouble. Suggérer plutôt une activité faisant diversion. S’efforcer de rechercher un facteur qui pourrait expliquer ce comportement (anxiété, non prise en compte de certains besoins comme la faim, la soif, le besoin d’uriner…) et le corriger.
• Mettre en place un système permettant d’identifier le patient au cas où il se perdrait : bracelet, étiquettes cousues sur les vêtements comportant le numéro de téléphone de l’aidant (pour les personnes à domicile) ou les coordonnées de l’Ehpad. Prévoir une photo récente du patient qui pourrait être utile au cas où des recherches devraient être entreprises.
• Pour prévenir les risques de fausse route durant la prise alimentaire, veiller à ce que le patient soit assis, le dos bien droit, la tête penchée en avant (l’épiglotte obture ainsi l’entrée de la trachée). La tête ne doit ni être penchée en arrière ni en hyperextension (non-protection des voies aériennes).
• Privilégier les textures molles. Éviter les aliments en petits morceaux et les textures filandreuses.
• Préférer les saveurs acides et salées (le sucré favorise les fausses routes).
• Privilégier les boissons chaudes ou glacées, les eaux gazeuses ou aromatisées. Proscrire l’eau tiède. En cas de troubles de la déglutition aux liquides, proposer de l’eau gélifiée.
• Utiliser une petite cuillère ainsi qu’un verre muni d’une paille coudée qui favorise le bon positionnement de la tête.
Notes
1. Haute Autorité de santé (HAS), « Guide du parcours de soins des patients présentant un trouble neurocognitif associé à la maladie d’Alzheimer ou à une maladie apparentée », mai 2018. En ligne sur : bit.ly/3GI25u6
2. Fondation Médéric Alzheimer, Living Lab, guide pratique « Interventions non médicamenteuses et maladie d’Alzheimer : comprendre, connaître, mettre en œuvre », 2021. En ligne sur : bit.ly/3bwZ1lZ
Recommandations
• Recommandations de bonnes pratiques sur le site de la Haute Autorité de santé : « Confusion aiguë chez la personne âgée : prise en charge initiale de l’agitation », 2009 (bit.ly/3CDm1fi) ; « Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge », 2011 (bit.ly/3CDm3Us) ; « Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : annonce et accompagnement du diagnostic », 2009 (bit.ly/3qfOJ2q) ; « Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : prise en charge des troubles du comportement perturbateurs », 2012 (bit.ly/3w7pGPQ) ; « Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge de l’apathie », 2014 (bit.ly/3jZVp0t).
• Direction générale de la santé, « Maladie d’Alzheimer et troubles neurocognitifs », juillet 2018. En ligne sur : bit.ly/3w80GrP
• Direction générale de la santé, Direction générale de l’action sociale et Société française de gériatrie et gérontologie, « Les bonnes pratiques de soins en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes », octobre 2007. En ligne sur : bit.ly/3CGaYSz
Ouvrages
• Dr Lefebvre des Noëttes V., Que faire face à Alzheimer, éditions du Rocher, 2021.
• Pellissier J., Ces troubles qui nous troublent, Éditions Érès, 2011.
• K’bidi J., Alzheimer : la vie au quotidien, éditions Lamarre, 2015.
Autres sources utiles
• Dossier sur la maladie d’Alzheimer de l’Assurance maladie : bit.ly/3CDodn2
• Fédération française de neurologie, « La maladie d’Alzheimer ». En ligne sur : bit.ly/3bxdSwS
• À propos du déremboursement des traitements : bit.ly/3q46Ckz
• L’Association France Alzheimer met en place des cafésmémoire, des groupes de parole et des séjours de vacances. Sur son site Internet, on trouve des conseils pratiques destinés aux aidants pour la toilette, l’habillage, les repas et pour apprendre à réagir en cas de troubles du comportement. Sur le site www.francealzheimer.org
Si la majorité des cas sont des formes non héréditaires, dites « sporadiques », il existe une forme héréditaire de la maladie, dite « familiale », transmissible de génération en génération selon un mode autosomique dominant. Cette forme, rare, ne concerne que 1 à 2 % des cas (moins de 10 000 patients en France). Il s’agit d’une forme précoce survenant avant l’âge de 60 ans et qui se manifeste surtout par des troubles de la parole (aphasie).
Selon la Haute Autorité de santé, certains signes d’appel doivent faire craindre un risque de rupture chez l’aidant : troubles du sommeil, fatigue anormale, perte de poids, consommation élevée d’anxiolytiques ou d’alcool, négligence de sa propre santé, réduction des sorties… De tels signaux doivent faire orienter l’aidant vers une consultation médicale en vue de la mise en œuvre d’un soutien adapté.
Docteur Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre de la personne âgée, CH Émile-Roux, à Limeil-Brévannes, et docteure en philosophie pratique et éthique médicale.
« Si le diagnostic est posé à un stade précoce, c’est d’abord au patient qu’il doit être annoncé, puis, avec son accord, à son aidant. Le diagnostic est difficile et il faut plusieurs consultations avant de l’annoncer car pour pouvoir poser un diagnostic de probabilité (le diagnostic de certitude n’étant possible qu’en post-mortem après autopsie du cerveau et analyse histologique), on doit s’appuyer sur un faisceau d’arguments (imagerie, bilans sanguins, tests neuropsychologiques, antécédents familiaux). Mais le plus souvent, le diagnostic est hélas posé à un stade avancé (avec des Mini Mental Score moyens déjà à 20/30 en consultation mémoire) car les patients tardent à se rendre aux consultations mémoire. Dans ces cas-là, même si l’entourage s’en doutait et était préparé au diagnostic, il s’effondre à l’annonce, tandis que le patient banalise ses troubles, est dans le déni ou dans l’anosognosie (il ne se reconnaît pas comme étant malade). »
Premier traitement à avoir reçu une AMM américaine dans la maladie d’Alzheimer depuis 2003, l’aducanumab (Aduhelm) est un anticorps monoclonal dirigé contre les plaques bêta-amyloïdes. Il est administré par voie intraveineuse toutes les quatre semaines. L’Agence américaine des médicaments (FDA) recommande de restreindre son utilisation aux formes modérées de la maladie.
Maude Quemin, psychomotricienne, Équipe spécialisée Alzheimer (Esa) au Service de soins infirmiers à domicile (Sesid) de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
« Je réalise un bilan psychomoteur (orientation temporo-spatiale, équilibre, praxies, motricité fine, mémoire, attention, flexibilité mentale, langage, raisonnement…) au domicile du patient pour déterminer les objectifs de la prise en charge. Les séances sont ensuite assurées par une assistante de soins en gérontologie qui va proposer des exercices cognitifs et/ou physiques. Nous disposons de matériel que nous pouvons apporter chez le patient : tablette tactile avec des exercices cognitifs adaptés, jeux de société, plots et bâtons pour créer des parcours d’équilibre, balles sensorielles, diffuseurs d’odeurs, projecteurs d’aurores boréales ou encore huiles de massage pour les mains dans le cadre de séances de relaxation pour les patients anxieux. Pour certains jeux, l’aidant peut participer s’il le souhaite, mais il doit laisser avant tout faire le malade et ne pas chercher à faire à sa place. Ces interventions permettent au patient de renforcer sa confiance en lui-même. Le problème est qu’en Esa, le nombre de séances est limité à quinze (prises en charge par la Sécurité sociale dans le cadre de l’ALD). Pour un suivi au long cours, on réoriente le patient vers d’autres professionnels (orthophonistes, psychomotriciens libéraux), des plateformes d’accompagnement ou des accueils de jour. »
Ces tableaux présentent les différentes fonctions pour lesquelles les interventions présentées dans le guide ont montré scientifiquement des effets positifs.
Docteur Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre de la personne âgée, CH Émile-Roux, à Limeil-Brévannes, et docteure en philosophie pratique et éthique médicale.
« À la maison, quand un patient déambule, c’est qu’il s’impatiente en attendant le passage de l’auxiliaire de vie ou l’arrivée de l’aidant.
La pire des choses serait de l’enfermer à clef pour l’empêcher de sortir car cela majorerait son angoisse. Il faut mettre en place des rappels spatio-temporels et des rituels pour le rassurer (Post-it de couleur rappelant les heures de visite des intervenants ou l’heure des repas, messages vocaux avec la voix de l’aidant, horloges parlantes pour donner l’heure), promouvoir l’éveil diurne pour ne pas inverser le nycthémère et éviter les sorties nocturnes, et penser à sécuriser l’environnement pour éviter les chutes. En Ehpad, si un patient déambule, c’est parce qu’il a envie de retourner chez lui. Il faut alors aménager des parcours de déambulation sécurisés et agréables, en intérieur et en extérieur, avec des bancs, des parcours de stimulation sensorielle et éventuellement de la musique ou des animaux de compagnie. Il ne faut pas laisser les patients déambuler sans but, mais proposer une diversion pour apaiser leur anxiété. »
• Il n’y a pas de cotation spécifique à la prise en charge des patients atteints de maladie d’Alzheimer concernant les soins d’hygiène ou d’autres soins.
• En revanche, depuis le 1er décembre 2019 a été spécifiquement introduite la cotation de l’administration et la surveillance d’une thérapeutique orale au domicile pour les patients souffrant de troubles cognitifs. Cet acte a été revalorisé au 1er juillet 2020 en AMI 1,2 (soit 3,78 euros) qui s’applique à chaque intervention au domicile (par exemple deux ou trois fois par jour). Cette cotation peut être complétée d’une MAU selon le cas et nécessite une demande d’accord préalable.
Cécile Vouloir, IDE en Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), coordinatrice de l’Équipe spécialisée Alzheimer au Sesid de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
« À domicile, l’aidant peut être omniprésent et a parfois du mal à passer le relais car il culpabilise de ne pas réussir là où l’équipe soignante du Ssiad peut y arriver. Or, le malade ressent le stress de l’aidant et par effet boule de neige, se stresse à son tour. Dans ce cas, il peut se montrer opposant et refuser un soin. L’agressivité liée au refus de soins est l’une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés. D’un ton neutre, monocorde, afin que l’aidant ne se sente pas mis en porte-à-faux, je suggère alors à celui-ci de sortir. Puis, je détourne l’attention du malade en le faisant parler de lui ou en lui demandant de me montrer ce qu’il sait faire pour petit à petit l’amener au soin. »
• La maladie d’Alzheimer est reconnue au titre d’affection longue durée (ALD) permettant une prise en charge à 100 % des examens et soins en rapport avec la pathologie. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) délivrée par le Conseil général du département du patient, calculée en fonction des revenus de ce dernier et des frais de dépendance, permet d’aider à la prise en charge financière des dépenses nécessaires au maintien à domicile (interventions d’infirmières libérales, d’équipes spécialisées Alzheimer, de services d’aide à domicile…).
• Certaines aides financières contribuent au financement de l’hébergement, comme l’APA ou l’allocation logement (proposée par la Caisse d’allocations familiales et calculée en fonction des revenus du patient et des frais d’hébergement), et la réduction d’impôts.